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David Murgia, à la recherche de ce qui fait sens

David Murgia, 24 ans, est un comeÌ dien engageÌ , lucide, communicatif, habiteÌ par une soif de justice sociale ; un utopiste deÌ termineÌ .« Je ne deÌ fends pas des convictions, j’aide aÌ€ poser des questions critiques pour mieux comprendre et agir dans cette socieÌ teÌ qui est la noÌ‚tre.  »
Faire du theÌ aÌ‚tre pour poser et aider aÌ€ poser des questions critiques, voilaÌ€ un beau projet de vie.

David Murgia est neÌ aÌ€ Verviers et a grandi aÌ€ Retinne. Comme tout le monde, il s’est demandeÌ ce qu’il voulait faire plus tard. Une des issues qu’il voyait, c’eÌ tait d’encore apprendre. « Mais je craignais qu’en m’asseyant sur les bancs de l’universiteÌ je n’apprenne pas bien. Le theÌ aÌ‚tre m’a sem- bleÌ un bon endroit pour me forger un esprit critique. Il met en contact avec de la bonne litteÌ rature et fait rencontrer des auteurs qui ont tous, d’une façon ou d’une autre, jeteÌ un regard et observeÌ le monde dans lequel ils vivaient. Que ce soient MolieÌ€re, Corneille, Shakespeare ou d’autres. Et aujourd’hui encore, il y a moyen, et il reste neÌ cessaire, de porter ce regard critique sur notre socieÌ teÌ . » C’est ce que fait David aujourd’hui. Et son spectacle Le discours aÌ€ la Nation d’Ascanio Celestini, rencontre un treÌ€s grand succeÌ€s. En raison de sa simpliciteÌ et de sa force deÌ concertante. Dans un deÌ cor treÌ€s simple (des caisses en bois), un comeÌ dien, aideÌ d’un pianiste, raconte des histoires d’un petit pays diviseÌ entre les gens qui ont des parapluies et ceux qui n’en ont pas. Les gens avec para pluie eÌ tant ici des hommes puissants, des apprentis dictateurs.

SUCCEÌ€S DU DISCOURS AÌ€ LA NATION.

Et comme l’explique David Murgia : « C’est une tradition theÌ aÌ‚trale treÌ€s simple, qui ne se charge pas d’effets techniques compliqueÌ s. Elle permet aÌ€ un reÌ cit de deÌ velopper des univers eÌ vocateurs plus qu’un deÌ cor statique. En fait le reÌ cit parle treÌ€s fort de la relation ente la classe dominante et la classe domineÌ e. Il explique les violences des relations qui vont du haut vers le bas. La moitieÌ des textes racontent donc la façon dont ces apprentis dictateurs cherchent aÌ€ obtenir le consentement de ceux qu’ils dominent. Les autres reÌ cits parlent de celles et ceux qui sont aÌ€ la feneÌ‚tre et qui regardent avec un certain fatalisme ce qui se passe et se sentent impuissants. C’est une meÌ taphore d’une nation occidentale ouÌ€ le discours dominant culpabilise celles et ceux qui sont victimes. Ce reÌ cit explique donc les violences de la sociale deÌ mocratie.  »
Ce spectacle, qui a l’avantage de pouvoir se jouer dans de petites et de grandes salles, a deÌ jaÌ€ connu plus de deux cents repreÌ sentations. « Sa force est qu’il parle aÌ€ chacun d’entre nous. Il nous interpelle sur la manieÌ€re dont nous forgeons nos consentements, ajoute David Murgia. Le discours est parfois cynique mais l’humour avec lequel il est eÌ crit permet aÌ€ des ideÌ es forces de passer. En tout cas personne ne sort de la salle indifférent. C’est là le génie de l’auteur qui parvient aÌ€ dire des choses fortes et profondeÌ ment pertinentes. » Et pour jouer ce genre de spectacle, lui donner toute sa force, faut-il que l’acteur lui-meÌ‚me soit porteur des meÌ‚mes convictions que l’auteur ? « Je ne parlerai pas de convictions mais plutoÌ‚t de la neÌ cessiteÌ d’avoir une observation critique des fonctionnements de notre socieÌ teÌ , reÌ pond le comeÌ dien. Quand je raconte une histoire, je ne viens pas avec mes convictions mais j’essaye d’aider aÌ€ poser les bonnes questions. »

THEÌ AÌ‚TRE OU CINEÌ MA ?

