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Gabriel Ringlet : « EÌ LIE A REÌ VEILLEÌ EN MOI L’ENFANT DE TOUJOURS »

Dans son dernier livre, Va ouÌ€ ton coeur te meÌ€ne, Gabriel Ringlet raconte l’histoire d’EÌ lie, le propheÌ€te qui s’est converti aÌ€ un Dieu reÌ solument non violent. Il se sert de son itineÌ raire pour deÌ crypter le preÌ sent et deÌ livrer un testament spirituel.

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Lorsqu’EÌ lie surgit dans la Bible, c’est pour servir un Dieu tonitruant, flamboyant, m’as-tu-vu, maiÌ‚tre de la seÌ cheresse et de la pluie. Il s’oppose au roi Achab et combat les partisans du dieu Baal avec une violence inouïe. Mais au sommet de la
montagne Horeb, il deÌ couvre un tout autre Dieu, fragile, un Dieu poeÌ€me, qui se tient dans l’en bas de l’obscuriteÌ . Dans Va ouÌ€ ton coeur te meÌ€ne, abandonnant l’essai pour un reÌ cit palpitant, Gabriel Ringlet retrace le parcours de celui qu’il consideÌ€re comme l’un des plus grands propheÌ€tes de la Bible, avec Moïse. Avec lui, il s’interroge sur l’image que chacun se fait de la diviniteÌ .

Le propos reste d’actualiteÌ , d’autant plus qu’EÌ lie fait une conversion aÌ€ l’envers. Il deÌ couvre que Dieu n’est pas, comme il le croyait, triomphant et tout puissant, mais se reÌ veÌ€le dans un souffle teÌ nu, dans le murmure d’un silence qui s’eÌ vanouit. Quel retournement ! Dieu n’est pas dans les calamiteÌ s qui s’abattent sur le monde, il n’arme pas le bras qui tue ses
ennemis, il est preÌ sence discreÌ€te, il creuse la faim et le deÌ sir, releÌ€ve et encourage. Ils ne sont pas nombreux, ceux qui se convertissent dans la douceur.

L’ANGE BOULANGER

Un propheÌ€te, explique le theÌ ologien, n’est pas un devin qui manipule le destin des hommes, c’est quelqu’un d’ancreÌ dans le preÌ sent, d’embarqueÌ dans l’histoire de l’humaniteÌ . Portant sur elle un regard plus peÌ neÌ trant, il tente de deÌ couvrir ce qui se cache au-delaÌ€ des apparences, il fait naiÌ‚tre le poeÌ€me que chacun porte en soi. Les propheÌ€tes d’aujourd’hui ne sont pas les vedettes qui font la une des meÌ dias, mais des personnages de la vie de tous les jours. Dans la Bible, c’est un berger ou un adolescent, des gens toujours ordinaires. Des eÌ‚tres particulieÌ€rement lucides, qui ouvrent des chemins nouveaux. Et s’il fallait vraiment donner des noms, Gabriel Ringlet cite Magda Hollander-Lafon, rescapeÌ e d’Auschwitz qui, aÌ€ nonante-trois ans, encourage les jeunes aÌ€ rencontrer le meilleur de ce qui les habite. Ou Edgar Morin, qui porte un regard exceptionnel sur l’actualiteÌ du haut de ses cent ans.

Chez EÌ lie, la conversion se fait par eÌ tapes. Lorsqu’il s’enfuit au deÌ sert, il entre dans les profondeurs de l’expeÌ rience deÌ pressive. Tout s’eÌ croule autour de lui et il aimerait mourir de faim et de soif. Et laÌ€, un ange boulanger vient aÌ€ son chevet, le touche deÌ licatement et lui apporte une galette et de l’eau. Une façon de dire que, dans les pires moments de l’existence, il y a peut-eÌ‚tre encore un souffle de vie qui cherche aÌ€ s’exprimer. L’homme s’en empare avant de se rendormir. On ne sort pas si vite que cela d’une deÌ pression, c’est un chemin aÌ€ reÌ peÌ tition et la Bible est aÌ€ cet eÌ gard treÌ€s psychologique. Pour faire eÌ cho aÌ€ l’actualiteÌ , on peut se demander comment le monde va sortir de ce temps, ouÌ€ chacun s’est retireÌ dans le deÌ sert du confinement. Va-t-on reprendre la vie comme avant ?

