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Francis VAN DE WOESTYNE « Je suis plus dans l’espérance que dans la certitude »

Journaliste politique depuis 1983 à La Libre Belgique, dont il a été rédacteur en chef de 2013 à 2017, Francis Van de Woestyne, 62 ans, reste éditorialiste en chef et rencontre pour le journal des personnalités qui lui confient leurs « états d’âme ». Mais quels sont les siens ?

Depuis le premier janvier 2018, vous n’exercez plus la fonction de rédacteur en chef de La Libre Belgique. Pour des raisons professionnelles ? Personnelles ?
— Les deux. La Libre Belgique connaît une période de transition numérique. Cette nouvelle manière de faire et de lire l’information va prendre de plus en plus d’importance. En accord avec la direction, j’ai pensé qu’il était bien de confier er les rênes à un jeune journaliste, Dorian de Meeûs, qui appartient à la génération de cette évolution technologique et des réseaux sociaux. Je quitte aussi ce poste pour des raisons personnelles, suite au décès accidentel de notre ls Victor, en novembre 2016, qui nous a bouleversés. Le travail de rédacteur en chef est lourd, prenant. Il faut être en pleine capacité.
— Vous restez éditorialiste. Comment concevez-vous cette responsabilité ?
— J’ai déjà exercé cette fonction et elle me plait. Il ne s’agit pas, pour moi, d’imposer lourdement ma façon de penser, mais plutôt de proposer une réflexion, une grille de lecture. Les lecteurs sont demandeurs d’un journal engagé, qui prend position, mais pas de manière directive. Nous le voyons dans leurs réactions. C’est un exercice intéressant. Il s’agit à chaque fois de choisir un sujet, de se documenter auprès d’interlocuteurs, de clarifier sa pensée. Je garde en général une idée avec deux ou trois arguments. Il me faut trouver les mots justes, ramasser le propos et être attentif à l’écriture, au style. Les lecteurs réagissent beaucoup. Il y a du répondant, ce qui est très stimulant.
— Sur le contenu, vous suivez une ligne de conduite ?
— Je n’ai pas d’injonction. J’essaye d’être indépendant et honnête intellectuellement. Notre charte journalistique précise quelques grandes valeurs humanistes, comme le respect des personnes. Elle affirme aussi notre inspiration chrétienne. Sur le plan économique, sans que cela soit précisé texto, on pourrait dire que nous sommes de centre-droit. C’est-à-dire favorables à la libre entreprise, à l’économie de marché, mais socialement corrigée. Une des valeurs du journal est aussi la solidarité. Ainsi, à propos de ceux qui accueillent des migrants, j’ai parlé de « nouveaux justes ». Certains lecteurs m’ont reproché cet édito solidaire, mais nous maintenons cette ligne.
— D’où vous est venue l’envie de faire du journalisme ?
— Mon père s’intéressait à la politique. Il admirait John Kennedy et a acheté une télévision à l’occasion de son décès. Il regardait tous les soirs le journal télévisé et il était fasciné par le Premier ministre de l’époque, Gaston Eyskens. Je le regardais avec lui, mais j’étais davantage impressionné et intéressé par Frédéric François, le journaliste qui interrogeait l’homme politique de manière un peu impertinente. Mon goût pour le journalisme et la politique est venu de là. Après mes humanités, j’ai suivi des études de journalisme à l’IHECS.
