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Dan-la-gentillesse

Ne pas faire payer pour voir son DVD ou aller aÌ€ son spectacle, c’est le choix de l’humoriste Dan Gagnon, qui revendique le droit de marier rire et queÌ‚te de sens.

La couverture de L’appel en gros plan à la tv au cours d’un talk-show : l’événement s’est produit fin janvier dans le Dan Late Show, l’émission que l’humoriste Dan Gagnon anime chaque semaine sur La Deux (RTBF). Qu’un magazine catholique consacre sa « une » à un film drà´le parlant d’apparitions, cela lui avait paru insensé. Le réalisateur Xavier Diskeuve lui ayant assuré que le magazine entendait aussi prendre contact avec lui, pari a été tenu, et la rencontre avec le plus québécois des Belges organisée.

C’EST D’JA BON.

Ce personnage à l’oeil malicieux, le sourire au coin des lèvres et l’air sautillant, n’est pas peu fier de posséder depuis l’an dernier une double nationalité. Celle de son tabernacle de pays de naissance, et celle de la contrée de son coeur, pour laquelle Dan n’a pas ménagé ses efforts, de paperasseries en examens médicaux, jusqu’au jour où un simple avertissement de sa commune lui a signalé que sa carte d’identité était périmée. « Je n’ai reçu aucun document officiel m’informant de l’octroi de la nationalité. Même l’employé communal n’était pas au courant. » Dan est devenu belge parce qu’entre le Québec et le pays du surréalisme, il ne savait que choisir. « Je suis ici depuis douze ans, avec des permis de travail qu’il fallait renouveler tous les ans, puis l’octroi d’un permis de séjour illimité, ce qui signifie en Belgique... qu’il est valable cinq ans. Comme j’aime ce pays, j’ai préféré par demander d’en devenir citoyen. Au Canada, pour cela, il y a une cérémonie, on doit chanter l’hymne national et faire allégeance à la reine d’Angleterre. Ici, rien. » Finalement, Dan n’a pas été trop étonné. Pour lui, le slogan qui caractérise le mieux le pays se résume à quelques mots : « c’est d’ja bon ». « En Belgique, c’est "vivre et laisser vivre– , "être et laisser les autres paraître– . Le Belge se laisse aimer par ceux qui ont envie de l’aimer. Tout simplement. Ici, on n’attend pas les autres pour exister. »

RENCONTRER LES GENS.

L’humour, Dan en fait depuis sa tendre enfance. Encore aujourd’hui, il se souvient que rien ne le rendait plus fier que d’arriver à faire rire son grand-père malade. Réussir à entendre alors le son si particulier de sa voix était pour lui une véritable obsession. Mais, en dehors du cercle de famille, les tentatives comiques du jeune Dan étaient rares. Adolescent de quinze ans, admirateur des comiques québecois qui sont là -bas de véritables rockstars, il se risque à écrire son premier sketch. Mais il le cache au fond d’un tiroir, préférant se consacrer à l’animation radio, caché derrière un micro. Dan est un timide. Il faudra qu’il atteigne vingt-sept ans pour qu’il se décide à franchir le cap et accepte de monter sur scène. Parce qu’un ami réussit à le convaincre. À le voir s’aventurer avec assurance sur le plateau de son émission, saluer le public et lancer la première phrase de son stand-up, on pourrait le croire à l’aise en représentation. « Pour moi, la scène est la chose la plus terrifiante au monde. Regarder les gens dans les yeux est difficile. »
Enfant du nouveau-monde, Dan a toujours été fasciné par les talk-shows à l’américaine, ceux où un showman, assis derrière un grand bureau en acajou, reçoit aux sons d’un orchestre des invités profondément assis dans un canapé en cuir. C’est ce modèle qu’il a proposé à la RTBF d’adapter à la sauce belge, car il en connaissait tous les tics et tous les mécanismes. Le projet adopté, il a mis un an à se concrétiser. Lancé sur La deux dans la case du dimanche tard le soir (d’où le titre « Late Show »), il a émigré au vendredi plus tà´t dans la soirée, avec une rediffusion le mardi. Une case qui convient mieux à l’animateur, car le public est plus disponible. « Je reçois des gens qui m’intéressent, et pas nécessairement des personnalités connues. Plus de cent-vingt invités ont défilé sur le plateau, en grande majorité des Belges dont on ignore souvent totalement l’existence. C’est une autre caractéristique de ce pays : ici, on est souvent connu très longtemps après le moment où on a été intéressant. J’essaie de bousculer cela, en faisant parler les gens. Ce qui m’intéresse, c’est l’histoire qu’ils ont à raconter. Dans toute une vie, il y en a toujours au moins l’une ou l’autre qui est intéressante. Mon but est de parler avec eux, par de les soumettre à un questionnaire. Je n’ai pas de prompteur, je ne regarde pas mes fiches. Ce qui compte, c’est le moment de la rencontre. »

TROP GENTIL.

