Nouveau directeur des « Riches Claires » au coeur de Bruxelles, Éric De Staercke poursuit son chemin de « modeste artisan ».
Acteur, metteur en scène, professeur... ce fouineur sait aussi aimer le silence. Comme celui d’un monastère...
« Le théâtre ? Cela n’est rien en fait, c’est quelque chose dont on pourrait se passer. On n’en a pas besoin pour vivre... » commence Éric De Staercke, un brin provocateur. « Cela ne nourrit pas son homme. Un boulanger, oui, il fait du pain. Un paysan, il cultive des légumes... » poursuit-il.
« Ce qui m’intéresse le plus dans le théâtre c’est tout ce monde de l’imaginaire, de la création, de l’histoire et de la transmission. Mes professeurs m’ont amené à cet artisanat-là . »
Professeur à l’IAD à Louvain-la-Neuve, il sait pourtant que le théâtre et lui, c’est une vieille histoire. « Ma petite soeur et moi, on partageait la même chambre. Pour l’endormir, je lui inventais des histoires. Tous les jours, il fallait que l’histoire soit neuve. Comme elle s’endormait avant la fin, je continuais pour moi. C’était rassurant pour elle et une habitude nécessaire pour moi » se souvient-il. De l’impro avant l’heure... en quelque sorte ? « De l’impro totale et qui libérait mon imagination. »
A 11 ans, une amie de ses parents l’invite au Théâtre National, voir Le Malade imaginaire. « Je n’ai rien compris sur le fond. Mais ils avaient l’air de tellement s’amuser... Faire rire les autres, cela c’est génial... Puis il y a eu les scouts, où on réalisait des films. Vers 15 ans, j’ai su que c’était cela que je voulais faire, sans savoir comment... »
Après ses études théâtrales, notre artisan fera ses premières armes au Théâtre Loyal du Trac, puis c’est Bla-Bla à la RTBF. « En jouant le personnage de « Wilbur Disquedur » qui était le créateur de Bla-Bla, j’étais une sorte de Geppetto un peu pervers... Un créateur qui devient jaloux de sa créature ! »
Puis il y aura une longue histoire d’amour au sein de la Ligue d’impro. Sa réputation d’artiste créatif, débordant, flirtant avec l’absurde est faite.
À l’IAD, le contact avec les jeunes l’enthousiasme : « J’apprends autant avec des anciens qu’avec des étudiants. Eux, ils te recadrent. Ils vont plus vite. C’est génial de voir que des jeunes qui pourraient ne pas s’intéresser au théâtre s’inscrivent pourtant dans des écoles de théâtre par centaines. Qu’est-ce qui motive des jeunes à vouloir mettre un chapeau, un nez de clown et de monter sur scène ? »
Avec ses différentes casquettes d’acteur, de metteur en scène, de professeur –“ et aujourd’hui de directeur d’un centre culturel - Éric De Staercke prend son pied. « Être acteur c’est être un perpétuel étudiant. Tous les jours, on apprend de nouveaux textes, de nouvelles oeuvres. Être professeur, c’est aussi jouer un rà´le, on interpelle les étudiants sur leurs motivations, leurs envies. Diriger un centre culturel, c’est être à l’écoute, accompagner... »
Reprenant son image du Geppetto pervers, il poursuit : « J’espère que je serai aussi un peu jaloux des artistes qui se produiront aux Riches claires. J’espère garder ce cà´té Geppetto dans mon rà´le de directeur, de faire un projet en carton ou en bois et de construire des marionnettes qui deviendront des êtres humains. »
Éternel enjoué, optimiste et amateur des Marx Brothers, Éric De Staercke enchaîne « Le rire au théâtre n’est pas un but en soi. C’est un moyen de communiquer. Moi, c’est ma façon de regarder la vie, je suis comme cela, je suis de bonne humeur, malgré les problèmes de la vie courante ou l’état des budgets culturels... »
