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JOFROI, FIDEÌ€LE AÌ€ SES ENGAGEMENTS HUMANISTES

AÌ€ 67 ans, le barde wallon continue d’enregistrer des disques et de se produire sur sceÌ€ne. Sa poeÌ sie profonde capte toujours le quotidien, les beauteÌ s de la nature et les tourments actuels. MeÌ‚me s’il admet que bien des choses ont changeÌ .

Sur Cabiac sur terre, le dernier album de Jofroi paru en 2011, figure PrieÌ€re iconoclaste, une chanson qui commence ainsi : « Petit peÌ€re Qui es aux cieux ou bien ailleurs, Pardonne-moi si je preÌ feÌ€re Ne pas croire en tes jours meilleurs, Quand je vois tout ce qu’on peut faire Au nom de Dieu, je suis pas fier.  » BaigneÌ dans l’univers catholique familial et scolaire, son auteur s’explique : «  A la fin de mes anneÌ es de colleÌ€ge, je me suis dit que je n’eÌ tais pas d’accord de croire en Dieu, de penser que ça allait arranger les choses. Je consideÌ rais cela comme une meÌ dication que j’ai compleÌ€tement rejeteÌ e. Ce qui ne m’empeÌ‚che pas de saisir plein de spiritualiteÌ s dans des tas de choses et d’endroits. »

« Cette chanson, je suis alleÌ la filmer preÌ€s d’une petite chapelle en haut d’une montagne, dans un lieu sacreÌ preÌ€s de chez nous , preÌ cise-t-il. Je crois qu’il y a des lieux sacrés. Mais tout cela, pour moi, ce sont des créations de l’homme. J’admets que l’on ait du mal à s’en sortir rien qu’avec notre petit cerveau et que chacun crée ce qui va lui permettre de tenir debout. Alors moi, mon sacré ce sont peut-être l’humain, la planète, l’univers. Tout simplement. Ce sont peut-être les étoiles. C’est aussi le petit oiseau que j’aperçois le matin. Tout cela est là -dedans. C’est la vie. Mais je ne suis pas à la recherche d’une explication. Par contre, je me rebelle quand je vois comment ces explications ont pu servir à travers l’histoire des hommes pour faire tellement de souffrances, de violences de malheurs. Comme encore aujourd’hui, avec tout ce qui se passe. »

FEUX DE CAMP

De Champs, dans la province de Luxembourg, aÌ€ Cabiac, en ArdeÌ€che, ouÌ€ il vit aujourd’hui, Jofroi a traceÌ une fameuse route en chansons. « Il est difficile de dire quand mon aventure musicale a reÌ ellement commenceÌ , reÌ fleÌ chit-il.
Au colleÌ€ge, j’eÌ tais boy scout.C’est un univers ouÌ€ on chante autour du feu de camp. Et un jour, on se met aÌ€ prendre une guitare et aÌ€ eÌ crire une chanson. Cette aventure deÌ bute aussi en fin d’humaniteÌ s, quand j’entends LeÌ o FerreÌ .
Tout change subitement : ça m’apparaiÌ‚t comme une forme d’expression forte, poeÌ tique, humaniste, avec des questions, des coups de poing.
 »

NeÌ dans le Hainaut en mai 1949, il tombe amoureux des Ardennes et s’installe aÌ€ Champs en 1971, apreÌ€s avoir rem- porteÌ un prix aux Automnales de la Chanson aÌ€ Bastogne. « J’ai eu beaucoup de bonheur dans mon cheminement. J’ai rencontreÌ treÌ€s vite des gens comme FeÌ lix Leclerc, Gilles Vigneault ou François BeÌ ranger qui m’ont parfois proposeÌ de faire des premieÌ€res parties de concerts. C’est une peÌ riode ouÌ€ commence aÌ€ eÌ merger un mouvement folk. Et l’eÌ cologie avec Les Amis de la Terre. » Des combats antinucleÌ aires aux luttes du Larzac, il n’est jamais loin. « Je me suis baigneÌ deÌ€s le deÌ but dans Charlie Hebdo, La Gueule ouverte. Tout cela m’a nourri. »

