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« L’humour m’a rendu rayonnant »

Ce n’est pas un pseudonyme : Kroll est son vrai nom. Vrai comme son sourire, son dynamisme, son ironie, son fair-play. Bien connu pour ses caricatures qui font reÌ fleÌ chir, il monte deÌ sormais sur sceÌ€ne pour raconter sa vie et son meÌ tier dans un spectacle ouÌ€ abondent les reÌ feÌ rences bienveillantes envers Dieu et les religions.

–” Votre peÌ€re eÌ tait atheÌ e. Votre meÌ€re catholique et meÌ‚me cateÌ chiste. Comment cela se passait quand vous eÌ tiez enfant ? PlutoÌ‚t dialogue ou conflit ?
–” Zéro conflit et peu d’échange à ce - sujet aÌ€ la maison. Il m’a d’ailleurs fallu longtemps pour comprendre que pour ma meÌ€re, « pascalienne », l’angoisse est soluble dans la foi. Elle croit avec une bonne dose de superstition plus que de reÌ veÌ lation. Mon peÌ€re, « sartrien », a toujours penseÌ qu’on naissait par hasard, un jour par hasard, dans un monde qui s’en fout compleÌ€tement. Il ne venait jamais aÌ€ la messe avec nous. Il avait ses valeurs qu’il n’est d’ailleurs jamais alleÌ chercher chez les laïcs organiseÌ s. Cette opposition de principe, veÌ cue tranquillement entre eux, m’a formeÌ aÌ€ la toleÌ rance, aÌ€ ne juger personne aÌ€ son appartenance qui a plus souvent eÌ teÌ heÌ riteÌ e que choisie. Ce qui ne m’empeÌ‚che pas de juger les fanatiques de toutes sortes qui deviennent de grands idiots dangereux qui n’aiment pas les autres !
–” Vous avez eÌ teÌ scout, toteÌ miseÌ « belette rayonnante »
–” J’aimais faire rire, alors J’ai appris parla suite que les gens qui font de l’humour impertinent sont des gens qui essaient de deÌ passer une certaine timiditeÌ parce que le sourire, chez l’humain, c’est fait pour apaiser les autres. Mais trop sourire devient une forme d’impertinence ! Petit, je me faisais renvoyer de la classe par le professeur que j’essayais de faire rire alors qu’il m’enguirlandait. Aux scouts, je freÌ quentais des enfants de la bourgeoisie, des « fils de », alors que je venais de la banlieue lieÌ geoise. Ce qui m’a rendu rayonnant, c’est l’humour. Il m’a permis d’eÌ‚tre meÌ chant pour me deÌ fendre et super gentil et geÌ neÌ reux pour eÌ‚tre admis. Quant aÌ€ la belette, c’est pour le mordant peut-eÌ‚tre !
–” L’architecture aÌ€ la Cambre, une licence en sciences de l’environnement et ensuite ? Comment deÌ cidez-vous votre avenir professionnel ?
–” J’ai voulu être architecte. Ensuite, j’ai eu envie de revenir aÌ€ LieÌ€ge. La question de l’environnement c’eÌ tait nouveau et on parlait beaucoup d’eÌ cologie dans les anneÌ es quatre-vingt. J’ai rencontreÌ les premiers militants eÌ colos aÌ€ LieÌ€ge, et en tant que « scientifique » de l’environnement, j’ai contribueÌ aÌ€ mettre des points dans le programme qu’ils neÌ gociaient avec les socialistes. Mais il a fallu que je fasse mon service civil comme objecteur de conscience. J’ai alors stoppeÌ mes eÌ tudes d’architecture. Au fond, j’ai enchaiÌ‚neÌ les choses comme elles se sont preÌ senteÌ es. Il en est souvent ainsi chez les jeunes qui cherchent leur orientation professionnelle. Pour mes trois enfants c’est pareil !
–” Par quel chemin eÌ‚tes-vous arriveÌ au dessin de presse ?
–” J’ai toujours dessiné. A la maison, à l’eÌ cole, avec les amis. Mais c’est pendant mon service civil au theÌ aÌ‚tre de marionnettes Al BotrouÌ‚le, que j’ai obtenu mon premier vrai engagement pour Le Vif qui se lançait alors. Quelqu’un m’a dit : « Envoie tes dessins, ils n’ont pas de dessinateur. » De ma vie, je n’ai jamais oseÌ aller me preÌ senter quelque part et prendre la place de quelqu’un. J’ai toujours eÌ teÌ laÌ€ ouÌ€ il n’y avait personne avant moi. La seule personne que j’ai remplaceÌ e, c’est Royer, au journal Le Soir. Il eÌ tait atteint par la limite d’aÌ‚ge. Cela m’a mis mal aÌ€ l’aise par rapport aÌ€ lui que j’estimais beaucoup. Mais je sais qu’aÌ€ moi aussi cela arrivera un jour !
–” Avez-vous souvenir du premier moment ouÌ€ vous vous eÌ‚tes dit : l’actualiteÌ politique m’inteÌ resse ?
