Retour à l’expéditeur
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Comment le piéger ? Voilà leur obsession. Car c’est la guerre ouverte entre Jésus et ses opposants. Mais lui s’y connaît aussi pour mettre le feu aux poudres.
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Rappelez-vous l’histoire des vignerons homicides ou celle des invités à la noce. Quelle décharge ! Leur sortir comme ça, en pleine figure, que le Royaume ne se mérite pas, qu’il y aura des surprises à table… Dans le secret, ses adversaires l’ont déjà condamné. Reste à y mettre les formes. Alors, leur stratégie est simple : il doit parler. Un peu trop, si possible. Comment ? Par la torture ? Non. Mieux que ça. L’idéal serait qu’il se tue lui-même en ouvrant quelques mots piégés. Il suffirait d’un mot dégoupillé… Et pour bien amorcer l’explosif, rien de tel qu’une question qui divise profondément l’opinion publique en ce temps-là : l’impôt à César.
OUI, MAIS NON !
Parce que les impôts, on connaissait déjà au temps de Jésus ! Des impôts religieux d’abord, comme “l’impôt du Temple”, qui servait à l’entretien du sanctuaire et au salaire des prêtres en service. Ou comme la célèbre dîme qui correspondait au dixième des produits du sol. Des impôts civils aussi, comme les droits de douane ou de péage. Leur perception était confiée par contrat quinquennal à des fermiers généraux qui se faisaient aider par des percepteurs locaux : les Publicains. À quoi s’ajoutaient deux impôts directs, le “tribut par tête” qui frappe les biens mobiliers et le “tribut du sol”, ce fameux “impôt à César” perçu par les agents du fisc impérial et considéré comme très infamant par la population : la preuve la plus tangible de l’occupation romaine.
N’oublions pas que nous sommes aux environs de l’an 30. César s’appelle Tibère. Fils adoptif d’Auguste, le deuxième empereur romain, fin politique, stoïcien hautain et misanthrope, a 88 ans. Il s’est retiré sur l’île de Capri en 27 et gouverne son empire par l’intermédiaire de Séjan, un ministre cruel qui multiplie les exécutions et les empoisonnements. Pour les Zélotes, des “révolutionnaires” ultranationalistes, résistants de la première heure et proches de leurs prestigieux ancêtres, les Macchabées, pas question de payer le fameux impôt. Ils l’interdisaient à leurs membres. Par contre, les Hérodiens collaborent : partisans de la famille régnante et très favorables aux Romains, ils encouragent donc fermement le versement. Quant aux Prêtres et aux Pharisiens… Disons qu’ils chèvre-choutent ! Il faut payer, oui, mais sans être d’accord ! Ils cherchent des aménagements, des justifications : l’empereur ne reçoit-il pas son pouvoir de Dieu ?
PIÉGEURS PIÉGÉS
— Alors, Maître, dis-nous… Ton avis est déterminant pour nous. On peut payer, oui ou non ?
— Bande d’hypocrites ! s’écrie Jésus. Montrez-moi la pièce qui sert à payer l’impôt.
Pas du tout déstabilisés, ils lui présentent une pièce d’un denier. Ils en avaient donc sur eux ! Ils s’en servaient ! Ils collaboraient ! Retour de la monnaie à l’expéditeur : « Rendez donc à César… » Voilà les piégeurs piégés. La grenade explose, oui, mais pas là où ils l’avaient imaginé. Depuis lors, nous nous sommes souvent bouché les oreilles, pour ne pas entendre la déflagration. Nous avons aménagé le territoire : la semaine à César, le dimanche à Dieu. Alors que Jésus, lui, ne sépare pas. Il ne confond pas non plus : à César ET à Dieu. La mystique et la politique. Pour Jésus, le spirituel est au cœur du temporel. « Stupéfaits de ce qu’ils viennent d’entendre, ils le laissent et s’en vont », nous dit l’Évangile. Pas pour longtemps. Ils reviendront bientôt. Avec César. Pour arrêter Dieu.
Gabriel RINGLET