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À 85 berges, Hugues Aufray prend toujours le large

Avant son prochain concert en Belgique, le troubadour infatigable livre quelques réflexions bien senties. Se définissant comme politiquement incorrect, chrétien agnostique, artiste un peu en marge, Hugues Aufray garde une pêche d’enfer. Pour celui qui se méfie de tous les dogmatismes, les valeurs qui le motivent s’inspirent des paroles premières du Christ.

À 85 printemps, Hugues Aufray revient. Bon pied, bon oeil.

Sa voix affirmée, vigoureuse, convaincante, impressionne. Il ne cherche jamais ses mots, mais aime décocher quelques flèches. Pas la peine de lui demander pourquoi il « continue » de chanter à son âge : « Cela aurait l’air de dire qu’il y a un moment où l’on a commencé, sourit-il. Chanter, c’est naturel et je n’ai jamais arrêté. Tout le monde chante. Les bébés commencent par pleurer. C’est leur façon à eux de s’exprimer. La voix, c’est ce qui permet à l’être humain de communiquer. Pourquoi je m’arrêterais ? »

La retraite n’est donc pas à l’ordre du jour. « Je suis étonné quand on dit qu’un artiste prend sa retraite. Cela, c’est pour les gens qui travaillent. Les artistes ne travaillent pas, ils passent leur temps à s’amuser... Je ne plaisante pas vraiment. Être artiste c’est un état. C’est comme la vie, quand le coeur est fatigué, il s’arrête. Et puis c’est la mort. Donc, je continue de chanter à mon âge ! »

FOLK SONG, FRENCH SONG

Dans la mémoire collective ou les biographies, il y a pourtant bien un moment où Hugues Aufray « a commencé »... Un premier disque de quatre chansons (dont deux de Gainsbourg, encore inconnu !) en 1959, une troisième place à l’Eurovision en 1964 avec Dès que le Printemps revient. Puis l’ouverture vers les chansons anglo-saxonnes qu’il interprétera en français. À l’époque, l’anglais est moins maîtrise par le public, de nombreux chanteurs adaptent des versions françaises. La vague yé-yé déferle. Halliday et Mitchell se déhanchent. Aufray, lui, fait découvrir Bob Dylan au monde francophone. Puis, il reprend aussi des chansons de Georges Brassens ou Félix Leclerc. Entre deux générations et entre deux styles, Aufray trace son (micro)sillon. Et les succès s’accumulent : Santiano, Céline, Stewball, Adieu Mr le professeur, Debout les gars, Hasta Luego... Autant de titres qui en feront un chanteur vraiment populaire. « À mon âge, je peux me permettre de faire un bilan, confie-t-il. Il s’impose à moi. Je ne l’aurais jamais imaginé ainsi lorsque j’avais douze ou treize ans. Je suis d’une certaine manière un marginal, une personne un peu à part. »

SCOUT JAMAIS !

Alors qu’il figure au répertoire de tous les chansonniers que l’on trimbale lors des feux de camps, Hugues Aufray ajoute : « Beaucoup de gens pensent que j’ai été scout parce que tous les scouts, qu’ils soient protestants, catholiques, juifs, musulmans ou encore athées, m’ont récupéré. Pourtant, je n’ai jamais fait partie d’un mouvement de jeunesse. Cette spécificité me met sans doute un peu en marge des autres artistes.  » Né en 1929, il n’a pas encore onze ans quand la Seconde Guerre mondiale éclate. « À ce moment, la France est perturbée. Le scoutisme a plus ou moins disparu. Puis il a été rejeté par les gens de gauche qui considéraient le scoutisme comme de droite ou bourgeois. » C’est plus tard qu’il s’intéresse à Baden Powell. Notamment lorsqu’en 2007, il écrit Tendons-nous la main qui sera l’hymne du centenaire du mouvement scout français, chanté devant des milliers de scout au Champ de Mars à Paris. « BP était un pionnier. Il a inventé l’écologie. Il a appris aux jeunes à vivre en harmonie avec les autres, les animaux, la nature. Toutes ces valeurs invitent à vivre avec l’autre, son prochain. »

