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Citoyens et politiques face à face

Le monde politique est-il réellement en crise ? Affaires, cumul des mandats, cumul des rémunérations, désintérêt du citoyen... Une nouvelle gouvernance naitra-t-elle des chambardements en cours et des renversements d’alliances ? Analyse de l’économiste et universitaire Philippe Van Parijs.

Dégage, que je m’y mette !

Été 2017. Après un premier semestre marqué par une succession d’affaires et de révélations en tous genres, à différents niveaux de pouvoir (Publifin, Samusocial), la Wallonie ouvre le bal et chamboule son gouvernement. Entre l’objectivation de dysfonctionnements graves d’un système et une réaction tactique politicienne, faut-il parler de crise ou de crisette ? « Le terme de crise est assez galvaudé, estime Philippe Van Parijs, professeur émérite à l’UCL. À partir du moment où l’on veut rendre des actualités intéressantes, on parle de "situation de crise– . Or il faut mettre les choses en perspective, à la fois par rapport à l’histoire et aux autres sociétés. »
« Notre pays a connu des situations de crise démocratiques bien plus graves. La montée du rexisme était aussi un mouvement "dégagiste– , où il s’agissait de balancer tous les "pourris– . Le langage d’aujourd’hui reste parfois analogue. Sur le plan international, il y a des pays bien plus profondément en crise politique : le Royaume-Uni, la Pologne et la Hongrie. Ou plus loin : le Brésil. Par rapport à cela, on peut parler de crisette chez nous. »

Fédéralisme inachevé

Philosophe et économiste, Philippe Van Parijs poursuit : « Évidemment, les caractéristiques belges sont spécifiques. Nos institutions, héritées de réformes successives de l’État, n’ont pas encore atteint un équilibre soutenable. » Pour ce partisan d’une disparition de la Communauté française, d’une fusion des communes bruxelloises et d’un fédéralisme à quatre régions, « il faut simplifier les institutions avec un fédéralisme plus clair où les citoyens s’y retrouvent un peu mieux, en sachant à qui s’adresser. Il faut des gouvernements avec des paquets cohérents de compétences. Il est absurde de placer l’emploi et la formation dans les mains d’un gouvernement et l’ensemble de l’enseignement dans celles d’un autre. Ce n’est pas facile à organiser, c’est vrai. Bruxelles est si petite qu’elle a des interactions massives avec les deux autres régions, essentiellement dans cette matière cruciale qu’est l’enseignement ».
Au-delà de ces spécificités belgo-belges, d’autres problèmes sont également sur le tapis. L’exigence d’une plus grande transparence chez les mandataires publics est forte, tant sur le cumul des mandats que sur les modalités de leurs rémunérations. « Je serais prudent sur le cumul, il peut y avoir des gens qui font extrêmement bien leur travail, analyse Van Parijs. Il est difficile de trouver des personnes à la fois 100% intègres, compétentes et engagées au service de leur ville ou de leur région. Elles peuvent acquérir une compétence en partie en raison du fait qu’elles se trouvent à différents endroits. Certaines activités sont importantes pour le bon fonctionnement d’une institution, mais ne prennent pas beaucoup de temps aux personnes qui ont les compétences requises. Des personnes moins compétentes y consacreraient davantage de temps. Il faut trouver un juste milieu. »

Transparence pour tous

Question rémunérations, les choses sont sans doute plus compliquées. À la ville de Bruxelles, la récente démission de son bourgmestre Yvan Mayeur est surtout liée au caractère camouflé, caché, complexe de ses revenus. Pour l’économiste, « c’est le fruit d’une transparence insuffisante. Si on déclarait que le bourgmestre de Bruxelles avait droit à un tel revenu, ce serait moins suspect. Il y a en effet dans le monde des bourgmestres mieux payés. Il faut profiter de ce genre de contexte pour assainir les choses de manière définitive. »
Parmi les mécanismes permettant une transparence optimale, Philippe Van Parijs cite volontiers les pays nordiques, moins frileux en termes de fiscalité. « Je suis favorable à la transparence intégrale des revenus de tous. En Suède et en Norvège, chacun peut avoir accès par internet à ceux de n’importe quel autre citoyen. Si cet accès a été facilité grâce à internet, il existait déjà sous des formes plus administratives. Cette publicité générale de tous les revenus éviterait qu’une fois qu’il devient mandataire, le personnage politique se retrouve tout nu devant tout le monde. Ce qui peut constituer un frein au recrutement d’un personnel politique de qualité. Et diminuerait la pression médiatique et les fake news liées aux revenus de certaines personnalités, où il faut parfois du temps pour vérifier une information qui peut s’avérer fausse. Cette transparence pour tous les citoyens est une mesure structurelle pour s’attaquer du même coup à un problème plus important : la fraude fiscale massive qui permet à des personnes bien nanties de ne pas contribuer à leur mesure aux dépenses publiques. »

Professionnels ou citoyens ?

