Vous êtes ici: Archives / Numéros parus / N°388

Rodrigo : amador esportivo

NeÌ aÌ€ Bruxelles, de meÌ€re portugaise, Rodrigo Beenkens est namurois d’adoption et journaliste de profession. EntreÌ aÌ€ la RTBF en 1988, il rejoint rapidement le peloton des TheÌ o Mathy et ArseÌ€ne Vaillant. Rencontre avec un commentateur qui n’a pas sa langue en poche !

Bruxelles. Strud. La Plante. Cet itineÌ raire n’apparaiÌ‚t pas sur une carte des courses cyclistes. C’est plutoÌ‚t un parcours personnel, celui de la famille Beenkens. Rodrigo a six ou sept ans quand ses parents quittent la capitale brabançonne, direction un hameau de Haltinne, preÌ€s d’Andenne. On l’inscrit en primaire aÌ€ Sainte-Begge aÌ€ Andenne. L’eÌ tape suivante sera Godinne. « Mon peÌ€re a toujours eÌ teÌ fascineÌ par cette eÌ cole implanteÌ e dans un cadre de verdure et de nature. Nous avons visiteÌ le colleÌ€ge. Des eÌ tudiants eÌ taient en train de faire du kayak sur la piscine en plein air. Plus loin, quatre terrains de foot, un terrain de rugby, des courts de tennis... Moi qui adorais deÌ jaÌ€ le sport, j’eÌ tais conquis !  »
Il entre donc chez les jeÌ suites du ColleÌ€ge Saint-Paul deÌ€s les deux dernieÌ€res anneÌ es primaires. AÌ€ cette eÌ poque, Godinne est preÌ curseur dans l’introduction de l’enseignement reÌ noveÌ . « L’internat ne m’a pas du tout fait peur, sourit Rodrigo. Je n’ai que de bons souvenirs. C’est un colleÌ€ge formidable qui organisait des tournois sportifs intereÌ coles. J’ai flasheÌ . Mon peÌ€re m’a laisseÌ choisir, il ne m’a pas forceÌ . Je me revois encore entrer la premieÌ€re fois, un dimanche soir. J’avais neuf ans. AÌ€ l’eÌ poque, les plus jeunes eÌ taient en dortoirs collectifs. Le mien comptait treize lits. Autant dire qu’il n’y avait qu’aux toilettes que vous eÌ tiez seul.  »

DROIT OU JOURNALISME ?

Entre-temps, la famille Beenkens a quitteÌ Strud pour s’installer aÌ€ La Plante, preÌ€s de Namur. « J’ai grandi, je suis sorti, j’ai guindailleÌ aÌ€ Namur, se rappelle Rodrigo. ApreÌ€s neuf ans au ColleÌ€ge Saint-Paul est venu le temps des eÌ tudes supeÌ rieures. Vu que ma premieÌ€re candidature en droit aÌ€ Namur a eÌ teÌ lamentablement rateÌ e, mes parents m’ont mis devant mes responsabiliteÌ s. Je n’avais plus droit aÌ€ l’erreur !  » MeÌ‚me s’il a ensuite deÌ ployeÌ le grand braquet et reÌ ussi deux candis, Rodrigo sent que, pour lui, ce n’est pas encore la bonne course. « J’avais choisi le droit un peu par deÌ faut. En raison de mon gouÌ‚t pour la prise de parole et de mon deÌ gouÌ‚t des maths et de la physique-chimie. » Pas assez pour motiver l’homme. Au deÌ tour d’un voyage avec un copain au Portugal, un journal local lui propose d’eÌ crire quelques lignes sur les joueurs belges. Et meÌ‚me de devenir correspondant en Belgique pour le foot... La proposition le dope. L’anecdote est pourtant deÌ cisive. Le transfert a lieu : il s’inscrit en journalisme aÌ€ l’UCL pour y deÌ velopper sa nouvelle passion. AÌ€ nouveau, ses parents approuvent son choix : « Ils m’ont compris. Cette caution de leur part m’a veÌ ritablement libeÌ reÌ .  »
Puis viennent les encouragements de deux professeurs : Nicole Cauchie et Georges Moucheron. « Ils m’ont convaincu d’annuler mes projets de stage aÌ€ RTL et m’ont engageÌ aÌ€ la RTBF. Nous sommes en 1988, Sport 21 est lanceÌ et deux monuments partent aÌ€ la retraite : TheÌ o Mathy et ArseÌ€ne Vaillant. J’ai preÌ senteÌ les examens d’entreÌ e. En cinq ou six eÌ tapes, j’ai eÌ teÌ seÌ lectionneÌ . » Rodrigo franchit la ligne d’arriveÌ e avec un autre compagnon : Gaëtan Vigneron. «  Le lendemain matin, apreÌ€s la nuit des 24 h veÌ lo de Louvain- la-Neuve, mon teÌ leÌ phone sonne. J’avais reÌ ussi les tests aÌ€ la RTBF ! Mal reÌ veilleÌ , j’apprends que le directeur veut me voir en fin de matineÌ e. Le temps de trouver une vieille voiture Diane aÌ€ preÌ‚ter et j’ai fonceÌ aÌ€ la CiteÌ Reyers. »

FOOT ET VÉLO.