INCLASSABLE

Nature, solidarité, altruisme, antiracisme... Hugues Aufray est un peu le porte-étendard des valeurs universelles. « Protest singer » sans être trop engagé ? « Je suis politiquement incorrect car quand on ne peut être classé politiquement, on est forcément incorrect  », s’amuse-t-il. Mais derrière la dérision, c’est l’incompréhension qui domine. « Aujourd’hui, les artistes aiment dire s’ils sont de gauche ou de droite... Encore qu’il y en ait peu qui osent dire qu’ils sont de droite ! Mon attitude m’a valu d’être mis un peu sur le cà´té. » Car s’il a chanté de nombreuses fois pour des causes humanitaires ou « pour la gauche », on le dit parfois « de droite »... Sans doute un effet collatéral d’un concert donné pour les jeunes giscardiens ou du soutien à la candidature de Chirac en 2002 ?

On sent bien que ces étiquettes l’énervent. « Je suis contre l’engagement. L’engagement c’est l’aveuglement ! Le XXI e siècle nous indique que, le monde ayant évolué, les concepts de gauche et de droite sont dépassés. L’engagement à ceci de dangereux : il vous oblige à beaucoup de concessions. » Pour celui qui a traversé une époque ravagée par le fascisme et aveuglée par le communisme, le constat est cinglant. « Après avoir chanté pour les jeunes giscardiens, les communistes ne m’ont plus engagé. C’est là que l’on voit que le dogmatisme est dangereux. Quand on est de gauche, aller chanter pour des gens de gauche est facile. Mais il faut aussi aller chanter devant le public du FN, lance-t-il, semi-provocateur. C’est cela l’ouverture, ne pas rester dans son camp. Il faut aller chanter ailleurs que pour ceux auxquels on croit. »

CHRÉTIEN AGNOSTIQUE

Si on l’amène sur le terrain de ses convictions, Hugues Aufray n’est pas moins disert. « Je me définis aussi comme chrétien. Les valeurs qui m’animent, je les ai trouvées dans les paroles premières du Christ. On a le droit de penser que par sa parole, le Christ nous a donné ses indications tout à fait naturelles : tu ne tueras point, tu ne voleras pas... Ce n’est pas extraordinaire en soi, mais le dire, c’est bien ! » Ancien élève au Collège de Sorèze (Tarn) chez les Dominicains, Hugues Aufray garde d’eux un excellent souvenir. Leur particularité : ils étaient très modernes et les héritiers du catholicisme libéral du père Lacordaire, fondateur du Collège de Sorèze. « Je me suis reconnu dans ce mouvement et quelques fois, j’étais en désaccord avec certains points de vue de l’Église. » Mais il ajoute aussità´t : « Je me considère aussi comme agnostique. Cela veut dire que l’image d’un Dieu traditionnel, avec une grande barbe, qui décide de tout et que l’on prie pour obtenir des faveurs, je n’y crois pas. Dieu n’est pas un comptable, il n’est pas là pour additionner ce que l’on fait de bien ou de mal. Pour moi, Dieu est un mystère. La vie est un mystère. »

ÉCOUTE DANS LE VENT

« J’ai devant moi une photo de Georges Brassens, dont on dit à tort qu’il était athée. Il y a une grande différence pourtant entre athéisme et agnosticisme. L’athée a une certitude, tandis que moi je n’en n’ai aucune, insiste Hugues Aufray. Je suis un enfant de Montaigne. Je me pose des questions et j’ai des réponses qui me viennent de ma conscience. » Pas étonnant que le morceau Blowin’in the wind ait séduit le troubadour, lorsque Dylan dit que la réponse est dans le vent... « Dylan parle souvent de Dieu dans ses chansons. Le vent c’est la conscience. »

