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Paule ZELLITCH : « IL FAUT RENDRE L’EÌ VANGILE DEÌ SIRABLE »

La ConfeÌ rence catholique des baptiseÌ ·e·s francophones est un mouvement neÌ en France en 2008 qui plaide pour la coresponsabiliteÌ au sein de l’EÌ glise catholique. Rencontre avec sa preÌ sidente, la theÌ ologienne Paule Zellitch.

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–” La ConfeÌ rence catholique des baptiseÌ ·e·s francophones (CCBF) est-elle neÌ e d’une revendication de pariteÌ hommes-femmes au sein de l’EÌ glise ?

–” Effectivement. il y a une dizaine d’anneÌ es, pour beau- coup de catholiques, il eÌ tait encore difficile de se positionner pour la pariteÌ hommes et femmes, comme pour la coresponsabiliteÌ et le refus du cleÌ ricalisme. Les catholiques ne peuvent pas eÌ‚tre majeurs seulement dans la socieÌ teÌ civile. AÌ€ la confeÌ rence, il y a donc des baptiseÌ ·e·s, des laïcs et des preÌ‚tres. Notre point commun est de fonder notre action sur JeÌ sus et les EÌ critures, d’eÌ‚tre attentifs aÌ€ ce qui est vivant et moteur dans la tradition pour preÌ parer l’avenir par le dialogue.

–” Beaucoup de catholiques ont attendu que le pape critique le cleÌ ricalisme pour oser l’affirmer eux-meÌ‚mes...

–” Voici quelques anneÌ es, la CCBF reÌ sumait sa position par ces mots : « Ni partir de l’EÌ glise ni se taire », et elle eÌ tait parmi les premiers aÌ€ le dire. Il a suffi que le pape ait des mots durs contre le cleÌ ricalisme pour que ce combat soit plus largement porteÌ . Mais un chreÌ tien a-t-il besoin d’autorisation pour s’exprimer alors que notre foi s’appuie sur la Parole ? Un chreÌ tien peut-il aÌ€ ce point deÌ leÌ guer son discernement ?

–” Chacun a son propre charisme qui peut eÌ‚tre utile...

–” Une des speÌ cificiteÌ s de la ConfeÌ rence des baptiseÌ ·e·s est de mettre concreÌ€tement en oeuvre l’ideÌ e simple de faire eÌ merger les charismes et les initiatives de chacun. C’est cette varieÌ teÌ des charismes qui teÌ moigne de la vitaliteÌ de l’EÌ vangile qu’il faut rendre deÌ sirable et vivre ensemble.

–” Quels catholiques cherchez-vous prioritaire- ment aÌ€ toucher ?

–” Nous nous adressons aux catholiques qui sont dans la nef et qui, pour beaucoup, ne s’y sentent plus toujours aÌ€ l’aise. AÌ€ ceux qui sont encore sur le parvis, et nous voudrions que les plus eÌ loigneÌ s retrouvent l’envie de se rapprocher de l’essentiel. Les personnes aÌ€ qui nous nous adressons sont nombreuses et treÌ€s toucheÌ es par les abus de certains membres du clergeÌ et des autoriteÌ s qui les couvrent. Ces contre-teÌ moignages ne favorisent pas l’annonce de
l’EÌ vangile qui est la premieÌ€re raison d’eÌ‚tre de l’EÌ glise.

–” La ConfeÌ rence propose des reÌ flexions et des actions en ce sens ?

