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BOULI LANNERS : Un croyant en queÌ‚te de lumieÌ€re

Il aime les personnages fragiles et complexes. Et graÌ‚ce aÌ€ eux, ses films sont empreints d’une humaniteÌ profonde. C’est sans doute la manieÌ€re de Bouli Lanners de dire sa foi. En particulier dans son dernier long-meÌ trage : Les Premiers, les Derniers.
Une ode à la lumière dans un monde violent et destructeur.

Né dans un milieu modeste, rien ne preÌ destinait Philippe (c’est son vrai preÌ nom) Lanners au cineÌ ma. Pendant ses eÌ tudes chez
les oblats aÌ€ Gemmenich, la rencontre avec le PeÌ€re Thiry, professeur d’estheÌ tique, lui a cependant donneÌ le gouÌ‚t de la peinture. C’est ainsi qu’apreÌ€s ses humaniteÌ s, Bouli s’est orienteÌ vers l’AcadeÌ mie des Beaux- Arts de LieÌ€ge. « Je voulais devenir peintre. Le cineÌ ma est venu un peu par hasard. Pour payer mes eÌ tudes, je travaillais sur des plateaux de tournage et dans des theÌ aÌ‚tres. Et quand j’ai arreÌ‚teÌ preÌ matureÌ ment les beaux-arts, j’ai continueÌ aÌ€ pratiquer tous les meÌ tiers, surtout sur les plateaux de cineÌ ma, celui d’acteur compris, avec des petits roÌ‚les. Le deÌ sir de devenir reÌ alisateur n’est venu que sur le tard. C’est donc au bout d’un long cheminement que je suis devenu comeÌ dien et reÌ alisateur, en me formant moi-meÌ‚me. »
Bouli Lanners est donc un autodidacte qui a d’abord accepteÌ des roÌ‚les « alimentaires » avant de pouvoir choisir ses personnages puis, mieux encore, de les interpreÌ ter dans ses propres films. Pour lui, le meÌ tier de comeÌ dien se marie bien avec celui de metteur en sceÌ€ne. En outre, Bouli eÌ crit tous ses sceÌ narios, ce qui demande du temps et de l’eÌ nergie. « Ce sont des choses treÌ€s personnelles. On n’est pas juste dans une histoire. C’est aussi un peu le reflet et l’eÌ cho de la socieÌ teÌ dans laquelle on eÌ volue. »
Comme dans ses peintures, ses longs- meÌ trages se caracteÌ risent par une ligne d’horizon avec des ciels chahuteÌ s, mais ouÌ€ la lumieÌ€re est toujours preÌ sente. Et tous ses films font des reÌ feÌ rences aux peintres qu’il aime : Corot, les preÌ -impressionnistes, les paysagistes anglais, Le Greco.

DES FILMS HUMANISTES.

Mais ce qu’il aime surtout, c’est parler de la complexiteÌ de la vie, avec des personnages qui sont au bord de la fracture. « Ils sont plus inteÌ ressants, explique-t-il. Je n’aime pas les personnages lisses. J’ai tou- jours eÌ teÌ toucheÌ par les fragiles et j’aime bien les mettre en sceÌ€ne. Moi aussi, j’ai eÌ teÌ quelqu’un de treÌ€s fragile. »
Autre marque de fabrique de Bouli Lan- ners, ses sceÌ narios. Comment les conçoit- il ? « D’abord avec l’envie de parler d’un theÌ€me preÌ cis, reÌ pond-il. LaÌ€-dessus se greffe un deÌ cor, une anecdote plus une autre anecdote. Ainsi on fait le lien entre les deux et petit aÌ€ petit quelque chose commence aÌ€ se construire... Et apreÌ€s deux-trois films, on comprend quel est son travail. » Chez le reÌ a- lisateur belge, ce travail porte sur la structure familiale, celle qui est totalement eÌ clateÌ e aujourd’hui et qui se reconstitue par d’autres biais : par l’amitieÌ (dans Les GeÌ ants), ou par une relation improbable comme c’est le cas dans Eldorado et dans son dernier film Les Premiers, les Derniers. « C’est un theÌ€me reÌ current. J’ai vraiment cette obsession de la cellule familiale, qui est pour moi d’une importance vitale, et qui est aujourd’hui cabosseÌ e. Je constate qu’on essaie toujours de la reconstruire par un moyen ou un autre. »

UN HOMME DE FOI.

