Vous êtes ici: Archives / Numéros parus / N°415

Michel Vaujour : itineÌ raire d’une transfiguration inteÌ rieure

Le 26 mai 1986, Michel Vaujour s’enfuyait de la prison de la SanteÌ aÌ€ bord d’un heÌ licopteÌ€re piloteÌ par son eÌ pouse. L’histoire avait alors fait grand bruit. CondamneÌ aÌ€ nonante-cinq ans de reÌ clusion, il est un roi de l’eÌ vasion. Mais, du fond de ses prisons, il finira par changer. AÌ€ soixante-huit ans, cet homme-laÌ€ est un ressuscité.

Il ne ressemble plus au malfrat qui faisait la une de la presse, Michel Vaujour. Cheveux boucleÌ s, petite moustache de caïd, regard provocateur... Tout a disparu. L’homme est devenu un modeÌ€le de seÌ reÌ niteÌ et de sinceÌ riteÌ . Entre sa peÌ riode « gangster » et sa vie actuelle, il est passeÌ par un long itineÌ raire de meÌ - tamorphose. Il parle deÌ sormais en philosophe, presque en gourou. MeÌ‚me s’il s’en deÌ fend : « Je ne suis pas un maiÌ‚tre spirituel, je dis simplement ce que je pense. »

ResteÌ vingt-sept ans derrieÌ€re les barreaux, il ne regrette rien. Son bonheur actuel, il ne l’aurait jamais atteint si, aÌ€ vingt ans, il ne s’eÌ tait mis aÌ€ « emprunter » des voitures afin d’emmener danser sa femme. Il se fait pincer. Et tout se deÌ glingue. Il ressent la prison comme le vol de sa vie. Il fait donc tout pour s’en eÌ vader. Parfois, cela reÌ ussit. Mais pas toujours. Une fois, il prend une balle en pleine teÌ‚te et froÌ‚le le treÌ pas. « Cela a eÌ teÌ l’expeÌ rience la plus importante de ma vie. Vous ne pouvez imaginer la paix que je ressentais. J’avais eÌ teÌ au bout de tout et je mourrais pour ce aÌ€ quoi je croyais. »

ASCEÌ€SE DU SILENCE.

On ne peut vivre sans s’eÌ chapper : quand sa femme Nadine le fait eÌ vader en heÌ licopteÌ€re, Michel Vaujour trouve cela normal. Cela changera un peu lorsque Jamila, une jeune assistante en droit, s’inteÌ resse aÌ€ son sort et commence aÌ€ lui eÌ crire. Puis tente, mais sans y reÌ ussir, de l’exfiltrer par heÌ lico de la Centrale de Saint-Maur. Elle sera pour cela condamneÌ e, alors que Vaujour atterrira en QHS (Quartier de Haute SeÌ curiteÌ ).
« LaÌ€, je me suis retrouveÌ dans la solitude totale, et j’ai compris la merde dans laquelle j’eÌ tais. Avec les anneÌ es de prison que j’avais eÌ copeÌ es, il n’y avait aucune chance que j’en sorte. Je devais donc m’en sortir par moi-meÌ‚me. C’est-aÌ€-dire me changer, changer mon eÌ motiviteÌ , mon impulsiviteÌ . Et me reconstruire. J’ai commenceÌ par le sport, puis j’ai introduit le yoga. »Petit aÌ€ petit, la correspondance avec Jamila devient plus intime, « pour que la prison ne la deÌ truise pas comme elle m’avait deÌ truit  ». ParalleÌ€lement, le yoga envahit la vie de Vaujour, qui tourne aÌ€ l’asceÌ€se. Sa cellule devient monacale, « parce qu’on n’appartient pas plus aux choses qu’elles ne vous appartiennent ». « L’asceÌ€se, c’est pas compliqueÌ . Vous enlevez autour de vous tout ce qui n’est pas neÌ cessaire. Et quand il n’y a plus rien aÌ€ retirer, vous enlevez les choses qui ne sont pas essentielles en vous. »

Puis, il se pare de silence. «  Il est –˜le’ vrai maiÌ‚tre. Toutes les grandes traditions y font reÌ feÌ rence. Car, en deÌ finitive, elles parlent toutes de la meÌ‚me chose. On peut passer par diffeÌ -rents chemins de spiritualiteÌ , mais, au sommet de la mon- tagne, tout le monde se retrouve. Ce n’est pas un hasard si –˜yoga’ signifie unir le corps et l’esprit, eÌ‚tre une uniteÌ , alors que –˜religion’ veut dire relier. »

SE BATTRE AVEC SOI.

