TEMPS DE MUE POUR LES ABBAYES.
Retirés du monde tout en y étant pleinement insérés, havres de paix et lieux de recueillement, les monastères et les abbayes de Wallonie constituent des fleurons du paysage spirituel de la Région. Bon nombre d’entre elles ont aussi acquis des lettres de noblesse plus terre-à-terre, en se distinguant par exemple par la qualité et l’originalité de leurs bières ou de leurs fromages. Bref, monastères et abbayes font aujourd’hui intrinsèquement partie de notre patrimoine tant religieux (et immatériel) que matériel.
De par leur caractère imposant et irremplaçable, ces hauts lieux nous semblent éternels. Nos grands-parents ne nous en parlaient-ils pas déjà, et sans doute leurs parents, avant eux, en avaient-ils fait de même ? L’histoire de tous ces lieux ne paraît-elle pas remonter au Moyen-Âge ? C’est exact dans certains cas, mais ce ne l’est pas dans d’autres, car certains de ces sites renommés ne sont parfois âgés que d’à peine un siècle, voire d’un demi-siècle.
Mais, quel que soit leur âge, monastères et abbayes ne sont peut-être pas aussi impérissables qu’on le croit. Depuis la fin du XXe siècle, bon nombre d’entre eux sont touchés par un mal difficile à guérir : le vieillissement de leurs occupants, et leur non-renouvellement par des gé- nérations plus jeunes. Tant et si bien que la question de l’avenir de plusieurs de ces espaces spirituels n’est plus seulement une problématique abstraite, mais bien terriblement concrète.
Cela fait des années que, aux quatre coins de notre pays, des communautés monacales se sont vues réduites à quelques religieux ou religieuses âgés. À plusieurs endroits, des couvents de religieuses, notamment, ont déjà été amenés à mettre la clé sous la porte, en préférant voir plusieurs de leurs communautés se regrouper, ou s’organiser sur un mode différent, et parfois très original.
Il s’agissait souvent là de petites institutions, et on pouvait se douter que la question de leur avenir surgirait un jour ou l’autre. On imaginait moins que ce souci toucherait aussi, de la même manière, des organisations qui pouvaient paraître plus solides, du moins vues de l’extérieur. Or, il semble bien que, à l’heure actuelle, les murs de plusieurs lieux monastiques bruissent de bruits divers à propos de leur futur. Des visiteurs réguliers de ces endroits y ont par- fois entendu évoquer de possibles rapprochements, voire d’éventuelles fusions, ou la mise sur pied de nouveaux projets qui assureraient le devenir des sites. L’idée d’une adaptation ou d’une reconversion ne semble en tout cas souvent pas exclue.
Certaines de ces transformations ont, semble-t-il, déjà été définies et adoptées, tandis que d’autres sont encore au stade de discussions. Dans la plupart des cas, ces mutations peuvent revêtir un caractère sensible, puisqu’il s’agit souvent d’accorder sur un projet des acteurs différents, dont les intérêts ou les préoccupations ne sont pas naturellement convergents.
Cela explique qu’il soit difficile d’en parler à l’extérieur (et a fortiori dans les médias) et d’en faire la promotion avant que tout n’ait été définitivement réglé, comme l’ont parfois constaté les journalistes de L’appel.
Quoi qu’il en soit, le paysage monastique de la Wallonie (mais aussi de la Flandre, et d’autres régions proches) va sans doute lentement se transformer au cours de ces prochaines années. Certains clichés liés à la vie dans les abbayes ou de leurs occupant·e·s vont sans doute appar- tenir, au fil du temps, au tiroir des images d’Épinal d’un passé quelque peu révolu. Et ce ne sera peut-être pas un mal.
Mais il est sûr que ces transformations ne signifieront pas la fin de l’esprit monastique et de la richesse spirituelle des lieux qui les hébergent. Les questions de sens resteront toujours nourries par ces oasis de sérénité. Et cela, c’est essentiel.
Frédéric ANTOINE
Rédacteur en chef