VIVANT ET INSAISISSABLE

C’est en descendant de la montagne qu’EÌ lie va inteÌ grer ce Dieu du souffle teÌ nu, qu’il vient de croiser et qui le perturbe compleÌ€tement. DerrieÌ€re lui, l’ange veille pour qu’il ne s’eÌ croule pas, qu’il ne s’effondre pas dans une deÌ pression en- core plus grave. « Il n’est pas si facile que cela de croire en ce Dieu du peu, explique Gabriel Ringlet, en un Dieu qui n’est peut-eÌ‚tre pas laÌ€ ouÌ€ je croyais le trouver. Avoir une foi vivante et dynamique, c’est laisser Dieu libre d’eÌ‚tre celui qu’il veut. Dieu n’est pas figeÌ , enfermeÌ dans un dogme, il reste vivant et insaisissable, meÌ‚me lorsqu’il se fait proche. De meÌ‚me, la reÌ surrection se passe sur la pointe des pieds, c’est une petite note de violoncelle au fond du trou, elle nous donne parfois rendez-vous laÌ€ ouÌ€ nous ne l’attendions pas. Qu’est-ce qui fait qu’au moment ouÌ€ l’on trouve que la vie n’a plus de sens, un souffle teÌ nu vienne nous rejoindre ? La reÌ surrection, c’est accueillir l’humble joie au moment ouÌ€ elle se preÌ sente, pour reprendre les mots de Jean Sulivan. »

Et puis, EÌ lie appelle EÌ liseÌ e, dans un geste treÌ€s theÌ aÌ‚tral. Sans dire un mot, il lance sur le jeune homme le manteau avec lequel il s’est cacheÌ le visage pour ne pas voir Dieu au sommet de l’Horeb. C’est le manteau qui a vu Dieu. Une belle image de la vocation, estime le preÌ‚tre. EÌ liseÌ e ne quitte pas tout, tout de suite, comme dans le Nouveau Testament. Avant de suivre EÌ lie, il prend le temps de dire au revoir aÌ€ ses parents et de festoyer avec ses colleÌ€gues laboureurs. La vocation prend son temps et n’est pas neÌ cessairement une deÌ chirure, elle peut emprunter des chemins plus doux. Mais le manteau dans la Bible, c’est aussi le dernier bien du pauvre. Lorsqu’il a une dette aÌ€ rembourser, on peut le lui prendre en gage la journeÌ e, mais on doit le lui rendre pour la nuit. C’est un acte de compassion : « Tu as une dette et il faudra la rembourser, mais pas au point de te rendre la vie impossible. »

FRAGILITEÌ

Dans un envoi vibrant et eÌ mouvant, Gabriel Ringlet confie aÌ€ son dernier petit filleul, qui se preÌ nomme EÌ lie lui aussi, un testament spirituel, un encouragement aÌ€ vivre, comme le suggeÌ€re le titre du livre, repris aux paroles de QoheÌ let. Il est convaincu qu’un preÌ nom peut faire grandir et porter l’enfant, lui tracer un chemin sans que ce ne soit ja- mais enfermant.

Au contact de ce beÌ beÌ , tout est nouveau pour lui, et pas seulement apprendre aÌ€ changer les couches ou aÌ€ donner le biberon. Lors de ses longues promenades quotidiennes avec le petit, sur les sentiers du Brabant wallon, il le voit s’eÌ merveiller de tout et des petits riens de l’existence. Il reÌ apprend donc avec lui l’eÌ merveillement. « C’est lui, le maiÌ‚tre des novices, et moi, l’obeÌ issant. Un enfant ne sait pas ce que veut dire "demain", il vit dans l’aujourd’hui et dans le maintenant. C’est terriblement biblique que d’eÌ‚tre laÌ€, aÌ€ l’instant. Il faut une conversion folle pour vivre au jour le jour avec cette intensiteÌ -laÌ€. » Ce croisement entre la jeunesse et la vieillesse lui inspire de belles reÌ flexions sur la fragiliteÌ des aiÌ‚neÌ s, que la pandeÌ mie a reÌ veÌ leÌ e parfois douloureusement : la vieillesse n’est pas dans l’ouragan, elle n’est pas dans le tremblement de terre, elle n’est pas dans le feu, mais dans un son de fin silence.

Cet enfant, qu’il accompagne au quotidien, a reÌ veilleÌ en lui l’enfant eÌ ternel. Et lui, le vieil enfant, il voudrait lui transmettre la fragiliteÌ , les mots et les gestes qui calment, la preÌ sence des disparus, l’apaisement des peurs et de l’impatience. Pour ce qui est de la foi, le parrain reÌ pond que le petit EÌ lie construira son propre chemin. Comme l’ange boulanger, l’auteur n’appelle pas aÌ€ croire, mais aÌ€ avoir faim « de ce pain qui donne souffle aÌ€ notre chair, qui arrache au deÌ couragement et reÌ pare les blessures  ». â– 

Gabriel RINGLET, Va ouÌ€ ton coeur te meÌ€ne, Paris, Albin Michel, 2021. Prix : 18,10€. Via L’appel : -5% = 17,20€.

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