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Les chemins de Quentin Dujardin

Guitariste et compositeur, Quentin Dujardin arpente les sonorités du monde pour créer un univers particulier et partager ses valeurs de paix, de joie et de clarté. Artiste globe-trotter, il refuse pourtant toute étiquette entre jazz, musiques du monde... Aujourd’hui, il signe la musique du film Compostelle, qui sortira bientà´t en Belgique.

« J’ai tout de suite voulu écrire de la musique et souhaité partager quelque chose qui venait de moi. J’ai des anecdotes assez rigolotes avec mes professeurs de guitare classique à Ciney, ils s’arrachaient parfois les cheveux parce que je n’arrivais pas à jouer forcément ce qui était écrit sur la partition. Je cherchais déjà dans mon inconscient à révéler des choses de moi-même, plutà´t que d’absorber un mécanisme ou reproduire ce qui était écrit. »

En s’appropriant ce qu’il perçoit et l’aménageant à sa sauce, Quentin Dujardin crée un univers original autour des guitares. Se définissant comme guitariste « nylon » parce qu’il pratique plusieurs guitares (acoustique, douze cordes, baryton...) Quentin Dujardin est aussi un découvreur de styles différents.
Une envie de s’ouvrir « liée à mon parcours en tant que jeune étudiant. J’ai démarré la musique sans en avoir le choix, à l’âge de six ans. Mon père était un musicien frustré malgré lui. Il aurait voulu être musicien, mais mon grand-père lui a interdit, alors qu’il était lui-même musicien. »

Avec tous ses frères et soeurs, il n’a guère le choix : deux à trois fois par semaine, direction l’Académie. « C’était la grande épopée familiale des Dujardin à l’Académie de Ciney. Une obligation devenue une forme de rituel familial. »

Ouverture et rencontres

Après des études secondaires laborieusement terminées à Godinne, chez les jésuites, la seule envie de Quentin Dujardin est de poursuivre son chemin artistique.
« J’ai eu la grande chance d’entrer à 17 ans au Conservatoire flamand à Bruxelles. Je me suis lancé dans le jazz jusqu’à 22 ans et suis sorti diplà´mé en –˜jazz et lichte muziek’. Du coup, je me suis posé beaucoup de questions : de 6 ans à 22 ans je n’avais fait qu’étudier la musique. Je n’avais pas pris le temps de me dire vraiment c’est quoi la musique. J’ai eu un grand ras le bol à ce moment. Parce que simplement tout le monde te félicite et te dis –˜bienvenue dans la grande jungle, c’est à toi à faire ton chemin’. Mais je n’avais pas reçu les outils pour bien comprendre et faire ce chemin. »

Un chemin fait de rencontres bouleversantes. Son premier choc sera, vers 13-14 ans, la découverte d’un disque de Philippe Catherine, jazzman belge. « Mon père me disait –˜tu vois le gars-là , il improvise’. Cela a été pour moi tout un chemin : il y avait moyen à partir d’un mécanisme fait de chiffrages et d’accords de simplement improviser autour d’une mélodie. Pour moi, C’était fou, de ne pas avoir de partition, de ne pas avoir à la respecter. Fou et à la fois c’est ce que je ressentais : vouloir me libérer de l’interprétation d’une partition écrite. J’ai essayé de me lancer là -dedans. » C’est Pierre Van Dormael à Namur qui lui ouvre le chemin et le mène vers ce qu’il cherchait. « Vers cet âge là j’ai su ce que je voulais faire. C’est devenu un credo tellement fort que je ne pouvais pas passer à cà´té. »

Le deuxième choc sera un peu avant de sortir du Conservatoire. « Un ami m’a prêté un disque de flamenco. Je me suis dit comment ais-je pu étudier autant d’année et ne pas comprendre la rythmique de cette musique, ne pas comprendre une forme d’asymétrie dans certaines résolutions musicales, une forme d’énergie que je n’avais pas encore rencontrée. »

Les chemins ne cesseront de se diversifier et Quentin s’apprête à arpenter le monde : Andalousie, Maroc, Madagascar, Paraguay.

Andalousie, Maroc, ...

« J’ai pris une claque et l’envie m’est venue de pratiquer la musique autrement. Je suis parti à la rencontre du monde des gitans en Andalousie. J’ai démarré ce voyage en 2000. » Pendant trois ans, les allers-retours vers l’Espagne se succèdent. « Je voulais aller dans la rue, sans professeurs, Grâce au bagage du jazz et de l’improvisation, j’ai rencontré plusieurs guitaristes et musiciens qui étaient intéressés de comprendre comment je jouais ma musique, comment je pensais les accords. C’était à des années-lumière de leur musique très codifiée à eux. »

Cette porte ouverte pour échanger, sans retomber dans les travers des cours suivis pendant 20 ans, Quentin la franchit allègrement. « J’ai appris énormément. Cela m’a donné ce qui me manquait. Une approche beaucoup plus dynamique et énergique de la musique. Cela ne pouvait émerger de moi que par la rencontre et l’art d’entretenir le hasard au fil des rencontres. La prise de risque était maximale parce que je ne savais pas où j’allais. J’avais juste mon sac et ma guitare. J’ai rencontré le rejet mais aussi les mains tendues. »

