Vous êtes ici: Archives / Numéros parus / N°395

ÉMILIE DEQUENNE : « J’AIME QUAND C’EST INTENSE »

Dans Chez nous, le nouveau film de Lucas Belvaux, la comeÌ dienne belge est Pauline, une infirmieÌ€re aÌ€ domicile embrigadeÌ e par un parti d’extreÌ‚me- droite. Un beau parcours depuis Rosetta des freÌ€res Dardenne en 1999.

« Je n’ai jamais craint de rencontrer les journalistes. Le travail est fait, je ne peux rien changer et per- sonne ne peut me prendre l’expeÌ rience que j’ai veÌ cue. Et je ne suis ni inquieÌ€te, ni stresseÌ e par la sortie de Chez nous, c’est un film engageÌ que je suis fieÌ€re d’avoir fait. » Le regard franc, EÌ milie Dequenne deÌ fend avec son naturel coutumier un long meÌ trage qui, sorti aÌ€ quelques semaines de l’eÌ lection preÌ sidentielle française, apparaiÌ‚t comme une nouvelle mise en garde contre le vote extreÌ miste. La diffusion de sa bande annonce fin 2016 a d’ailleurs eÌ teÌ treÌ€s mal accueillie par plusieurs responsables du Front National (FN) en France.
AÌ€ HeÌ nard, une petite ville du nord de la France dont le nom eÌ voque HeÌ nin-Beaumont, ancienne citeÌ minieÌ€re du Pas-de- Calais dont le maire est FN, une infirmieÌ€re aÌ€ domicile, qui eÌ leÌ€ve seule ses deux enfants, est recruteÌ e par le Bloc patriotique pour les eÌ lections municipales. ApreÌ€s avoir heÌ siteÌ , convaincue par le meÌ decin local, cette jeune femme sympathique que « tout le monde connait et aime » finit par accepter. Contre l’avis de son peÌ€re, ancien ouvrier com- muniste. En quelques jours, sa vie va changer. Jusqu’aÌ€ lui eÌ chapper. « Ton image ne t’appartient plus », s’entend-elle reÌ pondre lorsqu’elle s’en inquieÌ€te.

DEÌ SILLUSION ET COLEÌ€RE.

« Lucas Belvaux n’est pas du tout dans le jugement, explique la comeÌ dienne. Pauline porte en elle, comme beaucoup de gens, une deÌ sillusion, une coleÌ€re dont les partis d’extreÌ‚me-droite se nourrissent. Avant, j’eÌ tais un peu deÌ sarmeÌ e, je ne savais pas comment argumenter face au fait que des gens puissent ainsi basculer. Ce film le montre d’une manieÌ€re treÌ€s pertinente. Pauline n’est absolument pas raciste ni antiseÌ mite, et elle croit que le parti ne l’est pas. Mais un grand nombre d’eÌ lecteurs, deÌ sabuseÌ s, ferment les yeux sur cet aspect-laÌ€. Elle est convaincue de pouvoir aider les gens, elle sait treÌ€s bien ce qu’elle in- carne, elle connaiÌ‚t ses valeurs. Pour elle, elle a raison et les autres ont tort. »

NeÌ e en 1981 aÌ€ Beloeil, dans le Hainaut, d’un peÌ€re menuisier et d’une meÌ€re secreÌ taire, Emilie Dequenne est entreÌ e dans la peau de quelque vingt-cinq personnages depuis la reÌ veÌ lation de Rosetta en 1999. Un film tourneÌ aÌ€ dix-sept ans qui lui a valu un prix d’interpreÌ tation au Festival de Cannes, tandis que les freÌ€res Dardenne eÌ taient les premiers Belges aÌ€ y remporter la palme d’or. Quand elle les a rencontreÌ s, a-t-elle confieÌ au magazine So Film, « j’eÌ tais blonde platine, les sourcils meÌ ga eÌ pileÌ s, sur des platform shoes de 15 cm, une mini-jupe moulante et maquilleÌ e comme une voiture voleÌ e ».

TRAVAIL SUR SOI.

