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Où est passée la mort ?

UN GRAND
dais noir barrait
l’entrée de la maison.
Ce matin-là , pour y
pénétrer, il fallait
franchir le barrage des
lourdes tentures en
velours, comme si l’on
entrait, un court
instant, au royaume de
la mort. Dans le
vestibule, lui aussi
drapé de noir, les
bruits du monde petit à petit s’estompaient. Le passage était accompli. On
pouvait alors pénétrer dans la chambre mortuaire. De noire vêtue, elle
aussi. Il reposait là , vêtu de son plus beau costume, dans le cercueil ouvert,
légèrement incliné pour qu’on puisse une dernière fois rencontrer son
visage. Seule la lueur de grands candélabres illuminait la scène. Des gens
entraient, l’air contrit, murmuraient parfois quelques mots, s’inclinaient,
déposaient une carte de visite... Ce matin-là aussi, son épouse recevait les
visiteurs à la cuisine. Oui, il avait souffert pendant ses derniers jours. Mais il
était mort chez lui, parmi les siens. N’était-ce pas là l’essentiel, disait-elle à 
ceux qui lui présentaient leurs condoléances...

Tous ces moments, les adultes d’aujourd’hui les ont peu ou prou gravés
dans leur mémoire, avec les détails qui font que l’on ne les oublie jamais, et
les halos du temps qui déforment, amplifient ou trahissent le fond du
souvenir. C’était il y a longtemps, dans un temps où on « portait le deuil »
dès le plus jeune âge. Et où la mort d’un proche mettait naturellement en
veilleuse la vie habituelle de toute une famille pour des semaines, voire des
mois. Lorsque venait la fin d’une génération, la mort se faisait fréquente,
familière. Omnibus.

Aujourd’hui encore, bien sûr, certaines personnes âgées portent encore le
deuil, par respect pour l’être cher qui vient de disparaître. Mais cette
manière visible, sociale, de manifester le désarroi d’un décès tend à 
disparaître totalement. De même que les crêpes noirs, les dais, les chapelles
ardentes au domicile du défunt...

Nous vivons désormais la mort autrement. Comme si elle dérangeait à ce
point les vivants qu’il importait de l’enfermer au loin, dans le plus petit
tiroir possible. Mort flash. Chagrin express. Vite fait, bien fait. Nous avons
essayé de comprendre. « Normal », pour un numéro de novembre. Trop
normal, peut-être...

Mot(s)-clé(s) : L’édito
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