L’essentiel, entre silence et ciel
L’essentiel, entre silence et ciel
Wild Women, un film de Cécile Mavet, offre au spectateur un moment de reconnexion avec la nature et la spiritualité. Une occasion de plonger en son for intérieur.
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Il est heureux que le film de Cécile Mavet, Wild Women, sorte en DVD. Cela permettra à chacun, seul chez soi, en famille ou en communauté, de revivre l’expérience spirituelle que favorise sa vision. Rien de tel pour s’extraire du brouhaha du monde, de la confusion intérieure, que cette heure et demie de silence habité, que ce moment de méditation, de retraite et de retrait, pour retourner en soi, en son creux intime.
« Si tu ne vas pas dans les bois, jamais rien ne t’arrivera. Si tu ne vas pas dans les bois, jamais ta vie ne commencera. » C’est sur cette comptine chuchotée que s’ouvre le film, comme une promesse, une invitation. Cécile Mavet, cinéaste habitée par un feu intérieur, une quête spirituelle, se lance en effet dans une aventure hors du commun : vivre six mois, de décembre à mai, dans un ermitage situé près de Chimay, tenu par les petites sœurs du désert. Cette expérience spirituelle, qu’elle veut saisir en images, comme un défi, elle la croise avec des extraits de rencontres qu’elle a filmées avec cinq femmes.
PORTRAITS INTIMES
Sœur élie Emmanuel, tout d’abord, qui a rejoint la Fraternité Notre-Dame du désert et qui accueille Cécile pour sa retraite. Elle met à la disposition des pèlerins qui le souhaitent des ermitages pour y vivre une expérience de silence et de solitude, dans la forêt de la Fagne. Nathalie Delay ensuite, artiste peintre française, maman et femme pleinement engagée dans le monde, transmet depuis dix ans un enseignement nourri par son expérience personnelle, sa découverte du yoga et de la tradition tantrique du Cachemire.
Toujours en France, la réalisatrice a rencontré Annick de Souzenelle, psychothérapeute, d’abord catholique, qui se convertit à la religion orthodoxe et étudie la théologie. Elle invite chacune et chacun à renouer avec un travail intérieur et spirituel. En Turquie, elle suit Hayat Nur Artiran, une guide spirituelle qui enseigne la voie mevlevi. C’est une voie soufie, connue du grand public par ses derviches tourneurs, qui ne sépare pas le monde extérieur du travail intérieur personnel. Enfin, Sefa Gold est une New-Yorkaise qui fait partie de l’Alliance pour le renouveau juif. Tout en étant ancrée dans la tradition hébraïque, elle s’est aussi formée aux voies bouddhistes, chrétiennes, islamiques et amérindiennes pour jeter des passerelles entre les différentes traditions.
ENTENDRE LE SILENCE
Ces femmes sauvages, ce sont des femmes libres, des femmes proches de la nature et de leur nature, comme ces sorcières auxquelles l’Église imposait autrefois l’épreuve du feu pour les purifier. Cécile en fait partie désormais, au terme de ces six mois de purification par le silence. Sa peur de cinéaste était qu’il ne se passe rien au cours de cette retraite, en tout cas rien de tangible, de filmable, de montrable. Et pourtant, elle réussit ce défi.
Pour Nathalie Delay, Dieu, le principe unificateur, n’est pas abstrait, on peut le vivre dans chaque fibre de son être. De même, la caméra de Cécile Mavet met le spectateur au contact physique du papier sur lequel elle écrit, lui fait palper l’œuf ou le fruit coupé, toucher l’insecte ou la fleur dans une façon très sensuelle de s’approcher des choses. Et puis, elle fait entendre le silence. Il faut une bande-son particulièrement soignée pour que soit audible le murmure du vent, le cliquetis de la pluie, le sifflement des oiseaux, tous ces bruits qu’on n’entend qu’au cœur du silence.
En écho à ce qu’elle vit durant cette retraite, elle dissémine des extraits d’interviews avec ces cinq femmes, quelques instants, denses le plus souvent, et qui appellent le silence pour essaimer dans l’existence de chaque spectateur. Ce silence, qui fait peur à tant de gens, permet de se sentir exister, de s’émerveiller de la vie qui vibre autour de soi et en soi, d’être présent à soi-même et à l’instant.
Ces moments de contemplation sont également une épreuve qui renvoie Cécile à ses démons intérieurs, à ses blessures qui la rendent vulnérable. Lorsqu’elle se confie à sœur élie Emmanuel, elle ne se filme pas elle, elle filme celle qui écoute. « Ces blessures, lui dit la petite sœur, il faut les regarder, les apprivoiser, et enfin les traverser. Mais elles continueront à faire partie de nous. »
Parfois aussi, il lui arrive de douter, d’être prise d’une envie folle d’être grisée à nouveau par le monde. Son passé la rattrape, comme cette opération esthétique du nez qu’elle accepte à 13 ans, à la suggestion de son oncle. À son entrée dans l’adolescence, elle a enterré la petite fille qu’elle était et s’est construite sur ce nouveau visage qui n’est pas le sien. C’est peut-être de là, pense-t-elle, que lui vient cette envie de soulever le voile des apparences, de rechercher le vrai derrière chaque visage. Et comme en écho à ce visage défiguré, survient une tempête qui balafre la forêt de la Fagne, en cet hiver 2019-2020.
PERDRE POUR GAGNER
Heureusement, tout passe et la vie continue. L’enseignement qu’elle reçoit des femmes sauvages l’invite à « faire confiance dans le principe vivant qui nous dépasse tous ». Au matin de Pâques, elle espère que son cœur sera, lui aussi, remis à neuf. Elle qui vit au sein de la nature, dans une intense proximité, elle découvre que le cœur s’ouvre au contact de la beauté.
« On a une connaissance profonde de ce qu’on a éprouvé dans sa chair. » Durant ces six mois vécus dans la forêt, secouée par les éléments et baignée par la lune, la jeune femme est particulièrement attentive à ce qui se passe dans son corps et en particulier au moment des menstrues. Ce sang, qu’elle offrira à la nature dans un geste d’offrande, devient le symbole qu’en perdant quelque chose, on gagne en même temps. Ce sang, qui la fait vivre de l’intérieur, est une expérience spirituelle de la perte qui amène le gain. Il s’agit donc d’accepter le flux de la vie, de la mort et du regain de vie qui s’ensuit, comme dans le cycle des saisons qu’elle observe en cette fin d’hiver. Reste à faire de ce regain de vie, un surcroît de vie, comme une résurrection.
Avoir ce film chez soi, dans sa vidéothèque, c’est l’assurance de pouvoir s’offrir, quand on en ressent le besoin, un moment contemplatif où l’on peut s’approcher du cœur de son cœur.
Jean BAUWIN
Wild Women, un film de Cécile Mavet, disponible en DVD avec un court métrage et un livret de 20 pages en bonus.