Et le vent, c’est aussi la liberté, thème fétiche de ce faux marin ou vrai cow-boy. Dans l’univers d’Hugues, les chevaux et les bateaux ont une place prépondérante. « Je n’étais pourtant pas suffisamment riche pour m’acheter un gros bateau. J’ai seulement un petit coin de terre avec dessus, des chevaux sans valeur, s’excuse-t-il. Chevaux et bateaux, ce sont deux symboles de la volonté des hommes de devenir des surhommes, de vouloir dominer le monde. Avec le cheval, l’homme a maîtrisé la force. Avec le bateau, il a offert un instrument aux grands conquérants. Ces deux conquêtes ont permis à l’être humain de devenir ce qu’il est aujourd’hui. »

DÉTRESSE ET AMITIÉ

Dans les valeurs qui définissent aussi Hugues Aufray, le mot amitié a une place centrale. « La fidélité en amitié est fondamentale. Je suis fidèle à mes sentiments. Je ne sais pas désaimer quelqu’un que j’ai aimé. » On le sait aussi très présent auprès du chanteur Renaud, dont l’état inquiète nombre de ses amis. « J’ai moi aussi parfois eu besoin du soutien des autres. Psychologiquement ou matériellement. Renaud lui-même m’a beaucoup aidé. Il me citait souvent aux cà´tés de Brassens. Cela me touchait beaucoup. Mais il m’a aussi donné un coup de main financier à un moment difficile. Je te prête cet argent à contrecoeur, avait-il dit. Parce que je suis désespéré à l’idée que je vais me fâcher avec toi. Heureusement, j’ai pu lui rembourser... », sourit-il.

Il poursuit : « Quand j’avais treize ou quatorze ans, je voulais faire de la sculpture et de la peinture. Le manque d’argent pour entrer aux Beaux-arts en a décidé autrement. Je me suis mis à chanter et j’ai été pris par le tourbillon du succès. Mais dans mon parcours, les faillites ou les coups durs se sont parfois présentés. –˜Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort’ disait Nietzsche. J’ai pu surmonter les épreuves difficiles qui m’ont été imposées par certains associés. Je n’en suis pas mort. Cela m’a évité de sombrer dans le travers de chanter des valeurs de partage et de ne pas savoir les vivre... Quand on est trop riche, c’est qu’on n’a pas assez partagé ! »

LA MORT EST NATURELLE

Sa fin de vie, il la voit arriver sereinement... « À 85 ans, on a le droit de considérer que ce n’est pas choquant de disparaître. La mort est une chose naturelle pour quelqu’un qui a vécu. Cela a l’air très simple, mais c’est pourtant vrai. Tout meurt : la nature, les saisons... Il y a la naissance, la maturité puis vient la fin. Ce qui est choquant, c’est la mort d’un enfant, car il n’y a rien de plus sacré. »
La mort, il l’a cà´toyée jeune. La guerre, bien sûr. Mais aussi le suicide de son frère Francesco, d’un an son aîné. « C’est un drame que je porte. Il aurait dû faire carrière car il avait une très belle voix d’opéra. » Un grand frère qui avait prédit à son cadet : « Tu seras concertiste... » Francesco avait bien vu. Une sorte de fidélité envers un encouragement.
Et une fidélité envers les gens simples, les laissés pour compte, les différents, ceux qui se situent à la marge.

Stephan GRAWEZ

En concert le dimanche 9/11 2014 à 15h au Forum de Liège. Une initiative du Patro et des Scouts de Soumagne. En première partie, « Les 100 choristes ».  www.solmania.be
Billetterie : Forum-Liège  04.223.18.18  www.ticketmaster.be/event/453
Dernier album : Troubador since 1948 (Mercury - octobre 2011)
Cet article a été publié en version réduite dans le N° 369 du Magazine L’appel (Septembre 2014).
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