Chômeurs de longue durée, tous des fainéants ?

Chômeurs de longue durée, tous des fainéants ?

Dès janvier 2026, la Belgique met fin aux allocations de chômage illimitées. Environ deux cent mille personnes sur deux cent nonante mille chômeurs sont concernées par cette exclusion progressive. Enquête auprès de ceux qui vont perdre leurs allocations et des économistes qui, même en justifiant le principe, déplorent sa brutalité.

Publié le

24 novembre 2025

· Mis à jour le

24 novembre 2025
Image d'un homme assis en costume sur une chaise, la main sous la tête

« Je ne vois pas pourquoi on fout dehors les chômeurs sans solution, résume Chloé, 26 ans, au chômage depuis mai 2024 suite à la fermeture de la crèche de sa fille. J’ai déjà fourni cinq mille cinq cents papiers pour parvenir à une reprise d’études comme sage-femme et obtenir une dérogation, car ce n’est pas un métier en pénurie. Je suis à deux ans d’études sur quatre de mon diplôme. » Sans son chômage de cohabitante à six cents euros et avec deux jeunes enfants, elle n’y arrivera pas. Avec son seul CSS, elle va retourner chercher un travail « au petit bonheur la chance ». « On ne me laisse pas la chance de faire le boulot que j’aime. J’ai pensé à un prêt, mais sans revenu, c’est impossible, on a déjà celui pour la maison. » Katia a aussi reçu sa lettre, elle compte bien vingt ans de chômage. « Je m’y attendais. Mais, en réalité, depuis vingt ans, je travaille comme indépendante complémentaire. » Psychologue clinicienne, elle a développé des outils de développement personnel qu’elle espérait voir marcher. L’ONEM lui a déjà couru après, mais elle a pu prouver qu’elle ne gagnait pas plus de quatre mille euros par an. Elle a gagné son procès. Katia a 66 ans. « Quand on cherche depuis vingt ans et qu’on se démène, on sait que plus personne ne va nous engager à cet âge-là. » Elle va se retrouver au CPAS qui devrait en plus la priver de son activité complémentaire.

DES CARRIÈRES HACHÉES

Chômeur travailleur ? Sabine aussi en sait quelque chose, elle qui travaille comme surveillante d’école depuis des années avec un statut d’ALE « qui arrange bien tous les parents qui travaillent », tout en touchant son chômage. Elle va perdre son chômage et son job. Et l’école pour laquelle elle se dévoue devra se débrouiller. Hicham a aussi reçu son “bon de sortie” alors qu’il se démène. Au total, il a travaillé quatre mois et demi sur cinq avec des contrats courts, mais est toujours considéré comme chômeur de longue durée. Pour sortir des statistiques, une période ininterrompue de travail de trois mois est nécessaire. Il n’est pas un cas isolé : un tiers des chômeurs de longue durée ont retravaillé depuis qu’ils ont dépassé les deux ans de chômage, sans trouver d’emploi suffisamment stable pour sortir des statistiques.

Au-delà de ces cas individuels, celles-ci confirment la diversité des profils concernés. Un tas de chômeurs sont étonnés lorsque le courrier fatidique arrive. Et pour cause, les règles du “jeu” ont été totalement retournées. Toutes les carrières coupées comme celles des intérimaires ou des temps partiels peuvent être touchées. Faute de retrouver du travail, deux chômeurs sur trois seront graduellement exclus. Pourtant, le chômeur profiteur qui refuse de travailler alors qu’un job l’attend “de l’autre côté de la rue” ne se vérifie nullement dans les statistiques. La majorité des chômeurs de longue durée ont travaillé ou travaillent à temps partiel. Ils sont généralement peu qualifiés (niveau études secondaires), près de la moitié d’entre eux ont à peine un diplôme de secondaire inférieur et quatre sur dix ont plus de 45 ans. Ils sont principalement francophones (Wallonie et Bruxelles), observe Yves Martens, expert de terrain du collectif Solidarité contre l’exclusion. S’il y a cent quatre-vingt mille emplois vacants, en particulier en pénurie, il y a aussi au total cinq cent mille demandeurs d’emploi.

LA BELGIQUE ALIGNÉE

La répartition géographique de ce type chômage révèle des fractures profondes. La Wallonie et Bruxelles ont une longue histoire de chômage élevé, bien que les taux aient diminué ces dernières années. 34% des chômeurs de l’UE le sont depuis plus de douze mois. 38% en Belgique, ce qui n’est ni brillant ni catastrophique. Mais 50% en région bruxelloise et 46% en Wallonie pour seulement 23% en Flandre. La Belgique était une exception mondiale en matière d’allocations illimitées. Avec la réforme, elle restera cependant plus généreuse que de nombreux pays européens. « Ainsi, la Belgique ne devient pas un “enfer social”, mais s’aligne sur des pratiques plus équilibrées, pointe le ministre de l’Emploi, David Clarinval (MR). L’objectif global est de faire du chômage un tremplin vers l’emploi, plutôt qu’un statut figé dans la durée. » Cependant, « les allocations de chômage de durée indéterminée sont seulement un facteur parmi d’autres expliquant le chômage, souligne Bruno Van der Linden, économiste à l’UCLouvain. Une assurance chômage bien conçue doit équilibrer la protection contre la perte de revenus et les incitations à la recherche d’emploi. La combinaison d’une indemnisation potentiellement mal conçue ou trop élevée avec d’autres facteurs comme la fiscalité et les aides sociales peut créer un phénomène de piège à chômage, rendant le retour à l’emploi moins attractif. »