Ce qui ne l’a pas empeÌ‚cheÌ e d’eÌ‚tre choisie car ce roÌ‚le d’une jeune fille qui se bat pour retrouver un emploi eÌ tait pour elle, elle le savait. « Je voulais eÌ‚tre comeÌ dienne pour jouer, tout simplement  », se souvient celle qui faisait du theÌ aÌ‚tre amateur. Pour elle, jouer c’est une façon de se deÌ passer, et d’ainsi mieux se connaiÌ‚tre, d’opeÌ rer un travail sur soi. Les films qui ont suivi, de genres treÌ€s diffeÌ rents, ont fait d’elle une actrice de premier plan aujourd’hui. «  Je ne cherche pas aÌ€ courir apreÌ€s le personnage, je le laisse venir aÌ€ moi, explique-t-elle. C’est difficile de mettre des mots sur un processus inteÌ rieur. Je n’ai aucune strateÌ gie ou plan de carrieÌ€re, je fais simplement ce que j’aime. J’y vais aÌ€ l’instinct, si j’ai le moindre doute, je n’y vais pas. Tant mieux si je suscite des deÌ sirs treÌ€s diffeÌ rents chez les metteurs en sceÌ€ne. Je veux leur donner ce qu’ils attendent meÌ‚me si j’arrive avec mes propres eÌ motions. »
EÌ milie Dequenne a joueÌ plusieurs films aÌ€ dimension sociale, voire socieÌ tale, interpreÌ tant des personnages ancreÌ s dans la vie quotidienne dans lesquels les spectateurs peuvent se reconnaiÌ‚tre : une femme de meÌ nage qui perd son appartement, une chanteuse qui ne parvient pas aÌ€ percer, une ancienne deÌ linquante, une fille qui invente s’eÌ‚tre faite agresser dans le RER, une coiffeuse qui tombe amoureuse d’un prof de philo, une meÌ€re qui tue ses enfants... « Je m’engage toujours aÌ€ fond quand je deÌ cide de faire un film, quel qu’il soit, un drame, une comeÌ die ou un polar, commente-t-elle. Mais je ne veux pas servir de modeÌ€le. Je ne me soucie pas de l’image que je donne, seul compte le fait que le reÌ alisateur soit content de moi. »

DEUX MAGRITTE.

« Je n’ai jamais accordeÌ plus d’importance aÌ€ un film qu’aÌ€ un autre, ajoute-t-elle. La presse, le public peuvent dire que tel ou tel roÌ‚le est plus important, mais moi, je n’en ai pas le droit. Quand je signe pour un film, il est toujours important. » En bientoÌ‚t vingt ans, la trentenaire a reçu plusieurs prix, notamment deux Magritte du cineÌ ma belge. Son personnage de meÌ€re infanticide dans AÌ€ perdre la raison, du Belge Joachim Lafosse, lui a notamment valu trois statuettes. «  Ces roÌ‚les tragiques ne sont pas les plus difficiles aÌ€ interpreÌ ter, au contraire, preÌ cise-t-elle. Un roÌ‚le non eÌ motionnellement chargeÌ , sans faille, est plus compliqueÌ . La densiteÌ eÌ motionnelle d’un personnage est une chose riche, motivante, captivante. On se perd dans le travail, c’est plus jubilatoire, une sorte d’eÌ nergie, d’intensiteÌ se met en place. »
Quant au succeÌ€s, il n’a pas perturbeÌ cette authentique op- timiste qui est resteÌ e treÌ€s simple et directe. « Commencer avec les Dardenne, c’est une leçon d’humiliteÌ , se reÌ jouit-elle. Je ne fais pas ce meÌ tier pour les prix. Ils sont d’ailleurs tous chez mes parents, je ne me vois pas tellement les exposer chez moi. Cela vient de mon eÌ ducation. J’ai eu la chance d’eÌ‚tre toujours bien entoureÌ e, d’avoir de vrais amis. » Et eÌ‚tre meÌ€re aÌ€ vingt-et-un an, cela n’a- t-il pas eÌ teÌ une geÌ‚ne dans son travail ? Elle eÌ clate de rire. « Pourquoi ? Je suis comme n’importe quelle meÌ€re, j’ai meÌ‚me plus de temps que la majoriteÌ d’entre elles. Et puis, ce n’eÌ tait pas treÌ€s jeune, dans ma famille, c’eÌ tait comme ça, les meÌ€res ont leur enfant aÌ€ cette aÌ‚ge-laÌ€.  »
Dans quelques semaines, EÌ milie Dequenne sera aÌ€ l’affiche du nouveau film d’Albert Dupontel, Au revoir laÌ€-haut, adapteÌ du prix Goncourt best-seller de Pierre LemaiÌ‚tre. Elle y interpreÌ€te la soeur d’un poilu de 14-18 qui, avec un camarade de trancheÌ es, se lance dans une escroquerie aux monuments aux morts. â– 

Chez nous. Un film de Lucas Belvaux, avec EÌ milie Dequenne, AndreÌ Dussollier, Guillaume Gouix, Catherine Jacob, Anne Marivin, Patrick Descamps. Sortie en Belgique le 1er mars.

Mot(s)-clé(s) : Le plus de L’appel
Partager cet article
Vous êtes ici: Archives / Numéros parus / N°395