Grégory Renard, pionnier belge en intelligence artificielle

Grégory Renard, pionnier belge en intelligence artificielle

Né à Mouscron en 1975, Grégory Renard découvre l’IA en 1996, alors que personne n’y croyait vraiment. De la voix humaine aux premiers assistants vocaux, de la Belgique à la Silicon Valley, ce pionnier discret défend une IA à la fois technique, éthique et profondément humaine.

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24 novembre 2025

· Mis à jour le

24 novembre 2025
Gregory Renard dans un jardin, souriant, les pouces levés

À cinquante ans, le Belge Grégory Renard est l’un des acteurs de l’intelligence artificielle (IA) les plus écoutés d’Europe, aussi à l’aise dans les laboratoires de la Silicon Valley que face aux institutions européennes. Tout a commencé lorsque, enfant, il regarde Goldorak et, surtout, Ulysse 31 qui le fascine. L’ordinateur de bord, cette “intelligence centrale” capable d’aider et de dialoguer, nourrit son imaginaire. À 10 ans, il écrit ses premières lignes de code et, en 1996, tout juste passé la vingtaine, il se plonge dans l’IA, alors réservée à quelques laboratoires et passionnés. Mathématicien de formation et autodidacte en informatique, il traverse le dernier des trois “hivers” de l’IA (qui désignent des périodes de désillusion et de désinvestissement après des phases d’euphorie et d’attentes exagérées), puis lance en 2011 l’assistant vocal Angie et reçoit en 2022 la NASA FDL Merit Award pour ses travaux appliqués en IA aux sciences de l’espace. 

Au-delà des prouesses techniques, Grégory Renard plaide pour une IA responsable et profondément humaine. Conscient des risques d’attachement excessif aux machines, il alerte sur la nécessité d’un meilleur encadrement des interactions homme/machine. À travers l’organisation Everyone.AI, qu’il a cofondée, il milite pour la prévention des dérives numériques, la sensibilisation des parents et la formation des enseignants. Son concept de “ceinture de sécurité cognitive” vise à poser des garde-fous sans freiner la recherche. Depuis 2016, il écrit et intervient d’ailleurs sur ces questions d’éthique, participant à des groupes de réflexion internationaux sur la régulation. « Il faut avancer, mais ensemble, en conscience », souligne-t-il. Pour lui, « l’IA n’est pas une menace, c’est le prolongement de l’humain ».

CROIRE EN L’IA 

En 1996, l’intelligence artificielle était encore une utopie. « À l’époque, croire en elle relevait presque de la science-fiction », sourit-il. Ses premiers pas dans ce domaine, Grégory Renard les fait en marge des circuits traditionnels. Après ses études, il poursuit des recherches entre la FUCaM et l’UCL, dans un laboratoire à Mons à la croisée de la pédagogie, des mathématiques et de la technologie. Puis vient l’entrepreneuriat, avec ses succès et ses échecs. Entre 1996 et 2012, ce sont les années discrètes : celles où il code, teste, apprend, alors que le marché n’en voit pas encore l’intérêt. C’est ce socle, patiemment construit, qui rendra possible Angie en 2012. Il s’agit de l’un des tout premiers assistants vocaux européens, que beaucoup surnommeront le “Siri français”, en référence à l’IA vocale développée par Apple.

Tout s’accélère ensuite. Ce qui n’était qu’une intuition devient une preuve : faire parler une machine est possible. Il s’envole alors pour la Silicon Valley. Il s’installe en Californie et rejoint un petit cercle d’ingénieurs convaincus que l’IA est sur le point de franchir un cap, comprenant que ce qu’ils construisent n’est plus un pari théorique, mais une réalité en maturation. Ils tentent de sensibiliser la Maison Blanche, l’entourage d’Angela Merkel, des conseillers de l’Élysée. La Chine et les États-Unis ont déjà pris de l’avance. L’Europe, elle, observe encore. Vers 2014, les médias s’emparent du sujet : invitation au JT de France 2, les deux pages centrales du Monde, plus de trois cents articles dans la presse. L’IA quitte les laboratoires pour entrer dans la conversation publique.

