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Demain j’enlève le C

Le 21 octobre, des professeurs des FUCAM de Mons, des FUNDP de Namur, des FUSL de Bruxelles et de l’UCL (1) lançaient un appel « pour l’Université Louvain ». Adieu donc au C de « catholique ». Le débat touche aux fondements de la nouvelle université, intégration des quatre précitées, qui devrait voir le jour en septembre 2010.

Il reste deux ans pour finaliser la future université née de la fusion de quatre institutions francophones : FUCAM à Mons, FUNDP à Namur, FUSL à Bruxelles et UCL à Louvain-la-Neuve et Woluwé. Mais le débat sur le maintien ou non du C de « catholique » dans la future dénomination commune s’invite, lui, beaucoup plus rapidement. À l’appel « pour l’Université Louvain » (2) a en effet très vite répondu un « contre appel » (3) souhaitant ne pas bazarder trop vite l’identité des institutions universitaires concernées.
Déjà réunies depuis 2004 au sein de l’Académie Louvain, les quatre institutions ont appris à se connaître. Elles sont en effet obligées de collaborer depuis le décret européen de Bologne fondant les Académies. C’est aujourd’hui à ce niveau que se gèrent par exemple les actions de recherches concertées ou l’organisation des doctorats.

UNE NOUVELLE UNIF

Après ce premier pas amorcé pour former l’Académie viendra le temps d’une forme de fusion de ces quatre pà´les universitaires catholiques belges francophones.
Le débat du « C » s’inscrit donc dans un mouvement plus large de recomposition de l’ensemble du monde universitaire belge et européen. Ainsi, en Flandre, des quatre universités actuelles, il n’en subsistera que deux : Gent et Leuven, l’une d’État, l’autre « catholique ». On imagine le chemin qu’il reste à faire cà´té francophone : les neuf universités actuelles sont bien trop nombreuses pour 4 millions d’habitants (contre 6 millions cà´té flamand). À terme, en Communauté française, trois pà´les subsisteront, dont celui autour de l’Académie Louvain. (4)
Dans ce paysage en changement, les initiateurs du débat ont donc voulu saisir une opportunité. « Le rapprochement entre nos universités se faisait un peu à marche forcée », estime Jean-émile Charlier, professeur aux FUCAM. « Tout le monde ne se rendait pas bien compte du futur nom qui s’imposerait. Nous avons voulu bouger et inviter au dialogue. Les autorités ont été averties de notre démarche pour éviter de bloquer les esprits et parce que nous voulions agir en transparence. » Et de fait, la veille du lancement de l’appel (le 20 octobre), les quatre recteurs signaient un courrier informant de l’initiative. Mais ils estimaient aussi « que les négociations en cours leur imposent un devoir de réserve. Ils n’exprimeront donc pas de position publique par rapport à la présence du C dans la dénomination de la future université ».

PAS DE RANCÅ’UR

Du cà´té des signataires de l’appel, au vu des premières critiques que leur initiative a fait apparaître, on se veut prudent. « Certains détracteurs ont pensé que nous avions des comptes à régler avec l’institution. Nous nous y sentons pourtant bien », explique Jean-émile Charlier. « Il n’y a pas de malaise. Nous y sommes libres et heureux d’y être libres. Et c’est cette même liberté qui nous permet de prendre des initiatives. Notre démarche vise aussi à questionner le type de structure qui sera mise en place à l’avenir. Nous redoutions un système autoritaire, trop centralisateur. Il n’est pas simple de fusionner quatre histoires longues », ajoute-t-il.
Dans ce processus de fusion, le débat autour du « C » montre combien il n’est pas simple de savoir quel nom général l’emportera. Ce que confirme la délégation CNE du personnel de l’UCL, qui s’est jointe aux réactions (5) considérant « qu’un tel questionnement est trop important pour se limiter à des pétitions ». Car c’est toute la question de l’identité qui se cache derrière ce « C ». C’est d’ailleurs un des premiers points de l’appel : « Il est vivement souhaitable que la nouvelle institution se dote d’un nom différent de celui de chacune de ses composantes, tout en préservant l’atout précieux que constitue le label "Louvain" ».
Mais si l’UCL devient l’UL, ce petit lifting sémantique sera-t-il suffisant pour satisfaire ceux qui plaident pour que le nouveau nom ne reprenne pas le nom d’une des quatre composantes ?
Et puis UL, cela satisfait ceux qui lorgnent sur les classements internationaux des universités. Dans ces ranking, « Louvain » est plutà´t bien noté. Par contre, les chercheurs sont attentifs au référencement de leurs recherches. Et là , chacun tient à son label. Un chercheur FUNDP ou FUCAM gardera-t-il une visibilité dans les moteurs de recherche lorsque son institution sera rebaptisée ? Sur ce plan de l’édition scientifique, le danger de dé-nomination est sérieux.