Mais il n’y a pas que les planches pour David Murgia. Depuis quelque temps, le comeÌ dien est solliciteÌ par le cineÌ ma ouÌ€ il se distingue. Il a notamment remporteÌ le Magritte du Meilleur espoir masculin en 2013 et a participeÌ au festival de Cannes. On pourra encore le voir d’ici la fin du mois dans Les premiers, les derniers, le dernier film de Bouli Lanners, reÌ alisateur belge bien connu pour ses films qui, eux aussi, ameÌ€nent aÌ€ se poser des questions. « Ce film parle en quelque sorte de foi et d’espeÌ rance, explique David Murgia. Il met en sceÌ€ne, un peu sous forme de western, des chasseurs de primes qui cherchent un teÌ leÌ - phone voleÌ aÌ€ un homme politique par un couple de personnes handicapeÌ es mentales. C’est un peu une fuite de l’apocalypse, dans laquelle des rencontres vont changer les personnes. Et cette histoire de vie et de mort finit par deÌ boucher sur une espeÌ rance.  » ComeÌ dien et acteur, donc. Mais est-ce le meÌ‚me meÌ tier ? Pour David, la reÌ ponse est clairement non. « Le theÌ aÌ‚tre, ouÌ€ je me sens quand meÌ‚me plus libre parce que c’est laÌ€ que j’ai fait mes armes et que je porte mes projets, c’est comme si j’eÌ tais menuisier. Et le cineÌ ma comme si j’eÌ tais ferronnier. Il faut des outils diffeÌ rents, une patience diffeÌ rente. Et cela permet donc de creÌ er des objets diffeÌ rents. Je peux donc eÌ‚tre heureux d’avoir reÌ aliseÌ une belle chaise mais aussi d’avoir pu faire une belle charnieÌ€re. Ce qui fonctionne bien, c’est quand je me trouve avec quelqu’un qui veut raconter une histoire. Une histoire qu’un spectateur va regarder soit au cineÌ ma ou au theÌ aÌ‚tre. Et cette histoire l’habitera et peut eÌ‚tre le portera vers de nouveaux horizons. »

TOUT AUTRE CHOSE.

Et quand il n’est pas sur sceÌ€ne, ou qu’il ne tourne pas, David Murgia est un citoyen engageÌ . Il a d’ailleurs accepteÌ d’eÌ‚tre un des porte-parole de Tout Autre Chose. Parce que c’est en coheÌ rence avec ses projets humains et sa reÌ flexion. En effet Tout Autre Chose est un mouvement citoyen qui refuse le discours des gouvernants affirmant qu’il n’y a pas d’alternative aÌ€ l’austeÌ riteÌ . « Avec Hart boven Hard en Flandre, nous voulons susciter le deÌ bat deÌ mocratique en Belgique francophone pour deÌ construire le discours dominant et faire converger l’eÌ norme potentiel d’imagination et d’action citoyenne en faveur d’autres horizons.  » Il estime qu’il est possible de deÌ construire les discours qui ne cessent de casser la solidariteÌ et qui preÌ tendent que le salut du monde se trouve dans l’austeÌ riteÌ . « C’est une manieÌ€re d’avoir un deÌ bat citoyen et de soutenir les associations qui, sur le terrain, font des choses concreÌ€tes pour reÌ inventer le deÌ bat politique  », ajoute-t-il, en preÌ cisant que c’est un processus long et lent qui se met en place dans diffeÌ rentes villes. « Nous ne voulons pas de ce qui casse la solidariteÌ . La charte de Tout Autre chose permet de rassembler des citoyens au-delaÌ€ de leur appartenance politique ou syndicale pour dire que quelque chose est possible. Comme repenser l’eÌ cole, l’eÌ conomie... C’est une façon positive de voir aussi des intellectuels comme Matteo Allaluf ou Paul Jorion investir dans une recherche d’alternatives possibles.  » Selon David, il est fondamental d’avoir une vision politique aÌ€ long terme et de ne pas se contenter de visions eÌ lectoralistes aÌ€ court terme. « Certaines critiques affirment que c’est irreÌ alisable. Mais il ne faut pas oublier que le capitalisme est une utopie qui a reÌ ussi, rappelle l’acteur. Il est devenu le veÌ hicule d’une penseÌ e qui casse et deÌ truit des peuples entiers. C’est un projet ideÌ ologique d’une violence inouïe. On essaie de faire comprendre aux gens qu’ils sont idiots, qu’ils ne comprennent rien. Or la politique n’est pas faite pour deÌ mobiliser mais pour rendre aux gens une maitrise sur leurs propres choix. Pourquoi d’autres utopies ne seraient-elles pas possibles si elles sont porteÌ es par celles et ceux qui veulent un monde plus juste ? La politique c’est une responsabiliteÌ treÌ€s noble. Il est important de ne pas tomber dans la reÌ signation ».
Paul FRANCK
Le Discours aÌ€ la Nation, aÌ€ LieÌ€ge (caserne Fonck) les 27, 28 et 29 feÌ vrier.

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