« J’ai donc veÌ cu dans le silence total. Dix-huit ans de so- litude compleÌ€te. Et de lien avec la mort. Parce qu’on doit l’accepter. Elle est le lot de chacun. Comment voulez-vous deÌ terminer vos valeurs si vous ne partez pas de l’ideÌ e qu’un jour ou l’autre vous allez descendre du train ? »

Dans L’amour m’a sauveÌ du naufrage, le volumineux ou- vrage qu’il vient de publier, Michel Vaujour raconte les eÌ veÌ nements de sa vie carceÌ rale, son mariage en prison avec Jamila et le combat qu’elle meÌ€nera pour qu’il obtienne une mise en liberteÌ conditionnelle, en 2003. Restant sur le fil des eÌ veÌ nements, l’auteur n’explique pas vraiment son che- minement spirituel, ni en quoi celui-ci l’a meÌ tamorphoseÌ . « Ce n’est pas dit dans le livre. Je peux l’exprimer, car le verbe porte la chair. L’eÌ crire n’est pas pareil. On me demande souvent ouÌ€ j’ai appris aÌ€ parler comme ça. C’est venu dans le silence. »

Les premiers mois de liberteÌ seront difficiles. «  Les parties civiles me sont tombeÌ es dessus. On ne pouvait pas payer. J’aurais pu facilement avoir de l’aide de certaines personnes qui m’auraient donneÌ un coup de main financier, peut-eÌ‚tre sans rien demander en eÌ change. Mais je n’aurais pas tenu ma ligne de conduite, cela aurait ouvert une faille en moi. Si on va aÌ€ la faciliteÌ , on est un homme mort. Il fallait regarder les choses en face, ne pas faire de concession, se battre avec soi. Ainsi, on trouve la force de deÌ passer l’adversiteÌ et de la consideÌ rer comme un exercice. Tout est exercice. C’est mon imperfection qui me permettra de devenir parfait.  »

EN ACCORD AU PLUS PROFOND.

Ayant contribueÌ en prison aÌ€ eÌ crire un sceÌ nario, Vaujour continuera aÌ€ jouer les « spin doctors » pour des fictions. Il signe aussi un roman. Aux gens qui lui parlent de sa rocam- bolesque eÌ vasion, il reÌ pond que cela ne l’inteÌ resse plus. Il veut « vivre tranquillement ». « L’asceÌ€se n’est pas une drogue. Une drogue est quelque chose que l’on additionne, alors que l’asceÌ€se est ce qu’on enleÌ€ve. Aujourd’hui, je ne pense meÌ‚me plus que ma vie est de l’asceÌ€se. Chez moi, y a pas de teÌ leÌ , je preÌ feÌ€re penser par moi-meÌ‚me. Les murs sont blancs. Y a qu’une seule deÌ coration... Ce n’est pas ce qui est qui compte, mais la façon dont on le reçoit et le perçoit. Les choses en elles-meÌ‚mes ne peuvent pas faire notre bonheur. Je vis le sens au jour le jour. »

Un film lui a eÌ teÌ consacreÌ : Ne me libeÌ rez pas, je m’en charge. ApreÌ€s les projections, il rencontre les spectateurs. « Je me suis aperçu qu’on eÌ tait beaucoup plus proches que je le pensais. Leurs questions sont celles que j’ai expeÌ rimenteÌ es moi-meÌ‚me. En fait, si on enleÌ€ve l’uniforme, au plus intime de ce que l’on est, on est tous pareils. Pour le reste, on se laisse enfermer dans des prisons qui nous seÌ parent des autres, et de la vie. » Il vit toujours avec la mort : « Le seul miracle ici-bas est de se rendre compte qu’on est vivant. Le seul peÌ cheÌ est de l’oublier. »

Mais sa perception a changeÌ : « Mourir en paix n’est plus mourir en me battant. C’est faire en sorte d’apporter de la joie aÌ€ Jamila. Qu’elle acquieÌ€re une capaciteÌ aÌ€ la joie, ce qui est beaucoup mieux que d’eÌ‚tre heureux. Si t’as pas cette capaciteÌ , tu mourras sans avoir vraiment eu conscience d’avoir eÌ teÌ vivant. La diffeÌ rence entre ce que certains appellent le paradis et l’enfer se situe aÌ€ cet instant ultime. Si au profond de toi, tu es alors en accord avec toi, laÌ€ est l’eÌ terniteÌ . » â– 

Michel VAUJOUR, L’amour m’a sauveÌ du naufrage, Paris, XO, 2018. Prix : 24,70€. Via L’appel : - 5% = 23,47€.

Propos recueillis par Frédéric ANTOINE.

Mot(s)-clé(s) : Le plus de L’appel
Documents associés
Partager cet article
Vous êtes ici: Archives / Numéros parus / N°415