CATHO = ÉTROIT ?

Mais c’est sans doute la question de l’identité, évoquée dans le deuxième point de l’appel, qui a été la plus critiquée... Que disent les signataires ? « Dans un paysage universitaire de plus en plus mondialisé, il importe de ne pas donner de notre université l’image étroite qu’évoque malgré nous, dans de nombreux pays, l’étiquette "catholique", image qui ne correspond bien sûr pas à la réalité de nos institutions. »
L’argument se justifie-t-il ? De prestigieuses universités catholiques ne s’affichent pas dans leur appellation. La Georgestown University –”dont le pouvoir organisateur est jésuite–” en est un exemple. Pour certains, cela lèverait l’obstacle que l’appellation catholique induit souvent dans des contacts internationaux entre chercheurs d’universités d’autres options, notamment d’État où l’on est soucieux, comme en France, par exemple, de se préserver de toute obédience religieuse. Pour ces chercheurs, l’adjectif catholique peut jouer comme un repoussoir ou simplement comme argument de déconsidération. Dans le contexte actuel de l’Église romaine, on peut comprendre qu’à défaut d’une analyse plus fine, leurs interlocuteurs grossissent sans doute le poids réel de l’Église sur l’université...
Par contre, ceux qui ont réagi via un « contre-appel » soulignent que « les valeurs chrétiennes doivent rester bien visibles dans ce nom afin que notre identité dise clairement quel est l’idéal qui nous sert de référence. Le rappel de ces valeurs chrétiennes doit constituer, pour chacun de nous, une exigence à avoir le souci du plus faible et du plus vulnérable dans notre université et dans la société, au prix parfois de notre efficacité immédiate. »
Le souci du plus faible et de l’ouverture semble caractériser l’ensemble des prises de position. Ce qui fait dire à certains observateurs que le troisième argument des signataires de l’appel « Ulouvain » est faible... C’est celui de l’accueil et de la tolérance vis-à -vis d’étudiants d’autres traditions religieuses ou philosophiques. Or, n’est-ce pas là justement la spécificité de l’identité catholique qui vise à l’universel et l’accueil de tous ? Pour certains, le succès des institutions chrétiennes serait que justement la question des convictions –”fussent-elles différentes–” peut y avoir une place !

Stephan GRAWEZ

(1) FUCAM : Facultés Universitaires Catholiques de Mons ; FUNDP : Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix (Namur) ; FUSL : Facultés Universitaires Saint-Louis (Bruxelles), UCL : Université Catholique de Louvain.
(2) Appel « Ulouvain » :  www.uclouvain.be/238857.html
(3) Appel « Quel avenir pour UCLouvain ? » :  www.uclouvainquelavenir.be/signataires.php
(4) En Allemagne, en comparaison, il subsistera dix universités.
(5)« A propos des appels concernant la problématique du "C" de l’UCL » - Communiqué de la délégation CNE du personnel de l’UCL - 28 novembre 2008.

Qui décidera ?

Sans nul doute, l’issue du débat sur la future université sera important. Tant sur la manière dont il aura été mené et enrichi, que sur les lieux et les méthodes qui seront convoqués pour aboutir à une décision. D’aucuns espèrent que le mode de gouvernance la future université sera fédéral plutà´t que centralisateur, et qu’il inspirera la méthode : permettre à chaque entité de se prononcer pour déboucher sur un consensus. On verrait mal une décision arbitraire et parachutée du haut des instances universitaires ou ecclésiales. L’image d’un monde catho étroit s’en trouverait encore renforcée...

Institution ou inspiration ?

La référence chrétienne de la future université pourrait être plus forte et plus effective qu’aujourd’hui. Mais dans une logique d’inspiration et non de pouvoir, plaide André Fossion.

« C’est un débat de société : s’agissant de la référence chrétienne, faut-il chercher d’abord à afficher une identité institutionnelle forte ou veiller à ce qu’elle soit effectivement source d’inspiration ? », demande André Fossion ancien directeur de Lumen Vitae (1).
Entre la logique institutionnelle et « une logique d’inspiration », André Fossion privilégie la seconde option. « Une logique d’inspiration réelle, insiste-t-il, que les non-chrétiens, au sein de l’Université, pourraient non seulement admettre mais désirer. » Pour ce jésuite, trois niveaux sont nécessaires.
« Il y a tout d’abord le niveau des valeurs, qui pourraient être inspirées par les béatitudes évangéliques et par les droits de l’homme. Un consensus pourrait assez facilement se dessiner à cet égard », estime André Fossion. Un point important face au néo-libéralisme et à la recherche d’efficacité dans les savoirs dans un but de compétition absolue.

