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Vincent Blondel : « La dimension spirituelle est essentielle dans ma vie »

IngeÌ nieur puis professeur de matheÌ matiques appliqueÌ es aÌ€ l’UCL, Vincent Blondel, 52 ans, est devenu recteur de l’Alma Mater en 2014. Assumant « sans ambiguïteÌ » l’eÌ tiquette de chreÌ tien et de catholique, il deÌ fend une universiteÌ ouverte aÌ€ tous les eÌ tudiants, quelle que soit leur confession.

–” Dans votre jeunesse, des centres d’inteÌ reÌ‚t vous preÌ disposaient-ils aÌ€ suivre des eÌ tudes d’ingeÌ nieur ?
–” Enfant puis adolescent, je reÌ‚vais d’eÌ‚tre inventeur. Je me souviens que j’allais chaque anneÌ e au salon des inventeurs aÌ€ Bruxelles afin de deÌ couvrir les dernieÌ€res creÌ ations. J’eÌ tais aussi treÌ€s attireÌ par le meÌ tier d’instituteur. J’ai finalement fait des eÌ tudes d’ingeÌ nieur civil et, des anneÌ es plus tard, je suis devenu professeur aÌ€ l’UCL. Je me suis alors rendu compte que je reÌ alisais d’une certaine façon mes aspirations de jeunesse puisque j’ai fait une carrieÌ€re aÌ€ la fois de chercheur et d’ensei- gnant. Mais je n’imaginais pas me retrouver un jour recteur de l’UCL. Ma vie professionnelle s’est construite progressivement, dans la suite
de mes eÌ tudes, de ma theÌ€se de doctorat et des circonstances de la vie. Et, surtout, au contact de ceux qui m’ont inspireÌ et encourageÌ .
–” Votre environnement familial a-t-il joueÌ un roÌ‚le important dans votre parcours ?
–” Certainement dans les orientations que j’ai prises. Mes parents ont eu quatre garçons de manieÌ€re treÌ€s rapprocheÌ e, en cinq ans. J’ai donc eu une enfance et une adolescence dans une grande proximiteÌ avec mes freÌ€res. Nous devions tous trouver notre place. Mes parents nous ont laisseÌ s fort libres dans nos choix de vie et de profession. Ils nous ont soutenus et encourageÌ s aÌ€ prendre notre vie en main et aÌ€ dessiner notre propre destin. Aujourd’hui, nous nous trouvons tous les quatre dans des secteurs professionnels assez diffeÌ rents.
–” OuÌ€ avez-vous veÌ cu vos premieÌ€res anneÌ es ?
–” Je suis neÌ aÌ€ Anvers. J’ai fait le deÌ but de mes eÌ tudes en neÌ erlandais lorsque mon peÌ€re travaillait aÌ€ la MeÌ tallurgie d’Hoboken (aujourd’hui Umicore). J’ai ensuite passeÌ une partie de mon enfance aÌ€ La LouvieÌ€re quand mon peÌ€re eÌ tait aÌ€ la faïencerie Boch FreÌ€res. Et, enfin, toute mon adolescence s’est deÌ rouleÌ e aÌ€ Bruxelles. J’ai donc connu successivement un environnement en Flandre, en Wallonie et aÌ€ Bruxelles.
–” Et vos eÌ tudes secondaires ?
–” Chez les saleÌ siens, aÌ€ Don Bosco, aÌ€ Woluwe-Saint-Lam- bert. C’eÌ tait un des premiers colleÌ€ges aÌ€ mettre en oeuvre le reÌ noveÌ . Nous habitions alors Anvers. Mes parents souhai- taient que je poursuive mes eÌ tudes en français et ma meÌ€re avait le sentiment que le reÌ noveÌ eÌ tait adapteÌ pour moi. Les deux premieÌ€res anneÌ es, j’ai logeÌ chez des amis, puis mes parents sont venus habiter Bruxelles. C’eÌ tait un colleÌ€ge ou- vert, avec une grande diversiteÌ sociale des eÌ leÌ€ves.
