Les murs envahissent le musée

Les murs envahissent le musée

Invader, l’artiste de rue français, propose cent-cinquante tableaux réalisés uniquement à l’aide de Rubik’s Cubes. Cette exposition originale d’art contemporain est à voir au MIMA à Molenbeek.

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Publié le

31 octobre 2024

· Mis à jour le

9 avril 2025
Un mur avec des carreaux de couleurs

Depuis 2003, Invader, un artiste contemporain issu du street art qui, comme le célèbre Banksy, a toujours souhaité garder son identité secrète, utilise des Rubik’s Cubes pour réaliser des tableaux ou sculptures. L’exposition organisée en ce moment au MIMA, le Millenium Iconoclast Museum of Art de Bruxelles, rassemble cent-cinquante œuvres conçues selon cette technique, sur les quatre cents existantes. Une occasion unique, donc, d’approcher les panneaux de tout près et de se faire une idée de la créativité de l’artiste.

LE PIXEL POUR PALLETTE

L’artiste s’est fait connaître en donnant dans son art corps au pixel, le petit carré coloré qui constitue la base d’une image numérique. Depuis la fin des années 90, Invader envahit clandestinement les rues du monde entier avec des mosaïques constituées de carreaux de céramique. Considérant que les musées et les galeries d’art ne sont pas accessibles à tous, il installe son travail dans des espaces publics, le rendant visible au plus grand nombre. Ces œuvres semblent tout droit sorties d’écrans d’ordinateurs et rappellent l’esthétique des premiers jeux vidéo. On en compte aujourd’hui plus de quatre mille disséminées dans quatre-vingt villes autour du globe : Tokyo, Hollywood, sommet de la tour Eiffel, désert tunisien, fonds marins de Cancún… Et même dans l’espace, puisqu’une de ses créations est embarquée à bord de l’ISS d’où elle fait seize fois par jour le tour de la Terre. 

En 2003, Invader introduit dans ses compositions des références à un objet culte : le Rubik’s Cube. Un an plus tard, il réalise Rubik Space One, une petite sculpture composée de neuf cubes. C’est le point de départ du mouvement que l’artiste baptise “Rubikcubisme”, clin d’œil au cubisme de Picasso et Braque. Il se donne ainsi un cadre créatif ou un vocabulaire fait des possibilités du Rubik’s Cube, c’est-à-dire des unités de neuf carrés, composées de six couleurs de base. Ne dit-on pas souvent que la contrainte suscite la créativité ? Cela peut paraitre très limité, mais La théorie mathématique combinatoire révèle que le nombre de positions possibles du cube est de plus de quarante-trois milliards de milliards ! Un ordinateur qui imprimerait toutes les combinaisons au rythme de cent par seconde mettrait près de quatorze milliards d’années à effectuer sa tâche. Cela constitue une palette somme toute pas si limitée.

POINTS COLORÉS

Le résultat ressemble donc à une image numérique agrandie fortement, où apparaissent clairement les points colorés dont elle est constituée. Une œuvre d’Invader exige de s’éloigner de celle-ci et de trouver la bonne distance à laquelle le sujet représenté se révèle. Dans une moindre mesure, c’est un peu ce qui se passe vis-à-vis d’une toile impressionniste ou pointilliste.

Invader réalise ses oeuvres selon différentes thématiques, bien représentées dans l’exposition bruxelloise. La première série multiplie les Rubik Bad Men, c’est-à-dire des portraits de “vilains”, qu’ils soient réels, comme Carlos ou Al Capone, ou issus de la fiction, comme Maléfique. Une deuxième reprend et détourne des tableaux célèbres de l’histoire de l’art. Le visiteur pourra ainsi contempler la version Rubik de L’origine du monde de Gustave Courbet, La grande odalisque d’Ingres ou encore Les demoiselles d’Avignon de Picasso.

Avec la série des Rubik Low Fidelity, l’artiste passionné de musique décide de transposer les images de ses albums préférés dans son univers rubikcubiste, avec des pochettes de disques de Lou Reed, The Cure ou Queen. Réduites à des carrés de six couleurs seulement, elles se voient d’une certaine manière “appauvries”, d’où le terme choisi de low fidelity, faisant allusion à la high fidelity des 33 tours, platines ou haut-parleurs d’hier. Pour réaliser ses panneaux, Invader a déjà utilisé plusieurs dizaines de milliers de cubes. Pour les premières œuvres, il faisait le tour des brocantes. Quand sa démarche s’est systématisée, il est passé aux magasins de jouets, puis aux grossistes. Aujourd’hui, s’il prend toujours du plaisir à faire tourner les faces de ses cubes, il a plusieurs assistants qui s’en chargent pour lui.

UN LIEU CHOISI

Il peut être étonnant de voir un artiste de rue intégrer un musée. Comme si sa production était double : les mosaïques pour les murs des villes et les panneaux rubickcubistes pour les musées et galeries. Mais la réalité est moins tranchée, puisqu’il lui arrive de coller des cubes directement sur l’espace public… et de réaliser des oeuvres en carreaux de céramique pour une exposition. En outre, le MIMA est un musée un peu particulier. Non seulement il est dédié à l’art actuel, et en particulier aux arts urbains, mais il se situe à Molenbeek, le long du canal. Un environnement bien différent du Mont des Arts, par exemple, et qui a fait sa renommée mondiale pour des raisons fort éloignées de l’art contemporain. Il est d’ailleurs significatif de noter que le MIMA a ouvert ses portes en 2016, un mois à peine après les attentats de Bruxelles. 

Pour l’artiste, y exposer est aussi une autre manière de se rapprocher du public, et en particulier d’un public qui ne fréquente guère les institutions culturelles. Installé dans une ancienne brasserie, le musée se donne pour projet, depuis les origines, d’exposer la jeune génération qui transgresse les genres artistiques et vise un public nouveau, familier des smartphones et des milliers d’images digitales quotidiennes.

Il est vrai qu’il s’agit d’un art contemporain facilement accessible. Même un enfant comprend vite le principe de ces images. Et pas besoin de longues théories esthétiques pour décrire l’univers pixellisé et sa référence au monde actuel. Il n’en reste pas moins que les œuvres invitent le spectateur à aller plus loin et à s’interroger sur le rôle de figures iconiques comme des footballeurs ou des chanteurs, mais aussi sur la place des images aujourd’hui par rapport à d’autres formes de langage. Enfin, comment ne pas s’interroger, après la visite, sur la notion même d’art… Une expo susceptible donc de retenir l’intérêt des amateurs d’art actuel comme d’un public familial. 

José GÉRARD

Invader Rubikcubist, MIMA, quai du Hainaut 41, 1080 Molenbeek. Jusqu’au 08/01/2023. Me-ve 10-18h / Sa-di 11-17h  www.mimamuseum.eu  

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