Les spectateurs attentifs verront aussi dans son dernier long-meÌ trage des symboles lieÌ s aÌ€ la foi. De fait, Bouli Lanners est croyant. Et ce n’est pas freÌ quent d’entendre un homme de cineÌ ma parler si librement et si profondeÌ ment de sa foi chreÌ tienne, et ce de manieÌ€re treÌ€s concreÌ€te. Avec la force tranquille de quelqu’un qui a reÌ fleÌ chi aÌ€ ce qui peut donner sens aÌ€ l’existence, Bouli partage ses intuitions et ses convictions profondes. « Je pense que la foi c’est l’homme. J’appelle Dieu l’amour qu’on peut porter aÌ€ l’autre. C’est indissociable pour moi. Cela reÌ pond aussi aÌ€ ce sentiment d’apocalypse qui est treÌ€s preÌ sent dans l’actualiteÌ . C’este cas actuellement avec Daesh qui preÌ‚che l’apocalypse meurtrieÌ€re. Alors si elle doit se reÌ aliser, allons-y, mais avec le plus d’amour possible. C’est ce que mon dernier film veut raconter. Son titre est porteur de ce message humaniste et croyant. La phrase, Les premiers, les derniers, est reprise par Michaël Lonsdale qui fait un eÌ loge funeÌ€bre en reprenant ces termes. Il dit aussi : "Il eÌ tait mort et il est revenu aÌ€ la vie– . Cela reÌ sume un peu la trajectoire de Gilou, qui est le personnage que j’incarne. Il eÌ tait mort au plus profond de lui-meÌ‚me et il revient aÌ€ la vie graÌ‚ce aÌ€ la rencontre avec Esther et Willy, en allant vers quelqu’un qui est plus deÌ muni que lui. Mais cela fait aussi allusion aux pre- miers et aux derniers hommes. Si, dans le film, un sentiment de fin du monde est preÌ - sent, c’est que, potentiellement, nous pour- rions eÌ‚tre les derniers. Esther et Willy sont, eux, un peu la repreÌ sentation de l’Homme pur, de l’Homme neuf. Les premiers aident les derniers et sont tous en recherche de recreÌ er cette structure familiale dont on a profondeÌ ment besoin. Ce qui me rassure dans l’homme, c’est que meÌ‚me si nous eÌ tions les derniers, nous ne sommes pas tellement diffeÌ rents des premiers. Le film est aÌ‚pre, mais les rencontres entre les diffeÌ rentes personnes sont lumineuses et l’histoire se termine dans la vraie lumieÌ€re. Pour moi, Dieu c’est l’amour, l’amour de l’autre et le don absolu aÌ€ l’autre. C’est essentiel et important pour moi d’affirmer cette foi. Mais c’est aussi difficile car souvent elle est identifieÌ e aÌ€ des inteÌ grismes. La spiritualiteÌ nous regarde chacun. Je suis pour un EÌ tat laïc. Je suis pour le mariage homosexuel, mais je suis croyant et je veux affirmer cette foi. Je suis pour le respect de chacun, je ne fais pas de proseÌ lytisme et je ne juge pas l’autre. »

Propos recueillis par Paul FRANCK.

LES PREMIERS, LES DERNIERS.

Tous les films de Bouli Lanners sont des « road movies »,
marqueÌ s par les grands espaces. Son dernier film ne
deÌ roge pas aÌ€ cette ligne estheÌ tique. L’ideÌ e de son oeuvre
a germeÌ lors d’un voyage en train dont le trajet longeait
la ligne d’essai du projet français d’aeÌ rotrain, au nord
d’OrleÌ ans. Cette ligne, aujourd’hui abandonneÌ e, a servi de
deÌ cor. C’est laÌ€, dans cette plaine de Beauce balayeÌ e par le
vent, que Cochise et Gilou, deux inseÌ parables chasseurs de
primes, sont aÌ€ la recherche d’un teÌ leÌ phone voleÌ au contenu
sensible. Leur chemin va croiser celui d’Esther et Willy, un couple en cavale. Et si c’eÌ tait la fin du monde ? Dans cette petite ville perdue ouÌ€ tout le monde eÌ choue, Esther et Willy retrouveront-ils ce que la nature humaine a de meilleur ? Ce sont peut-eÌ‚tre les derniers hommes, mais ils ne sont pas treÌ€s diffeÌ rents des premiers. « Ce film est certainement mon oeuvre la plus personnelle, explique Bouli Lan- ners. C’est un grand western moderne et meÌ taphysique traverseÌ par une grande question existentielle : celle de l’eÌ cheÌ ance. L’eÌ cheÌ ance de la planeÌ€te, puisqu’il y a un sentiment de fin du monde, et l’eÌ cheÌ ance personnelle d’un des personnages qui est atteint d’une pathologie grave et qui est donc dans une penseÌ e treÌ€s mortifeÌ€re. Le film est sombre et creÌ pusculaire mais va vers la lumieÌ€re. C’est le premier de mes films qui se termine bien. Il contient un vrai message d’espoir qui part d’une interrogation : meÌ‚me s’il y a une eÌ cheÌ ance, comment allons-nous la vivre ? Et ma reÌ ponse est : avec le plus d’amour et d’humaniteÌ possible. C’est un veÌ ritable message d’espoir que je veux transmettre ici. Il est terriblement important de le diffuser aujourd’hui dans une socieÌ teÌ ouÌ€ la peur est omnipreÌ sente. » (P.F.)
Le film est sorti en Belgique le 24 feÌ vrier.

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