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TheÌ reÌ€se SNOY : « IL FAUT EÌ‚TRE LUCIDE, MAIS PAS DEÌ SESPEÌ REÌ »

SecreÌ taire geÌ neÌ rale d’Inter-Environnement Wallonie de 1997 aÌ€ 2002, puis deÌ puteÌ e Ecolo de 2007 aÌ€ 2014, TheÌ reÌ€se Snoy
a toujours militeÌ pour la cause environnementale. Elle anime aujourd’hui avec la meÌ‚me conviction l’association Grands-parents pour le Climat.

–” ApreÌ€s une vie professionnelle et politique treÌ€s active, vous avez, avec d’autres, lanceÌ en 2015 l’association Grands-parents pour le climat. C’eÌ tait l’envie d’autre chose tout en restant dans votre engagement majeur ?
–” Je ne suis plus deÌ puteÌ e Ecolo, mais toujours membre, militante et conseilleÌ€re communale aÌ€ Braine-L’Alleud. Si je ne suis plus en premieÌ€re ligne, je continue aÌ€ suivre des dossiers et aÌ€ donner des avis laÌ€ ouÌ€ j’ai une certaine exper- tise ou expeÌ rience. En 2014, aÌ€ la n de mon mandat de deÌ puteÌ e, j’avais le sentiment que d’autres leviers de chan- gement eÌ taient aussi essentiels que la seule action stricte- ment politique.
–” Comment vous est venue l’ideÌ e de creÌ er cette association ?
–” En 2011, je suis devenue pour la premieÌ€re fois grand- meÌ€re d’une petite lle, Lily, aÌ€ moitieÌ nigeÌ rienne, aÌ€ moitieÌ belge. Elle vit au Niger, un pays en grande di - culteÌ eÌ conomique et qui doit survivre au reÌ chauffement climatique. J’ai reÌ aliseÌ qu’elle aura nonante ans en 2100, une anneÌ e ouÌ€ les speÌ cialistes preÌ voient que la tempeÌ rature pourrait avoir monteÌ de quelques degreÌ s suppleÌ mentaires, ce qui risque de la toucher concreÌ€tement. J’ai alors appris qu’un mouvement Grands-parents pour le Climat existait en Suisse, et cela a eÌ teÌ le deÌ clic. Je pense qu’il faut actionner la fibre affective que nous avons en nous. Notre amour pour nos petits-enfants s’accompagne aussi d’une inquieÌ tude pour le monde qu’on va leur laisser. ApreÌ€s avoir exerceÌ ce meÌ tier austeÌ€re de deÌ puteÌ , j’ai voulu eÌ‚tre davantage dans le lien, l’humaniteÌ profonde partageÌ e avec nos enfants et petits-enfants. Je me suis dit que cela allait peut- eÌ‚tre toucher des gens qui eÌ prouvent des reÌ ticences face aux questions ou partis politiques.
–” Maintenant que le mouvement est lanceÌ , quelles sont vos principales actions ?
–” Nous essayons d’encourager nos membres, via une newsletter mensuelle, aÌ€ eÌ‚tre coheÌ rents dans leur manieÌ€re de vivre et aÌ€ diminuer leur empreinte eÌ cologique, que ce soit dans l’habitat, les moyens de deÌ placement, la consommation, l’alimentation, la manieÌ€re de placer leur argent... Le deuxieÌ€me axe, c’est avoir des contacts avec nos petits-enfants, en faisant avec eux des sorties nature ou en eÌ tant preÌ sents dans des eÌ coles quand sont meneÌ es des actions de sensibilisation aux questions climatiques. Le troisieÌ€me axe, c’est le plaidoyer. Nous nous exprimons face aux entreprises ou aux deÌ cideurs politiques, en essayant de faire pression a n que des deÌ cisions soient prises dans le bonens. On a ainsi participeÌ aÌ€ des actions de la « coalition climat », en tentant de convaincre les banques de renoncer aÌ€ leurs placements dans les eÌ nergies fossiles. Nous organsons aussi des confeÌ rences sur toutes ces questions.
–” Votre sensibiliteÌ particulieÌ€re aÌ€ l’eÌ cologie et l’environnement est-elle ancienne ?
–” Je suis la cadette d’une grande fratrie de sept enfants. J’ai eu la chance de vivre dans un beau cadre de nature. La foreÌ‚t est pour moi inspirante et apaisante. Enfant, je faisais des releveÌ s d’oiseaux pour mon peÌ€re qui, aÌ€ coÌ‚teÌ de ses fonctions professionnelles et d’homme politique, eÌ tait un homme proche de la nature. Quand il rentrait, il mettait ses bottes et partait dans les bois. Je le suivais, courrais derrieÌ€re lui. L’environnement familial m’a treÌ€s fort marqueÌ dans le sens de l’amour de la nature, mais aussi de l’engagement dans la socieÌ teÌ . « Engagez-vous. On doit travailler pour le bien commun », eÌ tait le message de nos deux parents.
