Xavier Bourdeau: « Je suis un magicien de l’âme »
Xavier Bourdeau: « Je suis un magicien de l’âme »
Boris, Jean-Lou, Stanley, Rudy, Harry Speed, Paparazzite… Derrière ces différents personnages se cache le clown-magicien tournaisien Xavier Bourdeau, convaincu que l’humour et le merveilleux peuvent enchanter le quotidien.
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« Je me définis comme magicien et clown. La magie entraîne un émerveillement, un questionnement, et le clown permet le rire. » Xavier Sourdeau ne conçoit pas l’un sans l’autre. « Un magicien est quelqu’un qui apporte du merveilleux. On parle d’illusionniste, de prestidigitateur, presti, rapide et digi avec les doigts. Il permet de dépasser la réalité et d’amener les gens dans un univers différent. Il doit émaner de lui une présence, il lui faut posséder un style singulier. Je vois trop de copier-coller de magiciens car maintenant, sur internet, en deux clics, on a accès à beaucoup de choses. J’ai appris avec un maitre-magicien, mais aussi au travers des livres et des DVD. C’est ainsi que j’ai pu être plus créatif dans mon travail. J’aime bien être le premier surpris par ma magie, je la subis, cela donne un côté comique. »
ÊTRE PRÊTRE
Le Tournaisien sexagénaire n’est pas né dans ce milieu-là. Et enfant, il n’a pas reçu de boîte de magie. Pas plus qu’il n’a usé son short sur les gradins des chapiteaux de cirques. Sa mère était prof de gym, son père ingénieur, avec un côté « fanfaron », tourné vers les autres. Il a suivi la catéchèse de l’abbé Vandeputte, un frère trappiste qui préférait emmener ses ouailles à la grotte d’Allain, un site marial tout proche, plutôt que de rester enfermé entre quatre murs. « À un moment donné, j’aurais voulu être prêtre, cela m’a traversé l’esprit, se souvient l’ex-enfant de chœur. J’aimais bien cette humanité et le message chrétien. Je suis allé à l’école des frères, mais au collège Notre-Dame, je ne me suis pas intégré. Aujourd’hui, j’ai l’impression que les religions peuvent être un placebo de l’espoir. La foi est importante, il faut croire en quelque chose. Mais les religions ont engendré de nombreux conflits. »
Devenu animateur en plaines de jeux, il fait une double découverte : qu’il possède un bon feeling avec les enfants et qu’il aime se déguiser. À l’université de Louvain-La-Neuve, il s’inscrit en psychopédagogie, s’orientant ensuite vers l’orthopédagogie, une discipline tournée vers les enfants présentant des difficultés d’apprentissage. Mais son destin l’attend au détour du piétonnier. D’une part, avec le Kot Jonglerie animé par Vincent Wauters où il s’initie à des techniques du cirque, comme le jonglage et l’acrobatie. D’autre part, avec le cirque du Trottoir où il encontre le clown Stanislas qui va tenir un rôle déterminant pour lui.