GOUVERNANCE ET RÉFÉRENCES

« Le modèle de gouvernance implique des valeurs et des convictions, ajoute André Fossion. Là aussi, un consensus par delà les clivages pourrait être trouvé autour du principe de solidarité et du principe de subsidiarité, lequel permettrait de reconnaître, notamment, une juste autonomie aux anciens sites. »
Enfin, dernier niveau, celui des références. André Fossion s’explique : « Dans les statuts comme dans la charte de la future structure universitaire, une hospitalité privilégiée pourrait être reconnue à la référence chrétienne. Ce serait différent d’une université humaniste pluraliste... qui risquerait de se couper de son histoire. Ce serait une perte culturelle énorme si on n’accordait plus à la référence chrétienne la place qui lui revient ».

DOUBLE RESPECT

L’issue se trouve-t-elle donc dans une sorte de compromis qui, d’une part, réaffirmerait la référence chrétienne et d’autre part, qui admettrait un pluralisme et une nouvelle conception de la catholicité ? « Par respect pour le pluralisme ambiant et par respect pour la tradition chrétienne, il faut un accord mutuel qui fasse droit à ces deux aspects de la réalité », poursuit André Fossion.
Dans ce contexte, la question de l’affichage sur laquelle on se crispe est secondaire. « Il est plus important de considérer les moyens, comme le maintien d’une Faculté de théologie qui puisse viser l’excellence, l’instauration de pà´les de réflexion théologiques au carrefour des disciplines afin de coupler recherche et questionnement sur le sens même de cette recherche. Il faut aussi permettre aux étudiants d’aborder la question du fait religieux dans la société et provoquer des rencontres sur ce sujet », conclut-il.

Stephan GRAWEZ

(1)André Fossion est ancien directeur de Lumen Vitae, enseignant de sciences religieuses et promoteur du pà´le théologique du Centre Interfaces aux FUNDP. Le jour de notre rencontre, André Fossion publiait un point de vue « Inventer le C » dans La Libre Belgique du 28 novembre 2008.

FLASH-BACK

Louvain, catholique toujours ?

Le débat actuel impose un retour en arrière. Et notamment à un moment où, après une interruption, l’Université de Louvain renaît en 1834 sous la houlette des évêques. Objectif : contribuer à la rechristianisation de la jeune Belgique.

Lorsque le pape Martin V reçoit en 1425 une demande d’autorisation de fonder une nouvelle université à Louvain, celle-ci lui est envoyée par le duc de Brabant, Jean IV. En effet, au XVe siècle, période de montée des particularismes régionaux, les États ont besoin de former une élite administrative et intellectuelle. L’Europe va se couvrir d’universités, de Lisbonne à Varsovie.
À l’époque, seul le Saint-Siège est habilité à autoriser une nouvelle fondation. Mais l’objectif n’est pas religieux. Par prudence et selon une tradition bien établie, Martin V n’autorisera d’ailleurs pas l’ouverture d’une Faculté de théologie. Il ne veut pas risquer de nuire à l’Université de Paris. Sont donc autorisées les quatre autres Facultés traditionnelles : arts, c’est-à -dire philosophie et sciences naturelles, droit canonique, droit civil et médecine. Pour la petite histoire, Bruxelles a refusé d’héberger la nouvelle université, craignant pour la vertu de ses filles... Louvain, qui traverse alors une période de déclin économique, profite de cette occasion unique.

LA THÉO EN PLUS

Cependant, très vite, l’absence d’une Faculté de théologie se fait cruellement sentir, car les besoins sont criants. Philippe le Bon, devenu duc de Brabant, soutient une demande envoyée à Rome en 1431. L’année suivante, le pape Eugène IV donne son autorisation. Désormais parée d’une « Sacra Facultas Theologicas », l’université de Louvain est complète. Selon les usages, cette nouvelle Faculté a préséance sur les autres.
L’Université de Louvain connaîtra son apogée au XVIe siècle. Érasme n’hésitera pas à écrire en 1521 : « À Louvain, le climat est non seulement agréable, mais également sain ; mieux qu’ailleurs l’étude s’y poursuit dans la sérénité et dans aucune autre université il n’y a autant de ressources intellectuelles ; il n’y a nulle part un corps professoral plus important et mieux équipé ». Il eut néanmoins de nombreux différents avec les théologiens scolastiques qu’il appelait les « ânes louvanistes ». Globalement, sous l’Ancien Régime, la Faculté de théologie maintiendra une attitude de fidélité à la cause de Rome, notamment lors de la crise luthérienne.