Une nature optimiste à toutes les épreuves. « Ce qui m’intéresse dans l’absurde, façon Groucho Marx, c’est c’est de poser des questions sur le sens. Le sens de notre vie, pourquoi on se lève tous les matins, pourquoi est-ce qu’on va là , pourquoi est-ce que l’on fait ceci... ? Sans donner de réponses. Je n’en ai d’ailleurs pas. Et s’il n’y a pas de réponses, c’est parce que je ne connais pas la vie de chacun ! »
Refusant l’humour moraliste, il continue : « Notre point de vue d’artiste c’est de poser des questions et que les gens retournent dans leur voiture, ou bien cinq jours plus tard, à table, ils ressortent une phrase du spectacle... C’est cela qui fait l’écho, la résonance. »
Omniprésent, on le voit aussi à la télé, avec « Joséphine, ange gardien ». Puis, en 2012, c’est le rà´le de Mgr Peyrac dans « Le Silence des églises » qui aborde la tragédie de la pédophilie. « Parti d’un fait réel, ce film dénonce la chape de silence et le culte du secret qui s’abattait sur ces histoires. »
Mais reconnait-il « En Belgique, cela a bien évolué. Suites à ce type de dossiers, la prescription a été allongée, les victimes ont été entendues et l’Église réagit plus vite sans couvrir obstinément. »
Marqué par le témoignage d’un ancien collègue d’humanités, Eric De Staercke ajoute : « La pédophilie reste une affaire d’hommes, pour moi ce n’est pas l’Église seule qui est en jeu. On a souvent fustigé l’Église... Mais je pense que toutes les personnes qui sont en charge d’éducation ont un ascendant. Je vois bien comme professeur à quel point il faut gérer cela. On pourrait devenir leur gourou. Il faut donc parfois mettre des limites, et cela dans les deux sens ! »
Comme beaucoup de gens, Éric De Staercke a été élevé dans la religion catholique. « Je m’étais beaucoup investi dans ma paroisse, où je m’engageais pour les sans-abri, pour le Tiers-monde, ... Mais un jour, je collectais après une animation à la messe et à la sortie, en voyant le désintérêt des gens, je me suis dit que je ne faisais pas partie du même monde ».
« J’ai eu un déni complet vers 18 ans. Alors que j’avais été loin, comme le fait de travailler dans des monastères. La décision de faire du théâtre, je l’ai réellement prise à Orval. L’école proposait diverses retraites, j’ai choisi une retraite en silence là -bas. La rencontre avec un moine, m’a beaucoup aidé. Nous avions de longues discussions et c’était très riche. »
Dur, dur, pour un artiste de faire silence ? « Non, non, je sais me taire... sourit l’acteur, il n’y a pas si longtemps, j’étais deux jours chez les soeurs de Bethléem à Marche les Dames pour des coups de mains : enduire des murs, remettre des briques. Ce type de spiritualité m’a apporté beaucoup. Ici, c’est aussi dans le respect de ce qu’elles font et cela me renvoie à moi-même. »
Pour Éric De Staercke, « Il y a toujours un questionnement qui est là . En jouant Mgr Peyrac, qui classe le dossier du prêtre accusé, j’avais sans doute quelques comptes à régler avec une certaine éducation un peu jésuite... »
A 51 ans, l’homme de théâtre ne peut s’empêcher un rapprochement : « Plus j’avance dans la vie, plus je me rends compte que l’Église –“ quelle que soit la religion –“ fonctionne sur une forme de théâtralité. Et, moi cela, évidemment, cela me rappelle le boulot ! Et plus j’avance là -dedans, moins j’en ai besoin. Toute cette métaphore, ces symboles ne me parlent plus. Mais en même temps, je m’aperçois que les gens en ont vraiment besoin.
J’entends des échos d’ados partis aux JMJ là -bas, c’est bien... Mais moi, je ne saurais pas y prendre part. »
Stephan GRAWEZ
Pour découvrir le programme du Centre culturel :
www.lesrichesclaires.be
Cet article a été publié en version restreinte dans le N° 359 du magazine L’appel (septembre 2013). |
Crédit photo : Danièle Pierre.