Dans le flot des critiques à l’encontre des politiciens, la question de la confiscation des débats par des professionnels est une autre pomme de discorde. Certaines voix réclament moins de professionnels et plus de citoyens, allant parfois jusqu’à la mise en cause de la représentation. « La démocratie représentative est indépassable, on aura toujours besoin de représentants élus, observe l’universitaire. Faire de la politique de manière compétente, décider au nom des citoyens sur toute une série de questions, cela prend du temps. Des gens doivent donc s’y consacrer à temps complet, voire même davantage. Il ne s’agit pas seulement d’élaborer des législations, de les discuter, mais aussi de communiquer avec le public, de garder le contact avec sa base. Bien sûr, on pourrait dire que cette fonction peut être exercée par des gens tirés au sort plutà´t que par des élus. Mais pourquoi demander au peuple de laisser le hasard décider qui va le gouverner plutà´t que de le laisser décider lui-même ? » De plus, les citoyens se verraient privés de la possibilité de sanctionner les personnes tirées au sort si elles faisaient du mauvais boulot puisqu’il n’est pas possible de les mettre à la porte comme lors d’un scrutin électoral.
Une autre piste avancée pour impliquer les citoyens est la voie référendaire. « Elle peut être une solution, même si nous venons d’avoir un exemple caricatural dans le cadre du Brexit. Mais il existe d’innombrables questions à propos desquelles il faut prendre une décision et il est impossible, pour chacun de nous, de s’informer de manière suffisante pour pouvoir trancher. »

Diversité et Délibérations

Pour en sortir, Philippe Van Parijs propose une voie médiane, poursuivre la réforme du Sénat et dépasser sa seule vocation d’espace de rencontre entre communautés. « Nous avons été plusieurs à proposer une circonscription fédérale pour la Chambre qui se couplerait avec un Sénat sans sénateurs. La nouvelle Chambre mandaterait le Sénat pour organiser les débats sur des sujets qui engagent le long terme : la politique de l’énergie, de l’environnement, les pensions, etc. Il serait composé en partie d’élus émanant des différents niveaux de pouvoirs, de la société civile organisée (avec une pertinence particulière sur les sujets abordés) et de citoyens tirés au sort. »
Ce système renforcerait le principe de la délibération et affaiblirait la dictature des sondages. « La démocratie des sondages serait une catastrophe, tout comme la démocratie référendaire. On a besoin d’une démocratie délibérative qui est avant tout le fait d’élus qui doivent être accompagnés dans la délibération. »

Propos recueillis par Stephan GRAWEZ

MARC ELSEN, UN DÉGAGÉ ENGAGÉ



En octobre 2015, alors qu’il n’est bourgmestre cdH de Verviers que depuis trois ans, Marc Elsen remet son tablier. Impossible, pour lui, de poursuivre avec son partenaire de majorité, le MR. « Il faut parfois créer des ruptures pour faire apparaître l’impossibilité de certains de vouloir gouverner sur une base plus collaborative », estime l’élu démissionnaire. Le cdH a débranché la prise à Verviers et remis le courant avec le PS local.
Dégagé de la responsabilité mayorale (mais toujours conseiller), Marc Elsen a profité de ce retrait pour écrire et publier un essai, Vers une évolution du management politique. Son parcours comme parlementaire de 2002 à 2013 (notamment en tant que chef de groupe cdH au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles entre 2009 et 2013) et comme sénateur de communauté lui a permis d’observer le microcosme politique dont il était un acteur impliqué. Pour limiter les cumuls, il avait quitté son mandat de député lorsqu’il avait ceint l’écharpe mayorale verviétoise.
Son essai, publié avant les crises de Publifin et du Samusocial ou les soubresauts crées par la décision du Président Lutgen de « débrancher la prise » des gouvernements francophones, n’est pas prémonitoire, mais juste bien dans l’actualité et dans la nécessité d’interroger la pratique politique.
Un livre facile à lire qui aborde des questions que de nombreux politiques devraient se poser : faire de la politique, est-ce suivre ou précéder ? Comment sortir du court-termisme ? Comment lier idéal et action ? Comment se réapproprier la complexité ? Une intelligente prise de hauteur pour l’un des initiateurs de la Fabrique des liens citoyens à Verviers où sont menées des expériences collaboratives et de tirages au sort de citoyens. (St.G.)

Marc ELSEN, Vers une évolution du management politique, Verviers, Éditions Noctambules, 2017.

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