COMBATS ET UTOPIES

Des combats qu’il aime retrouver dans des films comme « Tous au Larzac », « Demain » ou « La Bataille de l’eau noire » de Benjamin Hennot, qui raconte la survie à Couvin et la lutte contre un barrage dans les années septante. « C’est extraordinaire de voir la jubilation de ces gens qui se sont battus et qui ont gagné. Cela fait plaisir parce qu’ils se battaient pour des choses justes. Ils ont réussi. Cela donne des forces. »

De la force et des utopies. « Il y en a plein –“ en fait –“ des utopies... Il y a un monde parallèle de jeunes que je rencontre. Le monde d’aujourd’hui ne leur paraît plus possible tel qu’il est. Le fil de l’écologie continue de se tisser. On voit des gens qui reviennent faire de l’élevage, du maraîchage, des recycleries, qui lancent des paniers de produits locaux, ... C’est vachement soutenu par des jeunes, et c’est heureux, parce que nous , on a déjà un peu mal au dos... » sourit-il.
« À l’époque, nous étions aussi dans les actes et pas seulement dans les discours. Mais aujourd’hui, c’est sans doute moins intellectuel » conclut-il.

UNE EÌ POQUE FORMIDABLE

«  En meÌ‚me temps, j’eÌ tais en Belgique, poursuit-il. Donc l’heÌ ritier de cette fameuse chanson belge, avec Jacques Brel comme peÌ€re, qu’il me fallait eÌ vacuer. Je devais trou- ver ma propre voie. J’ai aussi chemineÌ en paralleÌ€le avec un grand ami, Julos Beaucarne. » AÌ€ Champs, en 1973, il organise un premier festival dans la cour de la ferme. « C’eÌ tait la feÌ‚te, la joie, on eÌ tait rempli d’espoir, se souvient-il. On pouvait tout construire, tout imaginer. On a veÌ cu une eÌ poque formidable. Quand on pense aÌ€ nos enfants et maintenant nos petits-enfants, aujourd’hui, c’est plus dur. Nous sommes dans un monde ouÌ€ il y a des murs de tous coÌ‚teÌ s et on ne sait pas dans lequel on va aller. »
Lors de ce festival, Jofroi rencontre ses futurs musiciens baptiseÌ s par le producteur d’eÌ missions radio Bernard Gillain « les Coulonneux » parce que le meneur du groupe s’appelle Pierre Coulon. Ils rejouent l’anneÌ e suivante et puis enregistrent leur premier disque, Jofroi et les Coulonneux. « On est alors dans une peÌ riode de grand vide, teÌ moigne le chanteur. Autour de Julos, il y a Jacques Hustin, Paul Louka. Au moment ouÌ€ notre disque sort, rien de vraiment nouveau n’a vu le jour depuis dix ans. Mais on est dans un courant qui nous embarque puisque vont suivre AndreÌ Bialek, Christiane Stefanski, Jacques-Yvan DucheÌ‚ne, Philippe Anciaux... Cette eÌ poque est pleine de choses treÌ€s engageÌ es, on joue partout. ». L’aventure avec les Coulonneux durera six ou sept ans.

CONTEUR ET RACONTEUR

ApreÌ€s Champs 74 et Champs 75, les festivaliers rejoignent Floreffe en 1976. Quarante ans plus tard, Bernard Gillain, reÌ alisateur du film Du Temps des cerises aÌ€ Esperanzah ! preÌ senteÌ en aouÌ‚t dernier, rappelait aÌ€ l’artiste qu’il a eÌ teÌ le premier domino de tout ce jeu qui, petit aÌ€ petit, a eÌ volueÌ pour devenir le Festival Esperanzah ! creÌ eÌ aÌ€ l’abbaye de Floreffe en 2002.