« Quand on cherche depuis vingt ans, on sait que personne ne va nous engager à cet âge-là »

S’il est évident que davantage de fils de chômeur le sont que de fils d’ingénieur, depuis treize ans, plus aucun jeune ne peut toucher le chômage sur la base de ses études. Sur deux cent nonante mille demandeurs d’emploi indemnisés en Belgique, à peine treize mille six cent nonante sont inscrits depuis plus de vingt ans. Soit, une infime minorité. « Personne ne nie qu’il y ait du chômage de très longue durée, mais parler de chômeur profiteur est un fantasme. Ils essaient de travailler en fonction de leur région et de leur peu de diplômes. Et s’ils reçoivent une allocation de chômage, c’est parce qu’ils cherchent activement un emploi et subissent des contrôles réguliers pour le vérifier. Sans quoi, ils seraient automatiquement exclus du système », développe Yves Martens. Et de rappeler que le CD&V, les Engagés ou les socialistes flamands avaient présenté la fin des allocations de chômage comme sanction pour… quelqu’un qui refuse un emploi, notamment d’intérêt public. « Or ce sont les Régions qui doivent proposer cette offre ultime d’emploi. Mais rien n’est prêt et le fédéral n’a pas fait dépendre sa mesure à cette offre d’emploi. » Dès lors, explique Yves Martens, on ne voit pas qui serait contre supprimer le chômage à quelqu’un qui refuse un travail, mais ce n’est pas ce qui se passe.

DEUX PROFILS

La réforme aura des impacts distincts sur deux groupes de chômeurs : un premier avec des profils facilement valorisables qui pourrait retrouver un emploi plus rapidement. Un second avec des profils plus difficiles qui risque de basculer vers des systèmes d’assistance ou des situations plus précaires. « Les chômeurs de longue durée ne constituent pas un groupe homogène, et beaucoup présentent des profils difficiles (âge, santé, compétences) pour lesquels des incitations financières seules sont insuffisantes. Ils font face à des obstacles structurels comme la garde d’enfants, la santé, le logement ou le transport », précise l’économiste de l’UCLouvain Bruno Van der Linden. En réalité, le chômage est un phénomène dynamique : environ 30% des chômeurs trouvent un emploi, 40% restent au chômage et 30% deviennent inactifs (retraités, étudiants), décrit par ailleurs Bruno Colmant. Si le taux d’emploi est bel et bien plus bas en Wallonie, avec une proportion plus importante de chômeurs, il n’est pas dû à une culture de la flemme, mais à une croissance économique moins forte qu’en Flandre, mieux connectée aux zones industrielles et ports. L’économiste pointe aussi des difficultés à faire le deuil d’un passé industriel révolu. Mais il s’émeut surtout d’un manque d’envie de travailler chez les jeunes et des problèmes de qualification chez eux, suggérant la nécessité de valoriser l’enseignement qualifiant.

« Personne ne nie qu’il y ait du chômage de très longue durée, mais parler de chômeur profiteur est un fantasme »

La fin de l’indemnisation chômage à vie est cependant justifiable, selon les économistes. « La Belgique, autrefois un pays riche qui a pu se le permettre, ne peut plus soutenir ce système. Le chômage doit être une phase transitoire. » Mais la mise en œuvre menée par le gouvernement est jugée brutale par Bruno Colmant, en particulier pour les familles déjà précarisées. L’absence d’un plan progressif pour la réinsertion est déplorable. Le gouvernement évoque deux milliards d’euros d’économies. Comme le met en avant Bruno Van der Linden, bien qu’il puisse y avoir des gains apparents pour les finances publiques, des coûts cachés peuvent surgir tels que l’augmentation de la pauvreté, du travail informel ou le transfert vers d’autres systèmes comme l’assurance maladie-invalidité. Le principal problème économique de la Belgique est le vieillissement de sa population, avec près de deux millions de personnes à la retraite. Le chômage est la septième dépense de la sécurité sociale et les pensions, le premier.

Les profils des exclus révèlent une réalité complexe, loin du cliché du chômeur profiteur : parents en reconversion, seniors discriminés par l’âge, travailleurs précaires aux carrières hachées. Cette transition forcée vers l’emploi produira-t-elle les effets escomptés ou amplifiera-t-elle la précarité ? Les mois à venir et le recours déposé contre cette mesure le diront, tandis que Chloé, Katia, Sabine, Hicham et des milliers d’autres devront réinventer leur vie sans le filet de sécurité qui les accompagnait jusqu’ici.

Catherine ERNENS

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