DÉCLIN ET FERMETURE

Les siècles suivants sont une période sombre pour l’Université, prise dans les grands conflits qui opposent les souverains européens. Louvain n’est plus que l’ombre d’elle-même. Dans un esprit de réforme, l’empereur Joseph II supprime la Faculté de théologie en 1786, au profit d’un séminaire général. Dix ans plus tard, l’Université est fermée par le régime français notamment parce que la plupart des prêtres ont refusé de prêter serment de fidélité à la République et de haine à la royauté. Le recteur Havelange est déporté à Cayenne en Guyane, où il mourra. Le matériel utilisable et les livres sont transférés à Bruxelles dans le cadre de la création d’une « École centrale ».
L’Université de Louvain ayant disparu, le régime français va assurer progressivement la relève. En 1806, il crée à Bruxelles une « École de droit ». Quatre ans plus tard s’ajoutent les facultés de lettres et de sciences, mais elles restent embryonnaires.
Dès 1815, le régime hollandais va donc s’atteler à la réorganisation des universités. Comme les provinces du Nord sont dotées de trois établissements, Leyde, Utrecht et Groningue, Guillaume 1er décide de créer trois universités d’État dans les provinces du sud : Gand, Louvain et Liège. Louvain aurait en principe dû compter une Faculté de théologie, mais elle dut y renoncer, faute d’accord entre les parties concernées. Dix ans plus tard, Guillaume 1er crée un « collège philosophique » à Louvain et contraint tous les futurs séminaristes à y passer. Pour l’Église, c’est inacceptable, et les catholiques entrent ouvertement en opposition avec la politique du roi de Hollande.

LE RETOUR DES CATHOS

Après la révolution belge, le jeune État doit gérer trop de problèmes pour pouvoir s’intéresser directement aux universités. L’Église, qui a obtenu d’inscrire dans la Constitution la liberté de l’enseignement, souhaite rétablir l’ancienne Faculté de théologie et l’ensemble de l’ancienne université de Louvain afin de contribuer à la rechristianisation du pays après la tourmente révolutionnaire. Comme l’université d’État de Louvain, mise en place par le régime hollandais, est en attente de connaître le sort que lui réservera le nouveau gouvernement belge, l’épiscopat installe la nouvelle université à Malines en 1834. Elle sera désormais explicitement « catholique ». C’est d’ailleurs en opposition à cette initiative qu’un groupe de francs-maçons créera la même année à Bruxelles une université basée sur le libre examen.
En 1835, le gouvernement décide de maintenir une université d’État à Gand et Liège, mais renonce à celle de Louvain. Aussità´t, l’épiscopat déplace dans cette ville la jeune université née un an plus tà´t. Le projet de restauration de l’ancienne université se concrétise.
Comme elle ne doit avoir aucun lien avec l’État, sa direction est confiée aux évêques. Pendant plus d’un siècle, ils seront indirectement les « patrons » de la jeune institution. Eux seuls nomment le recteur, alors que dans l’ancienne université, il était désigné par ses pairs. Il faudra attendre les années 60 et la scission de l’Université pour que les évêques renoncent à l’essentiel de leurs pouvoirs au profit d’un conseil d’administration, composé essentiellement de laà¯cs. Paradoxalement, c’est à ce moment que les intitulés « UCL » et « KULeuven » s’imposent définitivement. Avant la scission, on parlait encore généralement de « l’Université de Louvain ».

QUELLE OUVERTURE ?

Dans l’ouvrage rédigé en 1975 à l’occasion des 550 ans de l’université (1), les auteurs n’hésitaient pas à écrire : « Y a-t-il encore de la place dans l’Église, après Vatican II, pour des universités catholiques ? Et si oui, dans quelle mesure la formule ne doit-elle pas être profondément repensée ? » Sans répondre à la question, ils constataient que « des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent au sein même de la communauté universitaire pour poser le problème et proposer parfois des solutions radicales ». Ils observaient également une évolution tendant à « déconfessionnaliser l’enseignement universitaire et de substituer à l’ancienne conception d’un milieu protégé, la recherche d’une formation qui éduque à la responsabilité, encourage l’initiative et prépare à la rencontre avec tous les hommes ».
Celle-ci passe-t-elle désormais par l’abandon du « C » dans le nom de l’université ? C’est la question que certains n’ont pas hésité à poser.

Paul de THEUX

(1) L’Université de Louvain, 1425-1975, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 1975.

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