–” Vos eÌ tudes d’ingeÌ nieur en matheÌ matiques appliqueÌ es vous ont inspireÌ une approche du monde particulieÌ€re ?
–” J’avais une forte attirance pour les matheÌ matiques et la physique. Celle-ci aide aÌ€ comprendre le monde reÌ el. Mon gouÌ‚t pour les matheÌ matiques vient d’une attirance pour quelque chose qui deÌ passe cette reÌ aliteÌ physique. J’aime la beauteÌ des matheÌ matiques, leur coÌ‚teÌ estheÌ tique. Elles ont pour moi une grande eÌ leÌ gance qui, de manieÌ€re mysteÌ rieuse, s’aveÌ€re extreÌ‚mement utile pour deÌ crire le reÌ el. C’est un vrai mysteÌ€re : pourquoi le monde se deÌ crit-il si bien avec des matheÌ matiques, dont on parle de « l’irraisonnable efficaciteÌ » ?
–” Vous avez fait aussi un baccalaureÌ at en philosophie. Cette discipline vous attirait ?
–” Elle m’est apparue comme une belle opportuniteÌ d’eÌ‚tre exposeÌ aÌ€ quelque chose de diffeÌ rent par rapport aÌ€ mes eÌ tudes principales. Les sciences naturelles posent des ques- tions aÌ€ caracteÌ€re philosophique. J’eÌ tais treÌ€s interpelleÌ par la difficulteÌ d’associer, d’une part, le deÌ terminisme auquel poussent les modeÌ€les matheÌ matiques, l’action de la science qui vise aÌ€ expliquer, aÌ€ preÌ dire. Et, d’autre part, notre expeÌ rience humaine de liberteÌ et la conscience que nous avons d’eÌ‚tre libres de nos choix. Comment reÌ concilier ces deux visions ? C’est une question passionnante que j’ai pu alors approfondir.
–” Quel type d’eÌ tudiant eÌ tiez-vous ?
–” J’ai logeÌ aÌ€ Louvain-la-Neuve quatre ans et demi avant de partir en Erasmus. Comme eÌ tudiant, le fait de devoir alors vivre et geÌ rer ma propre vie de manieÌ€re indeÌ pendante m’a mis face aÌ€ mes responsabiliteÌ s. En dehors des eÌ tudes, j’ai participeÌ aÌ€ la mise en place du kot aÌ€ projet « IngeÌ nieurs sans frontieÌ€res », une ASBL qui existe encore. J’ai aussi eÌ teÌ impliqueÌ dans des mouvements de jeunes et j’ai fondeÌ avec quelques amis une ASBL qui emmenait des enfants du juge en montagne. Cela a eÌ teÌ des expeÌ riences humaines treÌ€s fortes.
–” ApreÌ€s ces eÌ tudes d’ingeÌ nieur, vous faites une theÌ€se de doctorat qui vous ameÌ€ne aÌ€ seÌ journer aÌ€ l’eÌ tranger...
–” J’ai veÌ cu en Angleterre, en France, en SueÌ€de et, plus tard, aux EÌ tats-Unis. Ce sont des peÌ riodes treÌ€s particulieÌ€res, aÌ€ la fois privileÌ gieÌ es, riches et instables, ouÌ€ il faut se deÌ finir et tenter de dessiner son futur. J’ai eÌ teÌ professeur aÌ€ l’UniversiteÌ de LieÌ€ge pendant cinq ans avant de revenir aÌ€ l’UCL. J’ai enseigneÌ ce qu’on appelle les matheÌ matiques discreÌ€tes, celles de l’infini deÌ montrable. Ce sont les matheÌ - matiques des technologies de l’information.
–” Comment votre implication dans le devenir de l’universiteÌ est-elle venue ?