–” ApreÌ€s des eÌ tudes de sociologie, d’urbanisme et ameÌ nagement du territoire aÌ€ l’UCL et d’environnement aÌ€ l’ULB, vous avez accompli un parcours varieÌ . Vous avez travailleÌ pour un bureau d’eÌ tudes, des associations, un cabinet ministeÌ riel et aÌ€ Inter-Environnement Wallonie comme preÌ sidente du conseil d’administration, puis comme secreÌ taire geÌ neÌ rale.
–” J’y ai travailleÌ avec une excellente eÌ quipe et des personnaliteÌ s de qualiteÌ , sinceÌ€res, engageÌ es, qui avaient une vision large et politique de l’environnement, pas seulement locale ou partielle. Je me suis rendu compte, avec d’autres, que cela ne servait aÌ€ rien de faire des lois sur l’environnement si le systeÌ€me eÌ conomique ne bougeait pas et continuait aÌ€ fonctionner dans une logique de croissance aÌ€ tout prix,
ouÌ€ le criteÌ€re financier dictait les choix. Il ne suffit pas de mettre des filtres aux chemineÌ es d’usine ou aux voitures. On s’est rendu compte que l’environnement eÌ tait aussi lieÌ aux questions sociales et poli- tiques. Avec Inter-Environnement Wallonie, j’ai participeÌ aux grandes confeÌ rences internationales sur le climat pour pousser les politiques dans un sens plus eÌ cologique et social. C’eÌ tait passionnant et on avait l’espoir de faire bouger les lignes. Mais, heÌ las, cela n’a pas eÌ teÌ suffisamment le cas.
–” Pourquoi vous eÌ‚tes-vous ensuite engageÌ e dans l’action politique ?
–” L’action politique pour le bien commun est particulieÌ€- rement digne de respect et de consideÌ ration, mais heÌ las pas toujours bien consideÌ reÌ e. Quelque part, le travail des associations est plus facile. Il s’agit alors de revendiquer, de mettre les politiques sous pression, notamment par des actions symboliques. Quand on m’a proposeÌ de passer de l’autre coÌ‚teÌ , je me suis dit que ce serait moins confortable, mais qu’il fallait oser se mouiller. J’avais un peu peur parce que je ne me sentais pas aguerrie pour la politique. Je n’eÌ tais alors pas en phase avec le PSC, que je trouvais beaucoup trop mou dans le domaine de l’environnement, et j’ai rejoint Ecolo. La politique, ce n’est pas eÌ vident. Il faut faire sa place. On peut se heurter aÌ€ des conflits de personnes. Sans parler de la diffulteÌ du deÌ bat parfois treÌ€s agressif de la part d’adversaires politiques. En seÌ ance aÌ€ la chambre, on est constamment attaqueÌ , interrompu dans ce que l’on dit. Il ne faut pas se laisser deÌ stabiliser. Ce n’est pas toujours facile.
–” Vous avez suivi plusieurs dossiers, notamment dans le domaine de l’agriculture, de la mobiliteÌ et de la santeÌ lieÌ e aÌ€ l’environnement. Qu’en retenez-vous ?
–” J’ai preÌ sideÌ pendant un an et demi la commission santeÌ publique, lors des lois sur les cellules souches, et j’ai suivi le dossier lors des eÌ pideÌ mies de grippe. Il faut bien se faire conseiller pour connaiÌ‚tre les enjeux. C’est un travail eÌ norme et, aÌ€ Ecolo, on a moins d’aide que dans d’autres partis. MalgreÌ ces difficulteÌ s, j’ai trouveÌ ce travail de deÌ puteÌ e tout aÌ€ fait passionnant.
–” Si la question environnementale a progresseÌ dans l’opinion, la pollution est toujours laÌ€, le climat continue aÌ€ se deÌ grader et les gens votent peu pour les partis verts.
–” Effectivement, meÌ‚me si, ici ou laÌ€, on obtient une petite victoire et on avance dans la bonne direction. Par contre, la destruction des ressources planeÌ taires, qui rend la terre inviable, continue de manieÌ€re massive. AÌ€ Grands-Parents pour le Climat, on essaye de tracer un chemin entre la pleine conscience des deÌ s qui sont laÌ€ et une espeÌ rance, une action pour demain. Les probleÌ€mes sont complexes, mais ce n’est pas la violence ou une dictature qui vont ap- porter la solution.
–” On a l’impression d’un systeÌ€me qui est comme un train fou dont plus personne n’a la maitrise : ni les politiques, ni les industriels, ni les financiers. On va dans le mur ?
