Au secours de largués de l’informatique
Au secours de largués de l’informatique
En Belgique, une personne sur deux est en situation de vulnérabilité numérique. Des associations alertent à propos des impacts de la dématérialisation et mettent en place des actions pour réduire la fracture.
Publié le
· Mis à jour le

Même si une part très importante des Belges est connectée à internet, il subsiste au sein de la population de grandes inégalités par rapport à l’utilisation des outils informatiques. Pour améliorer l’inclusion numérique, plusieurs associations sont actives sur le terrain. Interface3.Namur est l’une d’entre elles et Aline Renard y est chargée de communication. Elle observe que « près d’un Belge sur deux serait en situation de vulnérabilité pour effectuer des démarches du type accéder à un dossier administratif en ligne, remplir des formulaires pour le chômage, constituer son dossier de pension, prendre rendez-vous à l’hôtel de ville. Mais aussi demander des attestations liées à la vie familiale, chercher et trouver un logement, faire un virement, remplir le formulaire pour recevoir une prime liée à l’habitation… Autant d’opérations difficiles à réaliser pour quelqu’un qui ne possède pas d’ordinateur ou qui ne s’en sert que pour quelques opérations basiques. » Parmi les personnes en rupture par rapport au tout numérique, certaines donnent le change parce qu’elles sont capables d’envoyer un simple mail, se connecter sur les réseaux sociaux et avoir une conversation par vidéo avec leur famille. Mais pour le reste, elles sont tout simplement larguées.
PETITS TABOURETS
Comme d’autres associations actives sur le terrain de la fracture numérique, Interface3.Namur apporte des réponses ciblées aux problèmes de largage informatique. Sans passer par un long processus de formation, qui découragerait les demandeurs et, surtout, ne répondrait pas à leur question souvent urgente. Le principe est : à une demande correspond une information nécessaire à sa résolution. Comment faire pour numériser un document, le joindre à un mail, en ouvrir un et le garder dans un dossier ? « Les gens se retrouvent devant une énorme marche, bien trop haute pour eux, analyse Aline Renard. On va donc mettre en place de petits tabourets. Mais ce serait encore mieux de disposer d’une rampe d’accès en pente douce. On a créé la ‘box’, une boîte à outils très visuelle qui existe physiquement, mais aussi en ligne, en open access. »
Vincent Ferré est informaticien public au sein de l’association de l’ARC (Action et Recherche Culturelles). Il explique : « Pour être présents où sont les gens, on s’est alliés avec des initiatives existantes, dans des lieux de cohésion sociale. Nous avons cartographié les quartiers de Bruxelles et repéré ces endroits : centres de prévention, secteur de la santé, mutuelles, CPAS, restos sociaux, ASBL qui font de l’accompagnement social, etc. Nous y assurons des permanences. Actuellement, nous nous installons à Namur, mais c’est le tout début. »
Parmi les demandes rencontrées, il pointe celle-ci, significative des dérives possibles : « Une personne voudrait qu’on l’aide à retrouver une photo perdue quelque part dans son ordinateur. Une photo ? Vraiment ?, se dit-on, il y a sans doute d’autres urgences. Mais tout l’art de l’informaticien public, c’est de décrypter la demande pour voir ce qui se cache derrière elle. Ici, la photo était une pièce essentielle pour apporter une preuve dans une démarche judiciaire, avec un impact important pour l’avenir de la personne. »
PRÉSENCE RÉELLE
Vincent Ferré souligne que la disparition des guichets avec présence “réelle” d’un humain en chair et en os est un désastre et peut conduire à des drames. Il évoque cette demande d’aide venant d’une personne âgée pour accéder à son compte en banque. « Cette dame est arrivée complètement désemparée. Elle nous a raconté que quelqu’un lui avait proposé une assistance contre paiement de 20€. Et quand on pense que la demandeuse aurait dû donner son code à un individu qu’elle ne connaissait sans doute pas, on est effarés. Nous, les informaticiens publics, offrons ce service et sommes tenus au secret. Nous procédons toujours le plus discrètement possible, en évitant toute forme d’intrusion. »
Vincent Ferré se déplace avec du matériel léger : un ordinateur portable, une imprimante et un routeur qui fonctionne avec une carte de téléphone et la 4G. Un écran supplémentaire permet de suivre ensemble toutes les étapes. « L’idéal serait la démultiplication des lieux qui mettent du matériel à disposition, et surtout des personnes qui accompagnent. Mais avec quels moyens ? » Les intervenants d’Interface3 Namur et les informaticiens publics regrettent la difficulté de mettre en place des actions sur le long terme, puisque les subsides sont limités et toujours à redemander dans le cadre d’appels à projets. « C’est du saupoudrage, regrette Aline Renard. On cherche dès lors à s’associer avec les villes et les communes pour aller plus loin. »
RENTABLE VERSUS SOCIAL
Vincent Ferré relève les pièges de la dématérialisation à tout prix. « Ce terme est un leurre, affirme-t-il. Derrière le tout numérique se pose la question du stockage des données et celle des ressources énergétiques nécessaires pour faire tourner les machines. Le numérique est terriblement énergivore. Et ces énergies sont pour la plupart non renouvelables. » Le discours dominant prétend que le numérique va faciliter la vie des gens. « Oui, mais lesquels ? s’interroge encore l’informaticien public. Sûrement pas les personnes précarisées et les plus âgées. Ce sont plutôt les administrations qui s’épargnent de l’argent et du temps. Et c’est l’associatif, petitement subsidié, qui fait le job de l’État, en formant les usagers. »
Se pose aussi la question de l’humain et du respect qui lui est dû, qui qu’il soit. Comment inclut-on les personnes plus âgées, plus lentes ou moins instruites ? On risque fort de n’avancer qu’avec les privilégiés. Et quel monde se profile derrière ces injonctions au tout en ligne ? La numérisation marque la victoire du rentable sur le social. Est-ce dans une telle société que les gens veulent vivre ?
Chantal BERHIN
Interface3.Namur : avenue du Sergent Vrithoff 2, 5000 Namur interface3namur.be/
Box numérique : interface3namur.be/documentation/box-numerique/
ARC. Les informaticiens publics. arc-culture-bruxelles.be/numerique/ bruxelles@arc-culture.be
« Près d’un ménage sur trois avec de faibles revenus ne dispose pas de connexion Internet. 40% de la population belge ont de faibles compétences numériques. Un chiffre qui monte à 75% chez les personnes avec des faibles revenus et un niveau de diplôme peu élevé. Elles sont respectivement 55% et 67% à ne pas effectuer de démarches administratives en ligne » (ces données ne tiennent pas compte de la catégorie des personnes âgées de plus de septante-quatre ans). Source : Fondation roi Baudouin.