La petite réputation que Dan s’est forgée à la télévision l’a amenée à être chargé de produire, réaliser et jouer une série de quinze fictions vidéo de cinq minutes, que la RTBF diffusera sur internet, tournant autour du thème d’un personnage HP (à haut potentiel) qui sera confronté à des situations sociales inconfortables. « Je veux arriver à montrer le point de souffrance d’un individu, le malaise qu’il peut rencontrer, et comment le dénouer. » L’auteur pense que ses sketches ne seront peut-être pas faciles à regarder. Mais, avec humour, ils chercheront à dire quelque chose. Sans agressivité. Car pour Dan, le plus important est d’être gentil. « Beaucoup de gens confondent gentillesse et faiblesse. On ne peut pas dire "j’ai été trop gentil– . La gentillesse est quelque chose de complet en soi. J’essaie d’être gentil. » Comme ses parents l’ont été à son égard. Dan ne cesse en effet de rendre hommage à sa famille, et comme il sait qu’elle le regarde toutes les semaines, il ne manque quasiment jamais de saluer sa maman au cours de ses émissions. Enfant si heureux à la maison qu’il a pu s’offrir le luxe de la quitter, il croyait être dans la norme des jeunes de sa génération. « J’ai fini par constater que j’étais une exception. Il y a tellement de gens qui n’ont pas eu la chance d’avoir une enfance heureuse... » Les petits messages qu’il envoie à sa maman sont un peu sa manière de la remercier pour ce qu’elle lui a donné. Ainsi se manifeste aussi son cà´té altruiste. « Personne n’a besoin de s’occuper de soi pendant vingt-quatre heures. Il faut se préoccuper des autres ! » Si on lui fait remarquer que cette option de vie est plus qu’évangélique, il s’étonne sans s’étonner : « Cela peut paraître étrange de la part d’un agnostique. Mais au fond il n’y a que six émotions humaines. Aider les autres, c’est donc fondamental, qui qu’on soit. »

C’est un peu pour aider les autres que Dan a choisi de se pirater lui-même. Le DVD de son spectacle, sorti l’an passé, il a choisi de le pirater lui-même le jour de sa sortie, pour que tous ceux qui voulaient le voir puissent y avoir accès, même s’ils n’ont pas les moyens. Précédemment, il avait réussi à remplir le Cirque Royal de Bruxelles, en invitant les spectateurs sans leur réclamer de droit d’entrée. On donnait ce qu’on voulait en sortant. Son nouveau spectacle fonctionne de la même manière. À l’origine, il ne devait être présenté qu’un seul soir, fin mars dernier, au Théâtre 140. Il suffisait de s’inscrire sur internet, puis de recevoir une confirmation. Le soir du spectacle, chacun reçoit une enveloppe sur son siège, et y met ce qu’il veut avant de sortir. « Je ne voulais pas faire de quête. Avec ce système, chacun fait comme il l’entend. Les gens ne sont eux-mêmes que quand on ne les regarde pas. Mais personne ne peut dire qu’il n’en a pas eu pour son argent. Le taux de bonheur collectif ne peut être que de 100%. »
Le succès recueilli par l’idée a incité Dan à mettre sur pied une « tournée pirate » qui fait ces prochaines semaines le tour de Wallonie. « Comedy is tragedy and time, dit-on en anglais. Je m’y essaie dans ce show. On y parle de choses sérieuses sur le ton de la blague, mais de manière profonde. Comme le souvenir que j’ai de ce jour où ma grand-mère m’a emmené avec elle acheter son cercueil. Elle estimait son temps venu. Pour elle, c’était un jour de shopping presque comme les autres. Elle avait le coeur léger... »

Frédéric ANTOINE

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