–” Sur le plan personnel, on ne peut pas tomber dans le cynisme, le pessimisme et la deÌ prime. Ou se contenter de profi ter tant que cela va, je ne pourrais en conscience agir ainsi. Mais je ne refuse pas le plaisir et la joie du quotidien. J’ai une bonne santeÌ . Je remercie pour le ciel et la lumieÌ€re. Je fais des bouquets de fleurs toute l’anneÌ e. Je profite des belles relations humaines que j’ai autour de moi. On ne peut pas tout le temps penser aÌ€ l’avenir. Pour eÌ‚tre inspirant, il faut avoir une certaine seÌ reÌ niteÌ personnelle. Certains jours on l’a, d’autres moins...
–” Certains speÌ cialistes de la collapsologie preÌ disent que le systeÌ€me va s’effondrer.
–” On a tendance aÌ€ geÌ neÌ raliser. Je suis inquieÌ€te, mais tout ne va pas s’effondrer. Certaines choses oui, pas toutes. Dans certains endroits, on se sera preÌ pareÌ aÌ€ un chaos possible. Il y aura de la reÌ silience. Il faut apprendre aÌ€ compter sur soi et sur ses propres ressources, et aussi s’entraider localement. Il faut eÌ‚tre lucide, mais pas deÌ sespeÌ reÌ . Ici et laÌ€, des pays vont eÌ‚tre pionniers, preÌ curseurs, et serviront de modeÌ€les. Ce qu’avait preÌ dit le rapport Meadows et le club de Rome en 1972, via le livre Halte aÌ€ la croissance ?, s’aveÌ€re treÌ€s largement exact, mais la nature sera peut-eÌ‚tre plus forte que nous le craignons. L’avenir n’est pas eÌ crit. Pour garder ma santeÌ mentale, je ne peux pas dire que tout est foutu.
–” Chacun a un parcours spirituel et eÌ volue. On ne pense ni ne vit de la meÌ‚me façon aujourd’hui qu’hier. Qu’en est-il pour vous qui venez d’un milieu chreÌ tien et catholique assez marqueÌ ?
–” J’ai pris de la distance deÌ€s mes vingt ans. J’ai alors rompu avec le catholicisme et je n’ai plus pratiqueÌ . J’ai eu une phase treÌ€s antireligieuse, quasi intoleÌ rante. C’eÌ tait une eÌ poque lieÌ e aÌ€ Mai 68. Au deÌ part, je n’y ai vu que du positif. Je pense aujourd’hui un peu diffeÌ remment. J’ai adheÌ reÌ aÌ€ la libeÌ ration de la parole, de la penseÌ e, aÌ€ la contestation de la hieÌ rarchie, notamment catholique par des preÌ‚tres de gauche. Cette hieÌ rarchie me semblait ne pas prendre suffisamment en consideÌ ration le message reÌ volutionnaire de JeÌ sus. Je me suis donc beaucoup eÌ loigneÌ e de la religion. Ceci dit, aujourd’hui, je ne renie pas tout ce que mes parents m’ont transmis, c’est-aÌ€-dire le message eÌ vangeÌ lique qui est magnifique et que j’aime retrouver dans sa pureteÌ initiale. J’ai chercheÌ ce qu’eÌ tait le vrai message, hors interpreÌ tation dogmatique. Je suis influenceÌ e aussi par mon mari qui cherche beaucoup, par les travaux exeÌ geÌ tiques sur la religion chreÌ tienne, l’islam et les autres religions. Plus on se rapproche du centre du message, plus on constate que diffeÌ rents propheÌ€tes disent des choses semblables, tourneÌ es vers l’amour du prochain et le respect de la vie. J’aime actuellement revenir aÌ€ l’EÌ vangile et aÌ€ son coeur, et je ne suis pas tenteÌ e par desaventures exotiques,
trop hors de ma culture. J’aime beaucoup, par exemple, l’EÌ vangile de saint Thomas. LaÌ€, le Christ renvoie constam-
ment aÌ€ notre propre conscience, et non aÌ€ une loi exteÌ rieure qui dirait pour nous ce que sont le bon et le mauvais. C’est la conscience qui appelle aÌ€ la responsabiliteÌ dans ce que l’on ressent au plus profond de soi. Et puis, j’ai un coÌ‚teÌ un peu païen dans le sens d’une communion avec la nature.
–” Que mettez-vous comme qualificatif sous le mot Dieu ?
–” Pour moi, Dieu est l’eÌ nergie universelle partageÌ e avec tout le vivant. Un souffle aussi, un souffle premier peut- eÌ‚tre, quelque chose qui nous relie tous. Mais il n’est pas une personne qui reÌ git le monde, qui sanctionne et qui pardonne. C’est une vision beaucoup trop anthropomorphique. Nous sommes comme la creÌ‚te d’une vague, mais la vie continue. Je vis encore trop dans l’action, pas encore dans la reÌ flexion approfondie pour mettre des mots au plus juste. â– 
www.gpclimat.be
Propos recueillis par GeÌ rald HAYOIS

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