AÌ€ l’aise dans cinq ou six langues, dont le portugais maternel, Rodrigo sillonne les courses cyclistes et les stades. « Au BreÌ sil, je n’ai pas veÌ cu la meÌ‚me Coupe du Monde de foot que mes colleÌ€gues. Quand vous parlez la langue de vos hoÌ‚tes, les portes s’ouvrent, aÌ€ tous les niveaux. Cela deÌ stresse tout le monde et vous permet de reÌ gler bien des soucis.  »
PassionneÌ de contacts, Rodrigo Beenkens souligne : « Ce meÌ tier me fait rencontrer un tas de gens. C’est incroyable. Et puis se dire que l’on a eÌ teÌ dans des lieux qui marqueront l’actualiteÌ ... En 1994, j’eÌ tais aux Twins Towers. En 2010, j’ai veÌ cu la premieÌ€re Coupe du Monde en Afrique... Il y a eu aussi l’Ukraine, avant qu’un conflit n’eÌ clate. Autant de moments d’intenses rencontres et de deÌ couvertes. Aujourd’hui, je comprends pourquoi un Ukrainien embrasse son pain avant de le manger.  » Philosophe, le commentateur sportif poursuit : « Partout, l’expeÌ rience de vie est plus grande quand vous eÌ‚tes deÌ tendu et que vous prenez du plaisir. Dans nos socieÌ teÌ s, les gens sont neÌ gatifs et stresseÌ s. Moi, je voudrais que l’on soit plus positif. »
Pas de stress, donc, avant un eÌ teÌ sportif chargeÌ ? « Cette anneÌ e, je serai exceptionnellement en vacances le soir apreÌ€s la finale de l’Euro de foot. Et comme l’Euro commence le 10 juin et se termine le 10 juillet, je ne serai ni au Tour de France 2016, ni aux JO au BreÌ sil... Je laisse Rio aÌ€ mes colleÌ€gues. AÌ€ chacun son tour... Et pour le Tour de France, comme c’est un feuilleton, il est difficile de rater un eÌ pisode.  »

RAISON ET ÉMOTION.

Rodrigo, lucide, donne quelques indications pour naviguer dans le meÌ tier qu’il a choisi : « Commentateur sportif ou journaliste ? On meÌ lange les choses. D’abord, nous sommes le relais de l’eÌ veÌ nement pour le teÌ leÌ spectateur. Mais notre roÌ‚le ne se limite pas aÌ€ parler du braquet de tel coureur ou de signaler ouÌ€ se trouve le ballon. Nous pouvons prendre du recul, donner des cleÌ s, apporter des infos que le spectateur n’a pas. Mais cela se travaille... » Il faut donc une bonne maiÌ‚trise du sujet et des connaissances. « Ma force ? C’est que je ne preÌ pare pas cela la veille. Je lis toute l’anneÌ e. Je reÌ colte des anecdotes que je mets de coÌ‚teÌ . J’ai des mots cleÌ s qui pourront me servir plus tard.  » Car le journaliste sportif se fait tantoÌ‚t eÌ ditorialiste, tantoÌ‚t rubricard, tantoÌ‚t monteur de reportages ou encore fin intervieweur... Et il doit meÌ‚me s’inteÌ resser aÌ€ des donneÌ es juridiques ou meÌ dicales, voire posseÌ der de solides bases culturelles, par exemple lors d’un Tour de France.
Mais le juste milieu (de terrain) n’est jamais facile entre raison et eÌ motion. « Lorsqu’un teÌ leÌ spectateur regarde un match des Diables Rouges, il veut passer un bon moment. Il a envie qu’on le fasse vibrer avec les autres supporters. D’un autre coÌ‚teÌ , les gens veulent la veÌ riteÌ . Ils ne veulent pas eÌ‚tre pris pour des naïfs. Nous devons deÌ noncer certaines manipulations ou malversations. Et comme nous sommes des journalistes, certaines reÌ veÌ lations ou positions peuvent deÌ plaire... Il faut parvenir aÌ€ un eÌ quilibre entre la transmission du bonheur et de la veÌ riteÌ . Quand je dis que les Diables Rouges ont "marcheÌ – pendant le dernier match au Portugal fin mars 2016, cela a deÌ plu aÌ€ certains... »

UN GRAND COEUR.

Journaliste appreÌ cieÌ et accompli, Rodrigo ne regrette qu’une chose : « Je n’ai plus assez de temps pour pratiquer moi-meÌ‚me un sport. J’essaye de me maintenir en condition. Mais mon fils est devenu plus fort que moi et maintenant il me bat au tennis.  » Le sport, oui. Mais pas tout seul.
Car ce qui lui tient aÌ€ coeur est simple : « La toleÌ rance et l’amour vrai de l’autre. Mais je n’aime pas parler des valeurs qui m’animent. Les autres disent que j’ai un grand coeur. L’eÌ ducation que j’ai reçue est importante. Et ce n’est pas une question de spiritualiteÌ , mais seulement une question d’attitude par rapport aux autres. Mes parents m’ont tant donneÌ . Et moi, je trouve qu’il y a plus de plaisir aÌ€ donner qu’aÌ€ recevoir.  »
Et pour cela, Rodrigo ne revendique aucune meÌ daille.

Stephan GRAWEZ

Mot(s)-clé(s) : Le plus de L’appel
Partager cet article
Vous êtes ici: Archives / Numéros parus / N°388