–” Nous sommes treÌ€s actifs sur les fronts des abus de toute sorte et des reÌ formes structurelles de l’institution. Il faut des meÌ canismes preÌ ventifs aux abus de pouvoir. Nous travaillons aÌ€ faire eÌ merger, et bien suÌ‚r partager, des pro- positions concreÌ€tes. Nos chantiers sont nombreux car les besoins sont multiples. Par exemple, il existe une demande ceÌ leÌ brations non eucharistiques. Nous l’accompagnons d’une mise aÌ€ disposition d’outils et de formations. Certains travaillent aÌ€ un "lectionnaire– , une compilation de textes poeÌ tiques et litteÌ raires en compleÌ ment de ceux tireÌ s de la Bible. D’autres aÌ€ des manieÌ€res de dire la foi en vue d’adaptations aÌ€ des publics varieÌ s. Avec des dominicains, nous proposons une eÌ cole de la preÌ dication. C’est important qu’il y ait de plus en plus de personnes capables de se lancer et qui deÌ sirent en initier d’autres. Cela permet de maintenir ou de renouer des liens qui, sans cela, seraient deÌ finitivement rompus.
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–” La ConfeÌ rence est celle des baptiseÌ ·e·s francophones. Vous avez donc des liens en dehors de la France ?

Oui, bien suÌ‚r, meÌ‚me si, avec le confinement, cela est plus difficile. Nos amis belges, queÌ beÌ cois et suisses sont non seulement preÌ sents, mais ils sont membres de notre conseil d’administration. Plusieurs theÌ ologiens et sociologues belges participent reÌ gulieÌ€rement aÌ€ nos eÌ veÌ€nements.

–” Vos recherches concernent aussi le contenu de la foi, les dogmes ?

–” La ConfeÌ rence ne s’est pas lanceÌ e sur ces questions-laÌ€, bien qu’il y ait des theÌ ologiens parmi nous.
–” Vous avez eÌ teÌ antiquaire et experte en anti- quiteÌ s. Comment l’eÌ‚tes-vous devenue ?

–” J’ai eÌ tudieÌ le droit aÌ€ l’universiteÌ , mais je m’y ennuyais. J’ai alors de manieÌ€re fortuite rencontreÌ des gens de cette profession. Je m’y suis lanceÌ e et cela m’a plu. Je l’ai exerceÌ e pendant une vingtaine d’anneÌ es.

–” Quel est votre terreau familial ?

–” C’est un milieu cosmopolite, tant du coÌ‚teÌ de mon peÌ€re que de ma meÌ€re. Tout ce qui est diffeÌ rent n’est pas donc eÌ trange ou eÌ tranger dans notre famille, et aujourd’hui dans le monde actuel, ce n’est plus une singulariteÌ comme ce l’eÌ tait jadis. Cela a eu des reÌ percussions sur mes manieÌ€res d’appreÌ hender les questions, y compris en termes de foi.

–” Et au point de vue religieux ?

–” La famille de mon peÌ€re eÌ tait treÌ€s traditionnellement
catholique. Du coÌ‚teÌ de ma meÌ€re, j’ai eÌ teÌ marqueÌ e par l’ideÌ e que chaque personne est radicalement appeleÌ e aÌ€ la liberteÌ . La foi, pour mon peÌ€re enfant, eÌ tait une source d’angoisses et de damnation. Il a donc coupeÌ avec tout cela. Ma meÌ€re lisait la Bible et c’est avec le Cantique des cantiques qu’enfant elle m’endormait. Petite, j’avais en teÌ‚te que Dieu eÌ tait laÌ€ sans eÌ prouver le besoin de m’adresser aÌ€ Lui. La question spirituelle est devenue treÌ€s forte aÌ€ la fin de l’adolescence. Durant ces anneÌ es-laÌ€, l’ideÌ e de reveÌ‚tir le Christ eÌ tait pour moi treÌ€s preÌ gnante, pesante meÌ‚me. Bien plus tard, cela a resurgi, notamment au cours d’un travail analytique. J’ai alors "rencontreÌ – inteÌ rieurement le Christ, et de manieÌ€re treÌ€s puissante.

–” On connait des conversions spectaculaires et subites comme celle de Claudel aÌ€ Notre-Dame de Paris ou du journaliste AndreÌ Frossard. Cela a eÌ teÌ pour vous une expeÌ rience du meÌ‚me ordre ?

