KARLIJN DEMASURE LUTTE CONTRE LA PEÌ DOPHILIE DANS L’EÌ GLISE

Depuis plus de vingt ans, la docteure en theÌ ologie belge meÌ€ne un dur combat pour proteÌ ger les mineurs et les personnes vulneÌ rables contre toutes les formes de peÌ dophilie commises par des personnes consacreÌ es. En meÌ‚me temps, elle appelle aÌ€ une reÌ forme en profondeur du corps eccleÌ sial aÌ€ l’eÌ chelle planeÌ taire.

Ce sont les femmes qui tiennent l’EÌ glise debout. Elles ont des projets et imaginent un avenir pour l’EÌ glise, difeÌ rent, plus juste. C’est le cas de la Belge Karlijn Demasure. Docteure en theÌ ologie de la KU Leuven et professeure aÌ€ l’UniversiteÌ pontificale greÌ gorienne, elle a aussi dirigeÌ pendant quatre ans le Centre for Child Protection (CCP), le Centre pour la Protection de l’Enfance de l’universiteÌ pontificale greÌ gorienne. Depuis un quart de sieÌ€cle, elle ne meÌ nage pas ses efforts pour tenter d’eÌ radiquer ce cancer qui ronge l’EÌ glise depuis des deÌ cennies : les abus sexuels commis par des preÌ‚tres et des diacres. Ce mal profond a beaucoup terni le blason de l’EÌ glise qui peine aÌ€ se relever de cette peÌ nible eÌ preuve.

INTERVENTION PAPALE.

Sans toutefois pointer du doigt tous les membres du clergeÌ , elle afirme que la culture de cleÌ ricalisme est la premieÌ€re cause de ce mal. Ces atrociteÌ s commises par des personnes consacreÌ es ne peuvent plus se reproduire. La theÌ ologienne assure que la graviteÌ et l’ampleur du dommage infligeÌ aÌ€ tant de vies sont aÌ€ ce jour encore insuffisamment reconnues. ReÌ cemment, le pape François est lui-meÌ‚me monteÌ au creÌ neau, exigeant « une reÌ ponse globale et communautaire et appelant chaque baptiseÌ aÌ€ s’engager dans la transformation eccleÌ siale ».

Titulaire de la Chaire Familles chreÌ tiennes aÌ€ l’universiteÌ Saint-Paul aÌ€ Ottawa (Canada), Karlijn Demasure a reçu l’Ordre de la Couronne pour son engagement constant en faveur des victimes des abus sexuels et de leurs familles. Elle reÌ pond aux questions de L’appel.

LE RÔLE DES LAÏCS.

