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Edito

LE CRAQUAGE DE L’ALLUMETTE.

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Combien de temps une allumette brûle-t-elle après qu’on l’a craquée ? « Tout dépend de comment on la tient  », répondent les experts. Verticalement ou inclinée, sa durée de vie sera différente. La présence de ventilation jouera aussi. Mais, si l’allumette que l’on utilise est bien ce morceau de bois, au bout le plus souvent couvert de soufre, que l’on extrait d’une pe- tite boîte, on s’accorde à dire qu’elle s’éteindra toute seule au bout de 10 à 20 secondes. Si on la tient entre ses doigts, il y a de fortes chances que son existence soit plus brève encore.

Il est fascinant, ce petit bout de bois qu’il suffit de frotter sur un grattoir pour que se dégage une éclatante lumière jaune, issue d’une combustion incomplète du carbone. Une lueur mâtinée de bleu pâle à sa base, là où la température est la plus élevée.

Une allumette se met à briller, et un peu de lumière vacillante, réveille les ténèbres. Qui ne se souvient de leur rôle essentiel dans le triste conte La petite fille aux allumettes, rédigé par le danois Hans Christian Andersen quelques jours avant la Noël 1845, il y aura bientôt 190 ans ? Perdue dans une rue enneigée, la veille du jour de l’an, une fillette aux pieds nus en vient à brûler toute sa boîte d’allumettes, moins pour se réchauffer que pour voir apparaître sa grand- mère. Et meurt de froid au petit matin. En « goûtant maintenant dans les bras de sa grand-mère la plus douce félicité »...

La fête de Noël ressemble beaucoup à la dernière allumette de la petite fille d’Andersen. Elle ne dure pas plus longtemps que les autres, quelques secondes seulement, mais sa brillance semble bien plus longue que celle des allumettes ordinaires. Comme si elle ne devait jamais s’éteindre.

Noël est investi de tant d’espoirs, de rêves, de symboliques, qu’on espère éternelle l’allumette craquée à ce moment-là, ou lors de la soirée qui le précède. Paix, amour, retrouvailles, réconciliations, pardons... À Noël, tout semble non seulement possible, mais ré- alisable. Comme si les allumettes avaient alors un air de baguettes magiques. Qui ne souhaite pas chaque année que cette fête soit celle de la trêve, du moment où, au sens propre comme au sens figuré, on remise les armes et on oublie les animosités, ne serait-ce que pour un temps. Comme si les Béatitudes de l’Évangile devenaient, ne fût-ce que pour quelques heures, non une promesse pour l’au-delà, mais une réalité de l’aujourd’hui.

À l’instar de la petite fille d’Andersen, le craquage de l’allumette de Noël a le pouvoir de laisser croire que tout peut s’arranger, que les êtres peuvent changer. Et que, en définitive, au fond de chacun, il y a toujours quelque chose de bon.

Mais il arrive aussi que le charme de l’allumette ne dure que le temps de sa flamme. Le jour de Noël ne répond pas toujours aux espoirs qu’on lui avait confiés, et ce qui fait la condition humaine peut aussi parfois ramener ce jour-là à de dures réalités, qu’on aurait espéré effacées ou disparues.

Elle est fugace, l’étincelle de l’allumette de Noël. Pour qu’elle dure davantage, elle ne peut se contenter d’être un éclair instantané. Pour que l’allumette de Noël brille vraiment, son craquage doit avoir été précédé par d’autres. Noël est la fête que l’on met le plus de temps à préparer. Dans ce cadre, enflammer de temps à autre une petite allumette permet d’illuminer de chaudes lueurs les vies, les cœurs et... les logis. Réelles ou symboliques, les allumettes d’avant Noël sont presque aussi importantes que celle du jour de la Nativité. Il ne faut jamais le perdre de vue. ■

Frédéric ANTOINE, Rédacteur en chef du magazine L’appel

Mot(s)-clé(s) : L’édito
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