–” C’est par le dessin que je me suis intéresseÌ aÌ€ la politique. Mon peÌ€re lisait le magazine Pourquoi Pas ? dans lequel il y avait beaucoup de caricatures.
–” Entre les premiers dessins et ceux que vous produisez, y a-t-il eu des eÌ volutions ? Progresser en dessin vous inteÌ resse ?
–” Oui le dessin en lui-même me plaît. A la seconde ouÌ€ le crayon fait quelque chose sur le papier, c’est toujours jouissif. Le plaisir de dessiner fait aussi treÌ€s mal, on n’est jamais content de ce qu’on fait.
–” Et je dois vous croire ?
–” Je reconnaît que dans le fait de dessiner, il y a un truc bizarre qui se passe. Je l’explique parfois aÌ€ mes enfants. Vous avez par exemple un dessin de cinq personnages. Le cinquieÌ€me aÌ€ droite regarde celui qui est aÌ€ gauche. Ce qui lui donne un air eÌ tonneÌ ou faÌ‚cheÌ . Or c’est la position d’un point infeÌ rieur aÌ€ un dixieÌ€me de millimeÌ€tre qui, s’il eÌ tait aÌ€ un centieÌ€me de millimeÌ€tre plus aÌ€ gauche ou aÌ€ droite, ne donne pas la meÌ‚me expression. Vous pouvez faire le test aÌ€ la loupe ! Et ça, qu’est-ce que j’en deÌ cide ? Il y a ma main qui fait ça. Je sais seulement que je veux donner cette intention-laÌ€ aÌ€ cette personne. Il y a quelque chose de magique laÌ€-dedans.
–” Quand avez-vous commenceÌ aÌ€ « parler dans un micro » ?
–” Pendant près de dix ans, j’ai eu un roÌ‚le bizarre aÌ€ la teÌ leÌ vision puisqu’on m’a demandeÌ de dessiner « en live » durant EÌ cran TeÌ moin. Les gens ont longtemps vu un type muet ! J’avais neÌ anmoins demandeÌ qu’on me voie crayonnant sinon ils auraient pu penser que j’avais preÌ pareÌ les dessins auparavant. Puis quand Françoise Van De Moortel a remplaceÌ Mamine Pirotte, elle a dit : « Je ne veux plus Kroll-sauf si on s’en sert franchement. Qu’il soit dans le deÌ bat et preÌ sente ses planches au fur et aÌ€ mesure et non plus seulement en fin d’eÌ mission. » Il y a eu beaucoup de reÌ actions neÌ gatives ; il faut reconnaiÌ‚tre que mes dessins provoquent.
Et c’est toujours le cas maintenant ! Mais surtout, on estimait que les spectateurs ne pouvaient eÌ couter et regarder en meÌ‚me temps. Alors que moi je le faisais !
–” Vous eÌ‚tes pour le moment sous les feux de la rampe avec un spectacle qui rencontre un grand succeÌ€s. De plus, vous publiez votre vingt-et-unieÌ€me album !
–” Après l’attentat à Charlie Hebdo on m’a plusieurs fois inviteÌ aÌ€ m’exprimer sur la liberteÌ de la presse et des caricaturistes. Je courais apreÌ€s le temps. Et je constate que je me fais mieux comprendre sur sceÌ€ne. J’essaie en quelque sorte de for- mer le regard de mon public. Non pas dans un esprit commercial, mais pour l’inviter aÌ€ lire mes dessins de manieÌ€re pragmatique mais aussi dans leur dimension philosophique.
–” Vous eÌ‚tes content de votre vie ?
–” Je suis assez traditionnel dans ma façon de vivre. J’ai vu mes parents s’aimer toute leur vie. En meÌ‚me temps je suis encombreÌ par le fait qu’on me voit par- fois comme un rebelle. Alors que j’aspire aÌ€ une vie eÌ quilibreÌ e. Mais je n’ai aucune leçon aÌ€ donner. Je trouve treÌ€s beau la manieÌ€re dont les gens s’arrangent pour vivre les meÌ‚mes besoins qu’on a tous d’aimer, d’eÌ‚tre aimeÌ . Tout le monde cherche et c’est difficile pour tout le monde.
–” Dans le monde d’aujourd’hui, qu’est-ce qui vous tient le plus aÌ€ coeur ?
–” Je fais partie de la fondation Ceci n’est pas une crise pour qu’on arreÌ‚te de dire : « c’est la crise... ». Il y a des choses qui ne changeront pas, on ne va pas revenir en arrieÌ€re. Et le probleÌ€me fondamental aujourd’hui, c’est le repli identitaire, cette crispation. Chacun veut revendiquer ce qu’il est et rejette l’autre !
–” En tant que caricaturiste, vous n’avez pas peur qu’on attente aÌ€ votre vie ?
–” Je n’ai pas peur de me faire tuer pour mes dessins. J’ai peur de la mort tout simplement. Comment ça va se passer et le fait qu’elle abreÌ€ge une vie dans laquelle j’ai deÌ jaÌ€ le sentiment de manquer de temps !
Propos recueillis par Godelieve UGEUX

On rira tous au paradis , La Renaissance du Livre, 2015. Prix : 20 € -10 % = 18 €.
Les dates de son spectacle sur www.kroll.be

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