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PHILIPPE BOXHO L’HOMME QUI FAIT PARLER LES MORTS

Un phénomène éditorial ! Trois livres en trois ans et chacun d’eux vendu à plus de trois cent mille exemplaires. Pourquoi ? Parce que c’est original. Le docteur liégeois Philippe Boxho, 59 ans, raconte des histoires souvent difficiles, mais toujours avec un brin d’humour. Ces récits renvoient aussi le lecteur à ses propres questions.

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« En tant que médecin légiste, vous devez avoir réglé la question de la mort en général et de la vôtre en particulier. Si chaque fois que vous examinez un cadavre, vous imaginez votre propre mort, ce n’est pas possible. Il y a chez nous, les légistes, cette nécessité de s’être adapté à l’idée qu’on va mourir. On ne sait quand ni comment. Mais il faut aussi être prêt. Pour cela, je n’ai pas de problèmes.  » Depuis 2022 et la publication de son livre Les morts ont la parole chez l’éditeur wallon Kennes, le docteur Philippe Boxho est devenu une star éditoriale. Grâce aux deux ouvrages qui ont suivi, Entretien avec un cadavre et La mort en face, il est aujourd’hui l’auteur le plus lu en Belgique francophone, dépassant Amélie Nothomb.

VERS LA PRÊTRISE

Pourtant, à l’origine, Philippe Boxho ne se destine pas du tout à la médecine légale. Ni même à la médecine, d’ailleurs. Né dans une famille très croyante, il sert la messe quatre fois par semaine et pense devenir prêtre. Il est très impliqué au collège Saint-Servais, où il est en secondaire, tout comme dans des lieux de réflexion sur l’exégèse des Évangiles. « C’était passionnant, se souvient-il. Je le vivais avec les pères jésuites, en participant lors de retraites et récollections. Je trouvais très intéressant de penser philosophie, théologie. J’en ai parlé à l’évêque de Liège de l’époque, monseigneur van Zuylen. Pendant un pèlerinage à Lourdes nous avons discuté pendant une heure. Il m’a conseillé d’entamer des candidatures universitaires. »

Mais le jeune étudiant se dit que, plutôt que la théologie ou la philosophie qu’il fera de toute façon puisqu’il veut entrer au séminaire, il va plutôt commencer des études de droit ou de médecine. À Liège, les inscriptions se font à l’époque dans le bâtiment place du XX Août, en centre- ville. « Comme j’hésitais, je me suis dit que le premier qui vient et qui s’inscrit dans l’un ou l’autre domaine, je le suivrai. Deux étudiants sont arrivés en même temps, un garçon et une fille. L’étudiant, très poli, a laissé passer la jeune fille qui s’inscrivait en médecine. Je l’ai donc suivie. » Et il n’est jamais entré au séminaire. Les questions spirituelles ne l’habitent plus, il a perdu la foi. D’après monseigneur van Zuylen, qu’il a revu plus tard, c’était plutôt une inclination pour une recherche intellectuelle. Une foi du cerveau plutôt que du cœur.

UN FUTUR GÉNÉRALISTE

« Je voulais d’abord faire la médecine générale et je réalisais des recherches en anatomie pour le professeur Fissette, raconte-t-il. On étudiait la manière de transplanter des muscles avec la peau en vue de faire de la reconstruction pour ceux qui ont été partiellement amputés. Avec un copain, on a mis au point une technique consistant à injecter le muscle dans certaines artères ou veines pour voir comment il se vascularisait et comment le répéter en vérifiant que ce n’est pas aléatoire. Mais, pour cela, il fallait un appareil de radiographie qui n’existait pas en anatomie. J’en ai trouvé un au service de médecine légale où l’on faisait les radiographies. Et un jour, en passant par la salle d’autopsie, j’en ai vu une. Je me suis arrêté, j’ai trouvé cela intéressant. J’ai demandé si je pouvais assister à une autre. On m’a dit que je devais faire un stage, ce que j’ai fait. »
Sans pour autant encore être convaincu. De retour du service militaire, il veut toujours devenir généraliste. C’est pourquoi, lorsque le professeur Brahy lui propose une place en médecine légale, il n’est pas très chaud. « Il m’a dit que ce n’était pas grave, c’était comme indépendant, se remémore-t-il. Que je pouvais faire médecine générale et médecine légale et que je verrai bien ensuite. Après deux ans, j’ai choisi la médecine légale. Ce que j’aime dans ce métier, c’est participer à l’enquête criminelle. La médecine générale m’a déçu parce qu’il faut souvent répondre à des problèmes chroniques, et ce n’est pas mon genre. Je préfère quand un problème est réglé. Je dis en plaisantant que je n’écoute pas les gens qui se plaignent, mais que je parle aux morts. »

UN SENS À LA VIE

Qu’est-ce qui donne sens à sa vie aujourd’hui ? Bien des choses. Le fait de servir autrui est très important à ses yeux, pas seulement pour lui, mais aussi pour l’ordre judiciaire. Le jour où il n’y aura plus de médecins légistes, celui-ci sera confronté à un énorme problème. Et des problèmes, il en existe déjà aujourd’hui. La médecine légale est vraiment mal financée et on manque de légistes. L’Europe a fait une injonction en faisant remarquer qu’en Belgique, 1 à 2% d’autopsies ont lieu chaque année, contre 10 à 12% en moyenne en Europe. « Pour mes
11 conférences, je ne suis pas payé, je ne demande jamais rien. La participation aux frais est toujours pour des œuvres. Dans ce que je fais, il y a une utilité dirigée vers autrui. C’est une forme d’altruisme et j’aime bien ça. Cela donne un sens à ma vie. Pour le reste, la vie n’a
pas de sens. Elle n’a le sens que celui qu’on lui donne. Il y a la famille aussi. On est là pour les siens, pour sa famille, ses amis. C’est tout ça qui donne un sens à la vie.
 »

À la demande de deux historiens, Julien Maquet, patron du trésor de la cathédrale Saint-Lambert, à Liège, et Bernard Wilkin, archiviste de l’État, Philippe Boxho a examiné des ossements qui se trouvent dans la châsse de l’édifice religieux. L’évêque, monseigneur Delville, a tout de suite accepté ce projet. Personne ne l’ayant ouverte, on n’en connaissait pas le contenu. Le médecin y a découvert des os mal étiquetés, par exemple une clavicule qui n’en était pas une, ou un os n’appartenant pas à cette châsse. Il s’agit en effet de quelqu’un de plus petit, mais il semble que cela se faisait régulièrement. Certains des os trouvés ont été brisés post mortem et sont partis comme reliques. D’autre part, un fémur de saint Lambert a peut-être été trouvé à Maastricht. S’il en a l’autorisation, le docteur pourrait faire des recherches ADN, cela permettrait de dire la taille du saint. Mais c’est très difficile car on ignore son ADN. L’évolution de la science permettra peut-être un jour de mener à bien ces recherches. ■

Prpos recueillis par Paul FRANCK

Philippe BOXHO, Les morts ont la parole, Loverval, Kennes, 2022. Prix : 19.90€. Via L’appel : -5% = 18,90 €.
Philippe BOXHO, Entretien avec un cadavre, Gerpinnes, Kennes, 2023. Prix : 19.90€. Via L’appel : -5% = 18,90 €.
Philippe BOXHO, La MORT en face, Gerpinnes, Kennes, 2024. Prix : 19.90€. Via L’appel : -5% = 18,90 €.

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