–” Exactement. Il y a eu un jour avant et un jour apreÌ€s. J’en parle rarement, mais voilaÌ€ en quelques mots ce qui s’est passeÌ . Un jour, alors que je venais de traiter comme antiquaire la vente d’un Christ en croix, l’acheteur m’a dit brusquement : « Tu crois en Dieu bien suÌ‚r ! » J’ai reÌ agi par une deÌ neÌ gation assez cateÌ gorique. Quelques minutes plus tard, il m’asseÌ€ne un « Toi, tu viens aÌ€ la messe demain ». TreÌ€s curieusement, le lendemain, j’y suis alleÌ e. Je suis arriveÌ e au deÌ but. Un choeur d’hommes et de femmes chantait et, aÌ€ ce moment-laÌ€, j’ai eÌ teÌ prise totalement et inteÌ rieurement, certaine de la preÌ sence du Christ. AÌ€ la fin de la ceÌ leÌ bration, j’eÌ tais compleÌ€tement sonneÌ e, treÌ€s troubleÌ e. C’eÌ tait treÌ€s compliqueÌ de me reÌ organiser inteÌ rieurement. Deux jours plus tard, j’ai teÌ leÌ phoneÌ pour demander le bapteÌ‚me. Le cateÌ chumeÌ nat ne pouvait pas reÌ pondre aÌ€ toutes mes questions. Je suis alors alleÌ e aÌ€ l’Institut catholique de Paris pour commencer immeÌ diatement des eÌ tudes de theÌ ologie. L’Institut a eÌ teÌ en quelque sorte ma premieÌ€re communauteÌ chreÌ tienne. Aujourd’hui, j’y enseigne ainsi qu’aÌ€ la faculteÌ jeÌ suite de Paris. J’ai participeÌ eÌ galement aÌ€ la fondation de l’atelier de lecture biblique.

–” Qu’y a-t-il d’essentiel aÌ€ transmettre selon vous ?

–” EÌ‚tre chreÌ tienne, pour moi, est d’abord essayer d’agir comme JeÌ sus lui-meÌ‚me l’a fait : chercher, interpreÌ ter, cultiver et laisser ouverte une queÌ‚te spirituelle, nourrie des EÌ critures sans cesse revisiteÌ es et notamment par la preÌ sence des autres aÌ€ nos coÌ‚teÌ s. C’est aÌ€ la liberteÌ que nous sommes appeleÌ s, celle qui nourrit toutes les libeÌ rations qui nous incombent. Ce que je veux transmettre du christianisme, c’est sa dimension "parlante– ,inventive et non pas bavarde. La GeneÌ€se met en sceÌ€ne un Dieu, qui eÌ met une parole creÌ atrice. Dieu et le Christ sont aÌ€ la fois en retrait et preÌ sents. Cela nous invite aÌ€ une autre manieÌ€re d’eÌ‚tre aux autres et aÌ€ soi.

–” Le Christ, qui est-il pour vous ?

–” Dans un premier temps, ma relation au Christ eÌ tait
essentiellement dans la prieÌ€re, le plus souvent contemplative. Ces anneÌ es de prieÌ€re profonde ont installeÌ un vrai compagnonnage inteÌ rieur. Aujourd’hui, il est pour moi "la– personne qui, par le bon eÌ cart qu’il instaure, pose la justesse de toute relation aÌ€ autrui. Avec lui, il n’est pas question de me reÌ duire aÌ€ moi-meÌ‚me et plus encore de mettre la main sur autrui. Sa Parole entendue meÌ‚me modestement est gardienne de cela et en ce sens elle nous sauve encore aujourd’hui.

–” La figure du Christ a eÌ teÌ preÌ senteÌ e de façons diffeÌ rentes selon les eÌ poques : Roi, SacreÌ Coeur, Seigneur...

–” Cela montre que, treÌ€s longtemps, l’influence de la culture d’une eÌ poque sur la religion a eÌ teÌ importante. Dans ma vie inteÌ rieure, le Christ est Seigneur, dans ma vie relationnelle, il est la figure du freÌ€re. Par le Christ, les autres me sont devenus pleinement "freÌ€res– . Dans mes relations au sein de l’EÌ glise, notamment lorsque j’ai travailleÌ au Service national des vocations, j’ai compris ainsi mes relations, aussi bien avec les laïcs, les clercs qu’avec les eÌ veÌ‚ques. C’est le rapport fraternel qui me semble important et qui apaise la relation, l’alleÌ€ge des pesanteurs inutiles.