–” Partagez-vous le souhait du pape François qui, apreÌ€s les reÌ veÌ lations d’un rapport accablant aux EÌ tats-Unis, a appeleÌ aÌ€ la mobilisation de chaque croyant a n de mettre un terme aÌ€ la peÌ dophilie eccleÌ siale ?
–” Oui, meÌ‚me si le chemin est encore long. D’accord avec le pape, mais ouÌ€ restent les actions concreÌ€tes ? AÌ€ qui s’adresse ce message ? AÌ€ nous laïcs qui n’avons pas com- mis ces atrociteÌ s ? Il est temps que les laïcs montent au creÌ neau, ils sont preÌ‚ts. Sur le terrain depuis vingt-cinq ans, j’ose dire que les progreÌ€s reÌ aliseÌ s sont modestes, on aurait pu progresser davantage. Le cardinal ameÌ ricain Sean Patrick O’Malley (membre de la CongreÌ gation pour la doctrine de la foi et preÌ sident de la Commission pontificale pour la protection des mineurs), relevait reÌ cemment : « Les croyants s’impatientent et le monde entier commence aÌ€ perdre la confiance qu’il avait en nous. » Il n’a pas tort. Je souhaiterais vraiment que les experts mondiaux dans ce domaine puissent expliquer au pape François toutes ces situations douloureuses, nous qui sommes confronteÌ s chaque jour aÌ€ ces atrociteÌ s commises par des membres du clergeÌ .
–” Doit-on s’attendre aÌ€ d’autres reÌ veÌ lations d’abus sexuels ?
–” HeÌ las, je crois que nous n’avons pas encore toucheÌ le fond. Encore aujourd’hui, sur tous les continents, de nouvelles a aires d’abus sexuels voient le jour. En Afrique ou dans certains pays d’Asie, il n’est pas rare que des religieuses en soient aussi victimes. Pendant des deÌ cennies, ces choses eÌ taient recouvertes du voile de la honte. Le pape a eu le courage de deÌ noncer un certain nombre de dysfonctionnements, mais il faut des mesures concreÌ€tes. Le salut ne viendra pas de la seule prieÌ€re ni du jeuÌ‚ne.
–” Que faire alors  ?
–” Afin d’eÌ radiquer toutes les formes d’abus, je suis favorable, dans un premier temps, aÌ€ une reÌ forme fondamentale de l’eccleÌ siologie. J’appelle tous les theÌ ologiens aÌ€ oser en- gager le deÌ bat, clercs et laïcs coÌ‚te aÌ€ coÌ‚te, sans craindre de se retrouver sur la liste noire tant redouteÌ e. Cela signifie repenser la formation des preÌ‚tres, y compris la mission et l’organisation des seÌ minaires et la nomination des eÌ veÌ‚ques. Il faut aussi instaurer une seÌ paration des pouvoirs. Je plaide en faveur d’une instance de controÌ‚le sur les diffeÌ rents pouvoirs. Est-il acceptable de nommer un eÌ veÌ‚que dont les croyants ne veulent pas ? Pour les femmes, grandes servantes de l’EÌ glise, cela se complique lorsqu’elles sont ameneÌ es aÌ€ exercer des fonctions manageÌ riales. En position de management, celles qui travaillent aÌ€ Rome ont du mal aÌ€ eÌ‚tre prises au seÌ rieux.
–” Quelles actions concreÌ€tes les fideÌ€les peuvent-ils mettre en oeuvre pour lutter contre ces abus ?
–” On pourrait organiser une confeÌ rence d’experts laïcs avec des victimes, un peu dans le sens de la proposition de Mgr. Philipp Egan (eÌ veÌ‚que de Portsmouth) qui pro- pose une confeÌ rence sur 13 le ministeÌ€re du clergeÌ . Je suggeÌ€re plutoÌ‚t de discuter sur des voies de reÌ forme. Cette confeÌ rence devrait
preÌ ceÌ der un synode extraordinaire des eÌ veÌ‚ques sur le meÌ‚me theÌ€me. Les reÌ sultats de ces deux assembleÌ es pourraient alors
eÌ‚tre mis en oeuvre. Ceci ne reÌ soudra pas tous les probleÌ€mes, mais ce serait un bon deÌ but.
–” Comment mieux proteÌ ger les enfants et com- ment accompagner la personne abuseÌ e aÌ€ retrouver l’estime de soi ?
–” Se relever apreÌ€s l’abus sexuel exige un accompagne- ment psycho-spirituel sur une longue peÌ riode. Nous nous efforçons d’eÌ tablir un dialogue concernant les risques d’abus et de promouvoir l’accompagnement theÌ rapeutique et spirituel. Et aussi de permettre l’autonomisation spirituelle et psychologique de ceux qui ont eÌ teÌ ou pourraient eÌ‚tre blesseÌ s. Et de creÌ er un reÌ seau mondial de partage de connaissances et de bonnes pratiques dans la protection des mineurs. Mais dans de nombreux pays, comme la France, ces mesures d’accompagnement arrivent treÌ€s tard.
–” Quels sont vos projets personnels ?
–” Fin juin, j’ai deÌ missionneÌ de mes fonctions de directeur du CCP. Je continuerai aÌ€ enseigner aÌ€ l’universiteÌ pontificale greÌ gorienne et j’espeÌ€re pouvoir ainsi poursuivre mes travaux de recherche scientifique dans le domaine de la preÌ vention notamment. Je souhaiterais en tout cas continuer aÌ€ m’exprimer en tant que theÌ ologienne sur des sujets tels que le secret de la confession. Faut-il le lever dans certains cas ? En Australie, beaucoup de preÌ‚tres affirment qu’ils preÌ feÌ€rent encore aller en prison plutoÌ‚t que d’eÌ‚tre contraints de reÌ veÌ ler des conversations personnelles pendant le sacrement de la reÌ conciliation. â– 

Jacques HERMANS