Avec un goût du risque qui invite à d’autres voyages, Quentin prend ensuite le chemin du Maroc. « J’étais libre et rien ne m–˜attachais vraiment à la Belgique. J’avais un petit pied à terre où je pouvais revenir quand je sentais que j’en avais besoin ... Le Maroc s’est présenté comme une destination inspirante, dans la continuité de ce monde qui s’est mélangé. Car le flamenco tire ses influences de ce bassin méditerranéen qui a fait voyager beaucoup de musiques, mais aussi d’une certaine sensualité, d’une certaine sonorité qui viennent du cà´té marocain, de l’Algérie, et de toutes ces couleurs berbères qui se dégagent de ce que l’on appelle la musique arabo-andalouse. »

Perfectionniste et curieux, Quentin Dujardin approfondi ses recherches. « J’avais envie de faire une certaine synthèse pour moi-même et de faire le point sur ce qu’on appelle le quart de ton. Un son que nous ne connaissons pas par ici. Au bout de quelques semaines au Maroc, cela est devenu quelque chose de tout à fait acquis dans ma culture auditive. » De ce voyage datent les collaborations avec Jalal El Allouli.

De Godinne aux Guaranis

Quentin Dujardin (© Jean Mahaux)

Puis, c’est le Paraguay... « Ce voyage, c’était aussi pour résoudre une imagerie que j’avais reçue pendant mon enfance en étudiant la musique du compositeur Augustin Barrios, indien guarani né en 1885. Dans les livres de musique que je consultais vers mes 8 ou 9 ans, il y avait une photo de lui avec sa tête d’indien guarani et des plumes de paon dans les cheveux... J’avais envie de voir son village et de comprendre son univers. Il composait des musiques que je pouvais trouver dans la discothèque de mon père. Je me suis toujours demandé comment il avait pu composer des oeuvres aussi merveilleuses en habitant la forêt, dans ce coin reculé...  »

Mais le Paraguay est aussi le chemin d’un autre rapprochement. « Je voulais aussi faire le lien avec l’univers catholique, l’univers des jésuites que j’ai croisé au Collège de Godinne. On ne m’avait pas vraiment raconté qui était leur fondateur Ignace de Loyola. Il y avait bien des panneaux sur lui,... mais je n’ai jamais compris ce que signifiait le mot « jésuite » ou quel était leur parcours dans le monde, leur position par rapport au Vatican et au monde organisationnel de l’Église.  »

Sur place, la rencontre avec un historien local est l’occasion de découvrir l’histoire impressionnante du monde des jésuites et de leur épopée de 90 ans avec Ignace de Loyola et ses frères, à la fin du XVIè , début du XVIIè siècle. «  La région des ruines jésuites au sud-est du Paraguay est une région dans laquelle on retrouve des vestiges incroyables, des monuments, des églises, des sculptures abandonnées, mangées par les arbres centenaires. J’ai pris conscience que les jésuites étaient des hommes qui aimaient l’aventure et qui avaient cru dans la possibilité de joindre leur humanisme à l’art et de parvenir à rendre égalitaires deux peuples à travers la culture et le mélange culturel. Ce mélange ne pouvait se faire qu’à travers l’art de la pierre, de la sculpture, de l’écriture, de la musique, du chant. Ils ont laissé un patrimoine gigantesque qui vit encore. Nous avons des musiques baroques qui datent de cette époque et qui sont chantés par des choeurs paraguayens. Ils apparaissent absurdes dans notre modernité mais ils sont explicables dans l’histoire de cet apport jésuite. Ce travail de mélange d’art brut - qui venait de la forêt - et d’art plus occidental, plus européen est génial. »

Mission

Mais l’expérience « communautaire » de ces réductions (colonies) aura une fin. «  Ils ont développé des colonies - dans le sens positif - elles ont grandi tellement qu’à un moment le Vatican a regardé cela d’un oeil très intéressé... Mais il a demandé à son bras armé espagnol et portugais d’aller les récupérer. Ce travail gigantesque devenait important en termes de pouvoir : celui de l’art capable d’amener la paix. Cette rencontre culturelle devenait dérangeante pour le Vatican, donc il fallait reprendre la main dessus. »

C’est cette reprise en mains, l’interdiction de la poursuite de l’expérience jésuite et les massacres d’indien qui s’en suivirent que raconte le film « Mission » de Roland Joffé (1986). « Ce combat des derniers jésuites qui ont tenté de sauver cette civilisation aurait changé la face de l’Amérique latine s’il avait pu continuer. Le pouvoir n’amène pas à grand-chose, si ce n’est la destruction de pas mal d’âme, d’expression artistique et d’une forme d’économie fraternelle  » conclut Quentin Dujardin.