–” J’ai deÌ couvert progressivement l’universiteÌ dans ses multiples facettes en prenant des responsabiliteÌ s dans mon uniteÌ , mon deÌ partement, puis en devenant doyen de faculteÌ . AÌ€ chaque fois, ce sont aussi des proches qui m’ont encourageÌ aÌ€ les prendre. J’ai de l’inteÌ reÌ‚t pour une bonne gestion de notre environnement professionnel et humain et pour deÌ fendre les inteÌ reÌ‚ts des entiteÌ s dont j’ai la charge. Depuis que j’occupe la fonction de recteur, ma vie de chercheur et d’enseignant est eÌ videmment devenue treÌ€s reÌ duite, meÌ‚me si je conserve un cours de theÌ orie des graphes.
–” Vous avez eÌ teÌ eÌ lu recteur il y a trois ans sur base d’un projet strateÌ gique de cinq ans. Comment voyez-vous la fonction ?
–” Le recteur donne une direction. Il est accompagneÌ dans cette taÌ‚che par une eÌ quipe rectorale. Avec celle-ci, nous avons mis sur pied un plan strateÌ gique, Louvain 2020, qui est l’ossature de ce que nous comptons faire pendant les cinq ans du mandat. Les axes principaux de ce plan sont d’abord d’offrir des formations de qualiteÌ et amplifier la recherche. Il s’agit aussi de renforcer le rayonnement international de l’universiteÌ . Nous voulons eÌ galement placer l’eÌ tudiant au centre de ce projet et intensifier les contacts reÌ gionaux. Le deÌ veloppement du numeÌ rique et des cours en ligne est une prioriteÌ . Autres axes : simplifier et optimiser l’organisation et valoriser les actions visant l’eÌ galiteÌ des genres.
–” Une fonction prenante...
–” C’est un meÌ tier exigeant, tout comme pour les vice-rec- teurs et tous ceux qui font partie de l’eÌ quipe rectorale. Je suis heureux d’exercer cette fonction et de m’y consacrer entieÌ€rement, meÌ‚me si cela demande quelques sacrifices. Quand, comme c’est le cas, on peut le faire avec le sen- timent de travailler collectivement, en s’eÌ paulant, cela en vaut la peine.
–” Le projet de fusion entre l’UCL et l’UniversiteÌ Saint-Louis a susciteÌ quelques reÌ actions neÌ gatives dans le monde laïc qui craint un leadership de l’UCL. Que reÌ pondez-vous ?
–” Je crois que les craintes ne sont pas veÌ ritablement fon- deÌ es. C’est un projet entre des acteurs qui ont deÌ jaÌ€ un grand nombre d’activiteÌ s en commun et qui veulent travailler en- semble de manieÌ€re plus inteÌ greÌ e pour une plus grande effi- caciteÌ . Ce n’est pas du tout un projet qui s’oppose aÌ€ qui que ce soit, ni baseÌ sur une assise confessionnelle. Ce n’est pas un projet catholique. Il a eÌ teÌ approuveÌ aÌ€ une treÌ€s large majoriteÌ des deux coÌ‚teÌ s, aÌ€ plus de 90%, et ne demande pas de moyens suppleÌ mentaires. L’offre de formations ne se trouvera pas modifieÌ e. Je peux comprendre les questions mais les attitudes de crainte sont injustifieÌ es dans un contexte ouÌ€ les universiteÌ s en Belgique francophone sont toutes de qualiteÌ et se trouvent dans un cadre international qui repreÌ sente pour elles un deÌ fi majeur. Certaines preÌ occupations exprimeÌ es me paraissent parfois trop localiseÌ es par rapport aÌ€ ce deÌ fi et pas en phase avec les reÌ aliteÌ s de terrain. Certains acteurs envisagent d’ailleurs d’autres types de rapprochement. Le preÌ sident du conseil d’administration de l’ULB exprimait reÌ cemment son souhait d’une fusion avec la VUB. Ce serait aussi une reÌ ponse aÌ€ ce deÌ fi international qui ne peut qu’eÌ‚tre soutenue.