LA VOIE DU CŒUR
« Comme je faisais des petits spectacles et je voyais que ça marchait, je me suis demandé si je voulais continuer toute ma vie dans l’enseignement. » Après cinq ans de professorat, il choisit la voie du “cœur” et suit des formations orientées vers le jeu clownesque à l’école du Cirque de Bruxelles. Il s’inscrit aussi à l’école Lassaad à Bruxelles, axée sur le théâtre de geste, et apprend la commedia dell’arte avec Franco Dragone. « J’ai travaillé le mouvement, la pantomime, le mime. J’ai privilégié le travail gestuel », raconte-t-il. Très vite, il est attiré par le théâtre de rue. « Je suis un amuseur public, je n’ai pas envie de m’enfermer dans une salle ou sous un chapiteau. Ce type de théâtre vous oblige à être toujours bon, sinon vous n’avez pas d’argent dans votre chapeau. Il faut être sincère et avoir une certaine éthique. Ce rapport direct avec le public me plaît beaucoup, j’accroche les gens avec des éléments de cirque. Je m’adresse à tout le monde, privilégiant le partage. »
Son art l’a amené à voyager. En 1990, un an après la chute du Mur de Berlin, il se rend à Prague pour accompagner une artiste peintre de street art. L’aventure tourne court et le voilà en train de faire ses tours clownesques sur le pont Charles, provoquant l’ébahissement et l’amusement d’un public nombreux. En 2009, dans le cadre du projet Mali-Mali, il accompagne le griot-musicien Baba Sissoko et la fanfare d’Éloi Baudimont. Lors de ce même séjour, il se rend au Sénégal avec une ONG humanitaire. Il se produit sur une place de village où, brandissant des bols vides, il implore le ciel pour qu’il les remplisse, avant de boire l’eau ainsi récoltée. « Je suscitais beaucoup d’interrogations, d’autant que l’accès à l’eau est un véritable problème pour eux. La magie noire est très présente. Les gens me prenaient pour un sorcier, certains s’enfuyaient en courant. Mais comme je basculais dans la comédie, ils se rendaient compte que c’était pour rire. »
CHOC PALESTINIEN
Le voyage qui l’a le plus marqué, et qui reste encore très présent en lui aujourd’hui, est celui effectué en 1993 en Palestine. « Le consul de Belgique voulait qu’on aide à ouvrir une école du cirque à Ramallah. J’ai pris la guerre en pleine poire. À un check-point, des soldats israéliens, très jeunes, m’ont demandé ce que je venais faire là. J’ai dit que j’étais magicien et, à leur demande, j’ai fait des tours, ce qui les a détendus. Finalement, l’un d’eux m’a lancé mon passeport à la figure en disant que j’étais “un artiste pour terroristes”. Cela m’a vraiment choqué, j’étais confronté à une haine qui semble inextricable. » Il a joué dans des salles, dans la rue, sur des places devant un public enthousiaste, grimé en Harry Speed.
Il campe en effet une galerie de personnages burlesques qui interviennent à des moments différents. Le plus élégant, arborant un smoking pour accueillir les invités à un événement particulier, s’appelle Jean Lou. Boris, plus trash, a été imaginé pour Halloween, mais peut apparaître à d’autres occasions. Il y a aussi Stanley, un drôle d’explorateur. Ou encore Rudy, accompagné d’Adrienne dans le spectacle de sa compagnie, Truc & Cie. « J’essaie d’avoir un panel assez large, mais toujours avec un axe orienté vers la magie burlesque. Les gens ont besoin de merveilleux, comme le confirme le succès d’Harry Potter. Le monde dans lequel on vit est tellement dur, négatif, on a besoin de ces bulles magiques. Avec les réseaux sociaux, tout le monde a un avis sur tout, j’évite de tomber là-dedans. Quand on voit les influenceurs, cela fait peur, c’est de la manipulation. C’est inquiétant. On devrait plus mettre en évidence des journalistes, des médecins, des philosophes, des infirmières qui font des choses essentielles. »
Il a participé pendant plusieurs années au festival La Baguette d’Or de Monte-Carlo, où il a croisé Patrick Sébastien qui l’a programmé dans sa célèbre émission, Le plus grand cabaret du monde. Et, sous les traits de Boris, il est apparu à la télévision dans Boyard Land, la déclinaison estivale de Fort Boyard. Lui qui a fait une sévère dépression mélancolique, aime citer Raymond Devos (« Le rire est une chose sérieuse ») et conserve une admiration éperdue pour Charlie Chaplin. « Le clown est subversif, comme Chaplin avec Le Dictateur, Les temps modernesouThe Kid. Comme le bouffon, il peut se moquer du roi – pour autant qu’on ne lui coupe pas la tête ! »
Michel PAQUOT