AÌ€ coÌ‚teÌ des chansons pour adultes, Jofroi imagine aussi des spectacles pour enfants. Sa passion de raconter, il la doit aÌ€ son ami ceÌ venol, l’eÌ crivain et conteur Jean-Pierre Chabrol. Mais aussi aÌ€ Claude Villers qui preÌ sentait l’eÌ mission Marche ou reÌ‚ve sur France Inter. Il signe ainsi Les Aventures du petit sachem, Le ReÌ‚ve d’Antonin, Grenadine Blues et, plus reÌ cemment, Bienvenue sur la terre, qui raconte l’histoire de l’univers.
«  Aujourd’hui, je suis un peu grand, je me consacre plutoÌ‚t aÌ€ la chanson pour adultes, sourit-il. Je ne pense pas que je remonterai un spectacle pour enfants.  » Ce qui ne l’empeÌ‚che pas de poursuivre ses repreÌ sentations. En feÌ vrier 2017, il sera aÌ€ l’Ile de la ReÌ union pour Le ReÌ‚ve d’Antonin, un spectacle joueÌ plus de six cent cinquante fois.
De retour du QueÌ bec, et avant une tourneÌ e au SeÌ neÌ gal, il confie : « Pourtant le meÌ tier d’auteur et de chanteur n’est pas rose. En Belgique, les artistes ont un mal fou aÌ€ exister et aÌ€ eÌ‚tre reconnus. Cette difficulteÌ est peut-eÌ‚tre compenseÌ e par une technologie qui permet d’enregistrer comme on veut chez soi. Et sans doute, des choses parviennent-elles aÌ€ exister. Mais la grande diffeÌ rence, c’est que dans les anneÌ es septante ou quatre-vingt, il existait des lieux, des salles, des feÌ‚tes. On vivait d’abord la rencontre avec le public et puis on enregistrait. Aujourd’hui, on lance un produit et puis on cherche un public. » Alors quand c’est lancé par les TV, c’est encore autre chose. « Bien sûr, le showbiz existait déjà , mais parallèlement, on pouvait entendre Marie Laforêt, Maxime Le Forestier, François Béranger, Gilles Vigneault, Julos, ... Aujourd’hui tu n’as plus que le disque qui cartonne... Et à la rigueur tu auras quelques alibis : on va te ressortir du Brel fréquemment, bien moins souvent du Brassens, presque jamais du Ferré et jamais du Leclerc, ni du Béranger ! »

CHEMINS INVERSES

De Champs à Cabiac, que de chemins parcourus, avec des allers et venues, mais aussi des surprises...
« Champs, c’est l’endroit où je me pose pour la première fois. Cabiac, c’est celui où je me pose actuellement, un petit hameau de cinquante maisons. Entre Belgique et France, je n’ai cessé d’y aller, de revenir, ... »

Dans ses bagages, Jofroi emmène également des chèvres. « C’est amusant, à Champs, j’en avais ramené quelques-unes des Cévennes. Dans mes premières rencontres, j’avais croisé des gens qui faisaient de l’élevage. J’ai ramené des chevrettes, un petit bouc... et je suis revenu. À Champs, je faisais du fromage que j’appelais du pélardon, comme dans les Cévennes. Et quand j’ai commencé à chanter, à voyager, j’ai revendu les 6 ou 7 meilleures à un jeune gars d’Havelange dans le Condroz. Il s’appelait Christian. Peu de temps après mon installation à Cabiac, je rencontre un ami sur un marché : un Namurois installé depuis trente ans en Cévennes. Il me dit : « Ah, tiens Jofroi, hier avec mon voisin on a réécouté tes chansons ». Il continue : « Tu sais, Vendange, Vignette, Vadrouille...Cela te dis quelque chose ? ». Je dis : « Mais c’est le nom de mes chèvres... ». Christian aussi s’était installé dans la région et les chèvres avaient fait le voyage de retour. Aujourd’hui, c’est le plus gros affineur de Sud Ardèche.  »â– 

Propos recuillis par Stephan GRAWEZ

CD : Cabiac sur terre, paroles et musiques Jofroi, Productions du Soleil, 2011. EÌ coute gratuite sur :http://www.musicme.com/Jofroi/albums/Cabiac-Sur-Terre-3610150160263.html
AÌ€ lire : Jofroi, De Champs la rivieÌ€re aÌ€ Cabiac sur terre, Saint-Privas-de- Champclos, EÌ ditions du Soleil, 2013. : www.jofroi.com

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