Compostelle en musique

(© Compostelle©, le film)

Aujourd’hui, Quentin Dujardin signe la musique du film Compostelle. « J’avais déjà travaillé avec le réalisateur Freddy Mouchard. Il est revenu vers moi pour –˜Compostelle’. C’est un documentaire long métrage qui parle de Compostelle. Que ce soit celui de la vie, celui de Compstelle, celui de la musique, ne sommes-nous pas tous sur un chemin ? J’ai été intéressé par ce sujet du chemin, par les images. Je sentais bien l’écriture et le positionnement du réalisateur. Dans ce film, tout est porté sur le regard des gens, ce qu’ils ont vu, vécu. Ce qu’ils ont pu échanger et pu entendre. »

Avec les voix off de plusieurs personnages-marcheurs qui parlent, le film est également très inspirant. « On se sent avancer. Le réalisateur a voulu traduire l’élan de la marche. Un élan qui est créateur pour le musicien. Cela lui laisse du champ pour l’écriture et le son.  » Pour ce film, Quentin s’est associé à Julie Mondor, violoncelliste française.

Et même si la composition de cette musique de film est plutà´t un travail de commande, Quentin estime que cela ne bride pas son tempérament d’impro... « C’est un travail très différent et c’est cela qui me plaît. Une bonne musique de film c’est un certain effacement de l’égo de l’artiste. Le musicien est habituellement sur scène. Ici, il se met au service de l’idée de magnifier une image. Il vient habiter et habiller l’image avec une densité différente, qui fait que sans cette musique il y aurait un manque... C’est passionnant de remplir ce vide ou au contraire de jouer le silence et de se dire que le silence est une force à lui seul. »

Art et Spiritualité

Et lorsqu’on lui demande s’il ne craint pas d’être catalogué comme artiste spirituel, Quentin réagit : « Je n’ai jamais calculé où j’allais. Je n’y ai pas pensé. C’est marrant, cela fait trois ans que je collabore avec un contre-ténor français et nous jouons dans des édifices merveilleux : des églises, des chapelles, des basiliques... Cela sonne de manière incroyable. Cela nous sort des centres culturels, des scènes de festivals.Dans ces églises, j’ai l’impression que le son de ma guitare explose et elle devient tellement belle. Je trouve qu’il est réducteur de limiter ces édifices à des lieux religieux. C’est tellement magique de pouvoir pénétrer dans ces lieux-là et de ne pas forcément être perçu comme un catho ou quelqu’un de pratiquant.  »

Sur la relation entre l’art et la spiritualité, Quentin Dujardin rebondit encore. « Je ne mets pas ma musique sur un piédestal. Je pense qu’elle fait partie de ma vie. Pour moi, la spiritualité et la prière que je pratique sont des choses très importantes dans ma vie. La recherche de l’amour en général, de la joie, de la paix, de la clarté, de l’éveil sont des mantras que je me répète chaque jour. Toutes les démarches musicales sont habitées par ces mots. Je ne suis pas forcément quelqu’un qui en parle parce que quand on monte sur scène ce n’est pas le but d’étales ses croyances ou sa religion... Bien que j’aime beaucoup le mot religion, on le galvaude beaucoup trop pour l’instant. On y attache trop de noirceur, d’extrémismes. Pourtant, religare signifie relier. C’est lier les gens entre eux plutà´t que de les couper entre eux. Il y a une hypocrisie gigantesque à vouloir entacher d’une façon noire ce mot merveilleux. Il est peut-être temps de revenir à une conscience de la signification de ce mot pour n’e pas le noyer dans la masse. Mon cà´té religieux, c’est cela. Me battre tous les jours pour m’émerveiller et essayer d’apporter un peu de lumière chez les gens et rester quelqu’un qui cherche l’amour et la joie. » »

Hors des hits

(© Jean Mahaux)

Mais le chemin de Quentin est aussi un peu un chemin de traverse dans le monde de l’industrie musicale. À l’abri des modes et du hit parade, il revendique sa voie.
«  C’est une intuition. Je ne compose pas des musiques qui vont dans le sens de la culture dominante. Par contre, avec la magie du net, je peux toucher des niches dans le monde entier. Des gens m’écrivent, m’encouragent... C’est une autre manière de toucher une masse de gens... Mais le système de l’industrie musicale tend chaque jour à limiter davantage les choix qu’on peut donner à un spectateur ou le mode d’expression qu’on peut lui donner.  »

Un combat que Quentin mène dans son coin ? Pas vraiment. « Je pense que comme beaucoup d’autres artistes, nous sommes de petites lumières qui donnons un peu d’espoir, un peu de sincérité dans ce monde qui semble en avoir perdu beaucoup. On va gagner en force dans les années à venir. Les gens sont fatigués de voir passer les choses qui sont mâchées pour eux et qui les empêchent de penser librement. »

C’est sûr, Quentin Dujardin n’interdira pas à ses enfants de faire de la musique...

Stephan GRAWEZ

www.quentindujardin.be
www.compostelle-lefilm.com

Cet article a été publié en version restreinte dans le N° 377 du magazine L’appel - Mai 2015
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