UN BASCULEMENT

Puis arrive la vraie bascule : les réseaux de neurones se transforment en modèles de langage. OpenAI naît en 2015, GPT-2 en 2019, GPT-3 en 2020, ChatGPT en 2022. Les modèles de langage dits GPT (pour Generative Pre-trained Transformers) apprennent à prédire les mots suivants en analysant des milliards de phrases. Ce ne sont pas des intelligences conscientes, mais des systèmes mathématiques capables de générer du texte, de raisonner et de dialoguer avec une fluidité inédite. Désormais, si l’on peut formuler une question, une machine peut y répondre en langage naturel. Non parce qu’elle comprend, mais parce qu’elle prédit, calcule et recompose à partir de tout ce qui a déjà été écrit.

Pour Grégory Renard, on vit actuellement un basculement comparable à l’invention de l’électricité, mais avec une différence majeure : si l’électricité a transformé le confort, l’IA transforme la mémoire, la manière de transmettre ce que l’on sait et ce que l’on est. Depuis les peintures rupestres jusqu’à la bibliothèque d’Alexandrie, de l’imprimerie à Google, l’humanité a toujours cherché à conserver ses traces, mais la mémoire collective ne survivait jamais au-delà de trois générations. Avec l’IA, une part des connaissances, des intuitions, et même des erreurs, peut traverser le temps. C’est donc une mémoire vivante, évolutive, qui est léguée aux siècles à venir. Désormais, l’IA n’est plus une idée lointaine, mais un partenaire, un outil, parfois un miroir. Et cela dépasse les GPT : robots humanoïdes capables de marcher, d’attraper des objets, de ranger une maison, voitures autonomes, diagnostics médicaux assistés… Ce ne sont plus des illusions de science-fiction, mais bien des prototypes opérationnels.

GARDE-FOU COGNITIF

Grégory Renard voit l’IA comme un prolongement de l’humain, et non comme son rival. Tout en mettant en garde contre une dérive bien réelle : non l’IA qui s’émancipe, mais l’usage qu’en feront ceux qui la contrôlent. D’où la nécessité, selon lui, d’une éthique responsable, d’un « garde-fou cognitif ». Sa pensée ne se limite pas pour autant à la technique. Il assume une part de spiritualité. Élevé dans un cadre catholique, aujourd’hui laïque, il parle volontiers de synchronicités, de la « force » chère à Star Wars et de ses moments de méditation quotidienne. « Certaines choses nous dépassent. Pour créer, il faut parfois se taire, écouter, se réaligner. » Selon lui, l’IA n’est pas une rupture avec l’humain, mais une nouvelle façon de le prolonger. Il ne croit pas à une IA qui s’émanciperait et se retournerait contre l’humanité, comme on le voit souvent dans les films, mais à des êtres humains qui pourraient en perdre le contrôle par désir de pouvoir, négligence ou ignorance. D’où l’importance de former, de transmettre, de ne pas laisser cette révolution aux seuls experts. 

Parmi ceux qui l’ont inspiré et formé, Grégory Renard cite deux mentors : Bernard Ourghanlian, ancien directeur technique de Microsoft France, « un homme dont on ressort plus intelligent rien qu’en respirant le même air », et Louis Monier, cofondateur du moteur de recherche AltaVista, ami et maintenant binôme, rencontré en Californie. Tous deux lui ont appris qu’on ne bâtit rien de durable sans vision ni intégrité. À ceux qui ont peur de cette technologie, il répond par un appel simple : expérimenter. « Quand l’électricité est arrivée, on a eu peur. Aujourd’hui, on ne sait plus vivre sans elle. L’IA, c’est pareil. L’enjeu n’est pas de résister au changement, mais de l’embrasser pour le mettre à votre service. »

Virginie STASSEN 

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