— Pourriez-vous dire quelques mots sur votre environne- ment familial ?
— Je suis né en 1955. Nous habitions Tihange, près de Huy. C’était un simple village à la campagne, la centrale n’existait pas en- core. J’ai été assez influencé par mon grand-père maternel, Louis Renard, qui était maçon et poète wallon. Mon père était ouvrier communal et d’origine flamande. Il a atterri un peu par hasard en région wallonne, où il a rencontré ma mère. J’ai eu une enfance sans problème, heureuse, proche de la nature, dans une famille avec beaucoup d’amour. Une vie simple qui donne des bases, un milieu chrétien où l’on va à la messe. J’ai fait le cursus classique, catéchisme, communion. C’était une éducation ouverte, mais sans grandes discussions philosophiques ou religieuses. De ma mère, j’ai gardé la con-
fiance dans la vie. Mon père ajoutait à cela de la joie. J’ai été nourri de ces deux forces qui m’ont aidé plus tard.
— En 1978, vous entrez à La Gazette de Liège, édition locale de La Libre. Ce type de journalisme est un bon écolage ?
— J’ai fait pendant un an du journalisme de terrain. J’ai suivi les faits divers, l’actualité judiciaire, les conseils com- munaux, et plus largement l’actualité politique liégeoise, la crise de la sidérurgie wallonne. C’est une bonne école de la rigueur, car si l’on commet une mini erreur dans un article, les lecteurs sont de suite là pour le signaler.
— Cinq ans plus tard, vous intégrez La Libre à Bruxelles...
— On a fait appel à moi suite au départ de deux journalistes pour Le Vif. Pendant huit ans, j’ai vécu les oreilles et les yeux grands ouverts dans la proximité de ces deux grandes gures du journalisme politique qu’étaient André Méan et Guy Daloze. Ils m’ont emmené dans leur sillage, dans les endroits que fréquentaient les hommes politiques pour recueillir ce qu’on appelait les « vents favorables ». Une proximité saine et intelligente, sans connivence suspecte.
— Qu’y a-t-il de motivant dans ce type de journalisme ?
— Essayer de clarifier ce qui est complexe, compliqué. J’ai ainsi été chargé d’expliquer les enjeux des réformes institutionnelles, le budget de l’État, et de suivre les partis flamands parce que j’avais des capacités en néerlandais. J’ai été biberonné à la rigueur, à la vérification rigoureuse de l’information.
— Êtes-vous également attentif à la qualité de l’écriture ?
— Pour exercer ce métier, on doit posséder des facilités d’écriture, mais ce n’est pas inné. J’ai ainsi apprécié le style fluide, épuré sans être pédant de l’ancien rédacteur en chef, Jacques Franck. Ou de certains journalistes de la presse française qui, heureusement, attachent énormément d’importance à l’écriture.
— Aujourd’hui, la situation financière des journaux reste
difficile. Que faire pour assurer la pérennité du journal ?

