Les écrivains ont abondamment exploré les relations au père et à la mère durant l’enfance, mais plus rarement les liens entre frères. Michel Desmarets observe ceux de très grande proximité entre Côme, le narrateur, et Alban, plus âgé d’un an et demi. De manière expressive, il ressuscite ce passé, le sien probablement pour une large part, dans un va-et-vient avec le présent. Il remet en lumière ces instants merveilleux de complicité entre les deux frères, exaltants quand ils roulent à vélo à toute vitesse, comme des derviches tourneurs dans le parc proche de la maison familiale, ou lorsqu’ils entament une escalade risquée dans les arbres, sous la conduite experte de l’aîné qui trace le chemin. De connivence, ils parlent entre eux une langue inventée, se posent les grandes questions sur le sens de la vie, sur sa précarité ou son incertaine éternité. Les affrontements sont parfois rugueux, mais suivis de réconciliations apaisantes.

PRÉCARITÉ ET FINITUDE

D’autres souvenirs de l’enfance partagée entre les deux complices sont plus personnels à Côme, le narrateur : les séjours dans la maison de leurs grands-parents, l’histoire racontée le soir par la grand-mère et le baiser de celle-ci sur le front de l’enfant apaisé avant de s’endormir. Le grand cri soudain de douleur de cette grand-mère à l’annonce du décès d’un proche apprend à l’enfant la précarité et la finitude.

Évocation aussi de la fin de l’enfance, avec ses troubles et ses premiers émois sensuels, et de la solitude qui l’accompagne. Des rêves lumineux délivrent un message à Côme qui se sent d’ici et d’ailleurs. « Je vise, écrit l’auteur, à une cohabitation avec mon enfance, ses obscurités, ses grandeurs, ses limites et ses clartés. Je suis un chercher de lumière, un explorateur de soleils cachés. L’humain est un mystère immense, une galaxie d’éclats et de diamants bruts comprimés dans du quelconque. »

MAGIQUE MER DU NORD

L’immense plage de la mer du Nord, que Côme arpente le long des vagues montantes et descendantes avec son frère puis, devenu adulte, en solitaire, est le lieu magique du récit, le révélateur de vie intime. Qui a pu, enfant, séjourner à la mer, sera heureux d’y retrouver ici cette atmosphère particulière. Elle est terrain de jeux, d’exploration, de contacts humains inédits, ou de solitude recherchée, de questions existentielles que l’on se pose à tout âge. Le château de sable érigé fièrement par les deux frères leur apprend le côté éphémère des constructions humaines en observant l’extinction des formes. 

À l’aide d‘un bâton dans le sable durci, Côme peut, le soir venu, y tracer sur la plage désertée, ses pensées secrètes emportées bientôt par le courant. Il comprend que si la vie est une marche en avant, elle est aussi un cycle de va-et-vient ininterrompu. Il entend les vagues lui parler, croise mouettes et goélands et aperçoit au loin un enfant dont il se sent étrangement proche sans pouvoir lui adresser la parole, faute d’un langage commun, en recherche, lui aussi, de trésors cachés. « Marcher sur la grève apaise, la mer et la vague rappellent que nous sommes mortels, nomades, cycle, pluriels », observe l’auteur.

Chacun des deux frères fera sa vie, avant qu’arrive le temps de l’épreuve inattendue dans cette relation fraternelle brutalement interrompue. Le lien va-t-il se dénouer ou se vivre autrement ? Michel Desmarets, agrégé en art du spectacle et qui a enseigné pendant trente ans le théâtre, la psychologie et la philosophie à l’Institut Sainte-Marie de La Louvière, propose un premier roman interpellant, étrange, à la fois livre de souvenirs, conte poétique, approchant avec sensibilité les grandes questions existentielles. Le lecteur pourra y trouver avec bonheur écho à sa propre recherche vitale.

Gérald HAYOIS

Michel DESMARETS, La plage d’après, Louvain–la–Neuve, Academia, 2023. Prix: 18€. ViaL’appel : – 5% = 17,10€.