–” De Dieu, que peut-on en dire ?

–” On peut parler de Dieu, oui, mais pas aÌ€ sa place. Il ne faut pas le reÌ duire aÌ€ une idole et alors aneÌ antir notre liberteÌ . Dieu est aÌ€ la fois au-delaÌ€ et preÌ sent. Il est liberteÌ et il est
extraordinaire de savoir, en profondeur, qu’on ne peut pas mettre la main sur lui. Dire Dieu peÌ€re ou meÌ€re est terriblement reÌ ducteur et nous le savons tous maintenant, cela peut eÌ‚tre le lieu des pires manipulations. Il est treÌ€s rassurant que Dieu soit un oceÌ an de questions, comme cela apparaiÌ‚t dans le livre de la GeneÌ€se. Le grand secret de la Bible est de ne cesser d’ouvrir des questions. Un chreÌ tien est pour moi celui qui, aÌ€ la suite de JeÌ sus, accepte que les questions soient ouvertes.

–” Vous preÌ feÌ rez les questions aux reÌ ponses ?

–” Bien suÌ‚r. Toujours. Les reÌ ponses vivantes sont celles qui ouvrent de nouvelles questions. Le monde actuel peut geÌ neÌ rer soit des dynamiques extraordinaires, soit beaucoup d’angoisse. Il n’est tout simplement pas possible d’affronter les changements ineÌ luctables sur le mode exclusif de la reÌ ponse. Si nous eÌ tions preÌ‚ts aÌ€ avancer de question en question, nous perdrions moins de temps. Au lieu de cela, on nous propose des manieÌ€res de faire et de penser convenues qui se reÌ peÌ€tent et sont censeÌ es servir un plus grand bien, mais qui ont fait et continuent aÌ€ faire des deÌ gaÌ‚ts. Il vaut mieux grandir de questions en question, au lieu d’avoir peur.

–” Vous eÌ‚tes proche ou lieÌ e aÌ€ une communauteÌ particulieÌ€re ?

–” Non, mais j’ai failli l’eÌ‚tre. J’ai eu la chance de sentir treÌ€s vite un climat d’emprise, et cela ne m’est pas supportable. D’ailleurs, aÌ€ la ConfeÌ rence des baptiseÌ ·e·s, nous ne sommes ni prescriptifs, ni intrusifs. Le refus de l’emprise est presque inscrit dans son ADN.

–” Dans le monde catholique, il existe pas mal de chapelles, et c’est parfois treÌ€s tendu entre une sensibiliteÌ plus traditionnelle ou celle plus ouverte au changement. "Tous freÌ€res– , affirme-t-on, mais la reÌ aliteÌ est diffeÌ rente. Comment vivez-vous cela ?

–” La fraterniteÌ est une tension, un chemin. Oui, il y a des chapelles. Mais moi, je ne suis attireÌ e ni par l’exclusion ni par la penseÌ e mimeÌ tique. Dialoguer, voire s’affronter est sain et normal. L’EÌ glise catholique se veut universelle, mais elle est en meÌ‚me temps une somme de personnes singulieÌ€res reÌ unies par la foi en JeÌ sus. La diversiteÌ des charismes est la chance de l’EÌ glise. S’acharner aÌ€ la reÌ duire, c’est empeÌ‚cher de proceÌ der aux adaptations utiles aÌ€ l’annonce de l’EÌ van- gile. C’est dans la simpliciteÌ au jour le jour, l’amitieÌ , qu’aÌ€ la ConfeÌ rence des baptiseÌ ·e·s ou ailleurs, « ce je ne sais quoi  » de la vie de l’EÌ vangile prend corps. â– 

Propos recueillis par GeÌ rald HAYOIS

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