Corine van Oost: après 20 ans de loi sur l’euthanasie, où en est-on?

Corine van Oost: après 20 ans de loi sur l’euthanasie, où en est-on?

« L’euthanasie n’a pas dénaturé la philosophie des soins palliatifs », estime Corine van Oost, aujourd’hui membre de la Commission Fédérale de contrôle et d’Évaluation de l’Euthanasie. Dans son livre L’euthanasie au seuil des soins palliatifs, elle invite à des déplacements du regard. 

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Publié le

31 décembre 2022

· Mis à jour le

17 avril 2025
Corine vanOost souriant devant une étagère remplie de livres

« Je suis catholique engagée, et c’est au nom même de ma foi en un Dieu d’amour, qui comprend et s’engage auprès des plus pauvres, que j’ai accepté de pratiquer parfois l’euthanasie. Il me semble que les choix et les valeurs de la personne passent avant mes propres convictions. Je ne cache pas non plus mon désir de proposer à tous, patients en demande d’euthanasie, proches et soignants, un cheminement accompagné dans la philosophie des soins palliatifs. » Après avoir fait des études de médecine en France, et travaillé dans le domaine des soins palliatifs dans un grand hôpital parisien, Corinne van Oost a rejoint l’équipe de soins palliatifs à domicile du Brabant wallon. Elle se souvient avoir eu alors l’occasion d’accompagner une de ses tantes qui mourrait d’un cancer dans une douleur insoutenable. Elle est aujourd’hui membre de la Commission Fédérale de contrôle et d’Évaluation de l’Euthanasie.

UN DERNIER RECOURS

« En pratiquant ainsi ces soins palliatifs ‘intégraux’, explique-t-elle, j’ai pu constater que l’euthanasie n’a pas dénaturé la philosophie des soins palliatifs. Au contraire, en acceptant d’accompagner les demandeurs et leurs proches jusque-là, j’ai le sentiment de remplir pleinement ma mission. La fin de vie est le lieu où il faut respecter l’itinéraire, les souhaits et les limites de chacun. Dès lors, on peut se demander si l’euthanasie n’est pas à considérer comme un ‘soin’, sans nier qu’elle porte en elle par ce biais sa part de transgression. »

Cela fait vingt ans que la Belgique a promulgué trois lois encadrant la fin de vie, incluant la dépénalisation de l’euthanasie. Celle-ci n’est « ni un droit ni un libre-choix », précise la doctoresse, c’est un « dernier recours » lorsque la médecine palliative a atteint ses limites. « Elle est toujours un échec et aucun médecin ne peut la pratiquer facilement. Mais quand on a tout tenté, sans être capable de soulager, que doit-on faire ? Abandonner l’autre à sa souffrance ? Ce n’est pas ma conviction de chrétienne. »

Pour construire son livre, L’euthanasie au seuil des soins palliatifs, vingt ans de modèle belge, Corinne van Oost a fait appel à des collaborateurs engagés sur le terrain, principalement en Belgique francophone, mais aussi en France et au Québec. Avec eux, lors de tables rondes réunissant médecins, psychologues, psychiatre, philosophe et éthicien, elle fait le point sur l’accompagnement de la fin de vie dans des contextes législatifs et culturels différents. À une époque où circulent beaucoup d’informations à propos de cet acte, parfois mensongères ou truquées, il est urgent d’en décrire la pratique dans sa réalité, y compris dans un cadre de soins palliatifs. 

UN TRAVAIL D’ACCOMPAGNEMENT

Il ressort de ces multiples expériences qu’il s’agit d’un chemin important à faire en équipe. Il est en effet primordial d’inclure les acteurs : médecins, bénévoles, infirmières, famille. Si ce n’est pas tous les jours faciles, c’est néanmoins un travail d’accompagnement où chacun peut apporter sa pierre. Il est fondamental de respecter le patient qui est l’ultime décisionnaire. Il faut intégrer les dimensions psychologiques, éthiques, spirituelles. Il est bon de rappeler qu’en Belgique, la loi sur l’euthanasie a été promulguée en même temps que celle sur le développement des soins palliatifs. Existe aussi la loi sur le droit des patients. La personne concernée peut refuser l’acharnement thérapeutique, tout comme elle a la possibilité de demander que tout soit fait pour lui permettre de continuer à vivre. 

Il ressort également de ces échanges que les demandes d’euthanasie, rares dans les soins palliatifs, arrivent quand les souffrances sont intolérables. S’il est possible de soulager la plupart d’entre elles, 5% ne peuvent l’être. Pour qu’une telle requête soit acceptée, elle doit être répétée par la personne en pleine conscience. L’avis de deux médecins est nécessaire et si, à un moment, le malade n’est plus en mesure de donner son avis, une personne de confiance est désignée. 

SORTIR DU DÉBAT IDÉOLOGIQUE

L’accompagnement psycho-familial et relationnel est aussi très important. Le philosophe Jean- Michel Longneau, à l’origine très réservé sur le fait de légiférer sur l’euthanasie, témoigne dans le livre de Corinne van Oost. « En rencontrant des gens de terrain impliqués dans des euthanasies, se souvient-il, j’ai commencé à voir les choses différemment et à sortir du débat idéologique, souvent stérile, où les pour et les contre s’envoient leurs arguments à la figure. L’interdit du meurtre reste un élément fondateur de notre société. Mais à l’absolutiser, à le radicaliser, il en devient monstrueux, au point d’assassiner la vie. C’est paradoxal, mais à vouloir respecter l’interdit du meurtre, on laisse parfois les malades dans une vie qui n’est plus une vie, mais un enfer de souffrance. C’est une autre forme d’assassinat et de non-respect de ce que vit un humain. »

La dimension éthique et spirituelle, ainsi que la place des rites et de la religion dans la pratique de l’euthanasie sont également abordées dans l’ouvrage. Corinne van Oost partage sa rencontre avec le Canadien Ivan Marcil. « J’ai découvert l’existence des “intervenants en Soins Spirituels”, cet accompagnement de la dimension spirituelle de la personne malade, sans connotation religieuse. » Cette profession exercée au Québec, par sa posture radicalement non confessionnelle, semble unique dans le monde. Ces intervenants sont des employés du ministère de la Santé et des services sociaux de la région. Le gouvernement québécois demande une position ouverte à toutes les confessions, croyances ou non-croyances. 

DES GESTES CÉLÉBRATIONNELS

« L’accompagnement spirituel est plus qu’une écoute attentive, estime de son côté Gabriel Ringlet. Il peut être amené à poser des gestes à haute teneur symbolique. Des gestes célébrationnels, y compris des gestes sacramentels. Le rituel c’est d’exprimer l’inexprimable. De ressaisir ce qui arrive en créant quelque chose de neuf. Le soin spirituel est de l’ordre de la création. En créant quelque chose, qui à la fois, nous rencontre très concrètement, là où nous sommes, et nous dépasse. »

Paul FRANCK

Corinne VAN OOST, avec Jean BAUWIN, L’euthanasie au seuil des soins palliatifs, Louvain-La- Neuve, Academia, 2022. Prix : 24,50€. Via L’appel : -5% = 23,33€.

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