Les jeunes parents qui laissent leurs enfants regarder les dessins animés auront probablement remarqué le changement d’identité de la chaîne publique pour enfants. OUFtivi, qui partageait jusque fin août le canal avec La Trois, a tiré sa révérence pour laisser place à Auvio Kids TV. Dans la mémoire de ces mêmes parents, c’est le souvenir d’Ici Bla-Bla, le prédécesseur de OUFtivi, qui reste sans aucun doute le plus vivace. De 1994 à 2010, cette émission servait d’emballage aux séries de dessins animés programmés sur La Deux. Mais, d’Ici Bla-Bla, il ne reste plus grand-chose. Repoussés du deuxième au troisième canal de la RTBF, les dessins animés sont diffusés à la chaîne et n’ont plus de trame de fond. Tout au plus, la mascotte de la nouvelle chaîne rappelle vaguement le personnage de Bla-Bla, stylisé et recolorisé à la sauce 2023. 

DIGITALISATION

Ces décisions n’ont pas été prises au hasard. En changeant le nom de la chaîne de OUFtivi pour Auvio Kids TV, la RTBF s’inscrit dans une tendance observée de digitalisation. « Moins de 30% du temps passé devant un écran de télévision par les ‘kids’ est consacré à visionner des programmes de télévision, souligne Xavier Huberland, directeur du pôle Média à la RTBF. La tendance est clairement vers un usage digital et aux contenus à la demande. Donner de la visibilité à l’offre gratuite et sécurisée d’Auvio Kids est donc une priorité. Remplacer OUFtivi par Auvio Kids TV s’inscrit dans cette démarche afin de renforcer la notoriété d’Auvio Kids. » 

Pour bien saisir ces propos, il faut distinguer Auvio Kids TV, qui est la chaîne pour enfants diffusée de façon linéaire sur le troisième canal télé de la RTBF, et la plateforme Auvio Kids, qui est la doublure orientée “kids” de sa grande sœur Auvio. Et si Auvio Kids TV, fraîchement arrivée sur le canal, est là pour « donner de la visibilité à Auvio Kids », c’est parce que cette dernière existe depuis près de quatre ans. Le 27 mars 2020, alors que le coronavirus achève de fermer un à un les lieux au public, la RTBF met à disposition de celui-ci l’adresse auvio.be/kids, une nouvelle plateforme destinée aux 4 à 12 ans, « pour les aider à apprendre tout en s’amusant en cette période de confinement ». La sélection des programmes a été réalisée en collaboration avec le Service du Numérique éducatif de la Fédération Wallonie-Bruxelles et ne contient alors que des vidéos à caractère informatif et éducatif. 

LE PRISME DE L’ENFANT

Entre-temps, l’offre a été agrémentée de contenus divertissants (en majorité des dessins animés) et culturels ou de gaming, qui permettent de stimuler la créativité. « C’est la combinaison de toutes ces thématiques – info, éducation, divertissement, culture, gaming… – qui fait la spécificité de service public d’Auvio Kids », explique Xavier Huberland. Ce qui la différencierait donc des chaînes privées pour enfants, tels que Disney Channel, Nickelodeon (éditée par Paramount) ou Gulli (éditée par M6). L’info, profondément inscrite dans l’ADN de la RTBF, est en effet un type de contenus que l’on ne retrouve pas sur ces chaines. La difficulté de rendre l’actualité attrayante pour le jeune public explique en partie ce constat. 

« C’est vrai que les enfants sont un public très particulier », reconnait Maxime Dumoulin. Rédacteur en chef du JT pour enfants Les Niouzz, il raconte comment l’info est sélectionnée en rédaction : « On essaie de choisir des infos qui les concernent, qui les touchent. Par exemple, cette semaine, des écoles sont restées fermées à cause d’alertes à la bombe. Ce sont peut-être leur école, ou celle d’un de leurs amis. Ou alors, si l’info ne les concerne pas, on essaie de la traiter au travers du prisme de l’enfant. Autre exemple : pour le Black Friday, on ne va pas leur parler de réductions plus ou moins grandes, parce que ce n’est pas eux qui ont le portefeuille. On va plutôt travailler un aspect critique en les informant que de plus en plus de vêtements achetés en solde sont jetés dans l’année. »

La rédaction des Niouzz met de même un point d’honneur à ne contourner ou n’édulcorer aucune information concernant le sujet abordé. Certaines thématiques peuvent paraître plus difficiles à traiter : les faits de mœurs ou, dans un tout autre registre, les questions liées à l’identité de genre. « On en parle également, confirme Maxime Dumoulin, car ce sont des sujets d’actualité. Mais il faut le faire bien, donc cela demande une plus grande réflexion. » 

UN GLISSEMENT CONTRÔLÉ

À l’occasion du changement d’identité de OUFtivi, la chaîne pour enfant a perdu, en semaine, le créneau du début de la matinée au profit du passage télé de la matinale de la radio La Première. Auvio Kids TV est aujourd’hui diffusée de 9h à 20h. La décision de ne plus proposer des programmes pour enfants dans la fenêtre où ceux-ci ne sont pas encore partis à l’école peut surprendre. « En semaine, l’audience en TV tôt le matin est faible pour les kids, révèle Xavier Huberland. Au même titre que Vivacité est diffusée le matin sur La Une, que Tipik Radio est diffusée sur Tipik TV, il était logique de renforcer la synergie entre La Trois et La Première, d’autant plus dans un moment où l’appétence pour l’info est renforcée au vu de l’actualité internationale. Par ailleurs, en période de vacances, nous réduisons le temps pris par la matinale de La Première en TV, allant jusqu’à ne plus la diffuser sur certaines périodes de vacances. »

Les matinées de semaine, Auvio Kids TV redirige donc les plus jeunes vers la plateforme en ligne. Ce glissement contrôlé fait partie de la stratégie de revalorisation d’Auvio Kids de la RTBF. « Nous ne pouvons aller contre une tendance de fond, concède le directeur du pôle Média. L’usage est de plus en plus digital et à la demande ». D’aucuns pourraient y voir un risque que les enfants, poussés sur la toile, dérapent vers l’ensemble de l’offre du catalogue Auvio, ou quittent l’application pour se noyer dans l’océan de contenus vidéos disponibles sur le web. 

Pas de danger en ce qui concerne Auvio, pour la responsable de la plateforme. « Auvio Kids est un univers sécurisé et sans publicité, précise Cindy Janssens. Dès que le parent a cliqué sur l’espace Kids et a réglé le contrôle parental, l’enfant reste dans cet espace. Il est donc en sécurité pour naviguer dans le catalogue qui lui est dédié. Il n’est pas en contact avec d’autres contenus. C’est d’ailleurs pour cette raison que cet espace a été développé. La consommation de contenus kids est très importante sur les smart TV, cela signifie que les parents continuent à mettre leurs enfants devant un grand écran mais, cette fois-ci, il n’est pas possible de changer de chaîne. » Une meilleure sécurité donc par rapport à l’époque de la télé linéaire. En dehors des garde-fous de la plateforme Auvio, les parents restent les seuls maîtres du contenu accessible par leur enfant. 

François HARDY