— Il ne faut pas trop se laisser influencer par la légèreté et la rapidité des réseaux sociaux, mais continuer ce que l’on fait, évoluer et être attentif à l’équilibre financier. L’audience globale de La Libre papier et numérique est en hausse. Or il y a quelques années, certains pensaient que la presse comme la nôtre al- lait être balayée par internet. La concurrence ne vient pas, principalement, des autres journaux, mais des géants du net, ceux qu’on appelle les GAFA, Google-Apple-Face-
book-Amazon. Nous sommes là pour continuer à donner de l’analyse, des mises en perspective, des éditoriaux qui ont tous leur raison d’être face à ces vagues d’informations continues. Voilà notre plus-value. Le support papier, dans une dizaine d’années, sera peut-être moins fréquent, moins présent, mais les journaux ont encore un bel avenir. Les gens auront toujours besoin d’une information compréhensible, analysée par des journalistes professionnels.
— Il y a un an et demi, votre fils Victor décédait accidentellement à l’âge de treize ans. Après un tel évènement, on ne voit plus le monde de la même manière ?
— C’est plus qu’un bouleversement. On est complètement dévasté. Je mentirais en disant qu’aujourd’hui, ça va mieux. Je suis de nature plutôt optimiste, mais cela reste très dur. Nous sentons en nous une force intérieure qui nous pousse à aller travailler, mais c’est diffcile. J’ai donc réorienté mes fonctions au sein de la rédaction et modifié ma manière de travailler. Je me suis lancé dans une série d’interviews de personnalités sous la rubrique États d’âme. Ces rencontres m’apportent un regard plus large sur la vie et une certaine sérénité. Nous sommes heureusement bien entourés par nos enfants et nos amis. Nous essayons de donner du sens à ce qui n’en a pas. Et nous avons lancé une fondation qui porte le nom de Victor.
— De quoi s’agit-il ?
— Comme notre fils était passionné de lecture, nous avons pensé très vite créer en sa mémoire, via une fondation, quelque chose qui encourage les jeunes à lire. Si l’on peut déclencher le goût de la lecture chez les 13 ans et plus, nous en serions heureux. Nous avons quelques projets en cours, dont la création d’un prix, en association avec le prix Farniente. Un jury a sélectionné cinq livres que lisent actuellement sept cents adolescents de treize à quinze ans. Leur ouvrage préféré sera primé. Nous avons mis cette phrase en exergue : « Un enfant qui lit sera un adulte qui pense. » Nous ne savons pas d’où elle vient, mais nous l’aimons beaucoup.
— Que vous apportent les rencontres pour la série États d’âme ?
— Ce sont autant de rencontres inspirantes, de moments très forts où l’interlocuteur parle de la vie, de la mort. On peut trouver chez n’importe qui un moment de sincérité, d’humanité, de profondeur terriblement touchant. Par exemple, Bouli Lanners qui ose afficher sa foi. Ou Philippe Maystadt qui a parlé courageusement de sa maladie et a révélé de manière abrupte que, pour lui, il n’y avait rien après la mort, mais que cela le laissait serein.
— Suite au décès brutal et accidentel d’un proche, d’un enfant qui plus est, on se pose inévitablement des questions existentielles. L’accompagnement chrétien, dans ces circonstances, vous a-t-il aidé ?
— Oui, il aide. Mais dire que les propositions chrétiennes face à la mort d’un enfant apportent toutes les réponses, évidemment non. Des questions restent sans réponse. Pourquoi lui ? Cette interrogation-là sera toujours présente et source d’une immense tristesse. Je suis plus dans l’espérance que dans la certitude. Je me sens porté par les paroles de Gabriel Ringlet : « Les morts cheminent avec nous. » Elles m’aident énormément. Cela veut dire qu’à défaut de la présence physique de nos défunts, on peut ressentir ce que l’on pourrait appeler de manière spirituelle ou poétique leur « soufffe ». François Mitterrand disait à Marie de Hennezel : «  Je crois aux forces de l’Esprit. » Je suis aussi dans cette référence-là. Elle me parle. Les valeurs reçues dans mon éducation chrétienne constituent bien une référence, mais le discours officiel de l’Église ne m’aide pas tellement. J’ai besoin que ce discours soit en quelque sorte « traduit » poétiquement par des gens comme Gabriel Ringlet. Il est difficile de se raccrocher à la foi traditionnelle dans la résurrection. Il faut continuer à vivre au jour le jour, et le chemin est long, escarpé.
— Dans le dictionnaire figure le mot Dieu, et chacun peut, ou non, y ajouter un qualificatif. Lequel choisiriez-vous ?
— Je dirais que Dieu est une inspiration, mais que les
définitions qu’en donne le credo ne me parlent pas tellement. J’aime aller dans les églises, mais pas nécessairement lors de messes classiques ou traditionnelles. Quelques prêtres ont heureusement une manière de vivre et de proposer une démarche spirituelle plus libre avec laquelle je peux me sentir bien. J’assume le qualificatif de chrétien, mais je n’aime pas les étendards. Je ne suis pas un militant ou un prosélyte. Pour moi, le message du Christ est évidemment important et très moderne. Je suis heureux de la présence du pape François. On voit ainsi l’inspiration de ce message, par exemple dans l’accueil des migrants que lui et les évêques encouragent, et je les soutiens.
— Que trouvez-vous de réconfortant dans la vie malgré tout ?
— La vie de couple, les autres enfants qui sont debout et qui progressent, la famille en général, les amis, les belles rencontres. Physiquement, la marche est aussi une activité qui me ressource et est apaisante. Ce qui me désole, c’est
l’indifférence. On amasse des richesses parfois futiles au lieu de s’enrichir intérieurement. ■

Propos recueillis par Gérald HAYOIS

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