–” Dans le paysage universitaire international, quelle est l’originaliteÌ , la singulariteÌ de l’UCL ?
–” L’UCL et les universiteÌ s francophones belges ont des missions diffeÌ rentes des universiteÌ s anglo-saxonnes par exemple. L’UCL a six sieÌ€cles d’existence, c’est rare. Elle doit trouver un eÌ quilibre entre une universiteÌ de masse qui s’adresse treÌ€s largement aÌ€ toute la population avec des formations de qualiteÌ , et une universiteÌ qui tient une treÌ€s bonne place dans le concert international, en particulier en matieÌ€re de recherche. Elle est ensuite ancreÌ e en FeÌ deÌ ration Wallonie-Bruxelles et a donc une responsabiliteÌ par rapport aÌ€ la communauteÌ qui la finance. Notamment en faisant des recherches qui peuvent ensuite eÌ‚tre utiles sur le plan eÌ conomique ou en alimentant la reÌ flexion sur des enjeux de socieÌ teÌ .
–” L’UCL est catholique dans sa deÌ nomination. Cela signifie quoi aujourd’hui ?
–” L’universiteÌ a une histoire dont elle est l’heÌ ritieÌ€re et qu’elle assume pleinement. Aujourd’hui, nous accueillons des eÌ tudiants de toutes les confessions et nous souhaitons qu’ils se trouvent tous bien au sein de l’universiteÌ . En meÌ‚me temps, l’UCL porte une attention toute particulieÌ€re aÌ€ un certain nombre de valeurs et de traditions de solidariteÌ , de liberteÌ , d’attention aux autres, aux plus fragiles. Ces valeurs sont inscrites dans son histoire et eÌ manent largement des eÌ vangiles. Personnellement, j’y suis attacheÌ . Les questions sur le maintien ou non de la deÌ nomination « catholique » se sont poseÌ es quand a eÌ teÌ envisageÌ une fusion de l’UCL avec des institutions universitaires proches, aÌ€ Namur, Mons et Bruxelles. Aujourd’hui, elle garde son nom d’UniversiteÌ catholique de Louvain. Mais dans le contexte de la fusion avec Saint-Louis, on a deÌ cideÌ d’utiliser comme deÌ nomination UCLouvain plutoÌ‚t que UCL, aussi pour eÌ viter toute confusion aÌ€ l’international.
–” Vous, aÌ€ titre personnel, vous assumez l’eÌ tiquette de chreÌ tien et de catholique ?
–” Oui, bien suÌ‚r, et sans ambiguïteÌ . La dimension spirituelle est une dimension essentielle de ma vie mais elle est plus intime. Comme chacun, je me pose des questions sur le sens de la vie, auxquelles je n’ai pas toujours la reÌ ponse. Pour me ressourcer sur ce plan, j’ai la lecture, le contact avec la nature, des rapports humains privileÌ gieÌ s, ou des coupures par rapport au quotidien. Cette dimension spirituelle est aussi aÌ€ deÌ velopper dans la vie de tous les jours.
–” Il y a des gens que vous admirez, que ce soient des personnages historiques ou des anonymes ?
–” Je suis plus sensible aÌ€ des personnes peu connues que je rencontre dans le quotidien et qui me touchent. J’admire les personnes attentives aÌ€ la dimension humaine de la vie et qui l’abordent avec sensibiliteÌ et courage. Mon admiration va aux anonymes qui font face, avec un courage discret, aux difficulteÌ s de l’existence. Je vois beaucoup de per- sonnes qui font preuve de cette qualiteÌ dans leur vie face aux difficulteÌ s de l’existence. Oui, c’est quelque chose que j’admire particulieÌ€rement. â– 
Propos recueillis par GeÌ rald HAYOIS

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