Parcours ailé dans un monde des symbôles

Parcours ailé dans un monde des symbôles

Que signifie « Psychopompe », le titre du nouveau roman d’Amélie Nothomb ? En quoi éclaire-t-il la vie de son autrice et, pour qui veut et voit, une part de celle de chacun ?

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Publié le

1 novembre 2023

· Mis à jour le

6 mars 2025
Photographie portrait d'Amélie Nothomb cachant son épaule avec un gros chapeau de paille noir

Avec ce livre au titre énigmatique qui ressemble à une insulte du Capitaine Haddock, Amélie Nothomb ouvre la cage aux oiseaux de son existence. Elle quitte ici le genre romanesque auquel elle a habitué ses lecteurs, des livres à travers lesquels elle a cependant souvent confié ses interrogations personnelles. C’est avec un récit proche du mythe qu’elle livre une clé de compréhension de sa vie singulière. Elle relit celle-ci sous l’angle des oiseaux pour lesquels elle éprouve une passion depuis l’enfance, sans avoir pu mettre des mots sur cette attirance. Elle s’est à ce point identifiée à eux que leur mode de vie a éclairé des pans entiers de sa propre existence. « Jusqu’alors, écrit-elle, je m’étais passionnée pour l’espèce aviaire. Désormais, c’était au-delà : l’oiseau serait mon mystère. »

LES MAINS DE LA MER

Amélie Nothomb a connu de grandes épreuves existentielles au cours de son enfance et de son adolescence, des moments douloureux qui se sont cristallisés autour d’un événement qu’elle raconte au milieu du livre, comme pour en signifier l’importance centrale : il y aura un avant et un après l’épisode des « mains de la mer ». Elle a douze ans. La famille séjourne au Bangladesh où le père est ambassadeur. Pendant les vacances, elle rejoint souvent une plage du golfe du Bengale, avec ses vagues plus hautes qu’un homme. Ce jour-là, elle s’écarte de plus en plus loin du rivage. Puis soudain, « les mains de la mer » s’emparent d’elle. Des mains qui l’attrapent, la dévêtissent et la possèdent. Quelques mots qui décrivent, sans jamais le nommer, le saccage d’une vie : un viol collectif. Alertée par les cris de sa fille, sa mère la ramène à la plage et lui dit : « Pauvre petite. » Deux seuls mots. C’était peu. Mais les habitudes au silence dans la famille ne permettaient sans doute pas plus. 

L’adolescente cesse alors de s’alimenter. Et ce sera l’allégorie des oiseaux qu’elle observe qui l’aidera à ne pas sombrer et qui lui montrera le chemin psychique vers la guérison. Un processus terriblement lent qui passera aussi par l’écriture et la littérature. Elle est allée jusqu’aux enfers et en est revenue. Dans sa propre histoire, faite de plongées dans les abîmes et de remontées victorieuses, elle reconnaît quelque chose de l’esprit de l’oiseau, une figure qui lui a permis de traverser les épreuves.

PROTÉGER ET ACCOMPAGNER

Psychopompe, ce mot à consonance étrange, elle le découvre au cours de ses études de la langue grecque classique, comme épithète du dieu Hermès. Dans un premier temps, à l’instar sans doute d’une majorité de gens, elle associe le terme bizarre au mécanisme et à la fonction d’une pompe. Comme celle du cœur, par exemple. Le dieu grec en question, pense-t-elle, est le pompier de l’âme ! Or, ainsi que le renseigne le dictionnaire, le sens est ailleurs, dans la sphère de l’accompagnement. Le psychopompe était celui qui accompagnait les âmes des morts dans leur voyage. 

Elle découvre d’autres personnages aux mêmes caractéristiques, tel Orphée, le plus célèbre des accompagnateurs de la mort. L’image apparaît également dans l’iconographie chrétienne sous les traits d’une colombe qui permet d’illustrer le Saint-Esprit. N’est-il pas celui qui protège et accompagne ? « Et si c’était moi ? », s’interroge-t-elle… Sous-entendu : et si, moi aussi, j’avais cette mission d’accompagner les morts ? 

Au décès de son père, Patrick Nothomb, la romancière ressent quelque chose d’« infiniment plus profond qu’une relation ». Comme « un échange que chaque enfant rêve d’avoir avec son père, et réciproquement : un amour sans rapport de force, un dévouement sans sacrifice ». Avec ce père autrefois distant, elle s’est sentie en proximité absolue. Sans se complaire dans le morbide ni chercher à le retenir dans un amour qui l’empêcherait de s’envoler au-delà de la vie terrestre. Une expérience qu’il ne faut pas provoquer, qui s’offre comme un cadeau sacré, qu’elle vit dans une gratitude apaisante. Et qu’elle sublime par l’art d’écrire.

Chantal BERHIN

Amélie NOTHOMB, Psychopompe, Paris, Albin Michel, 2023. Prix : 19 €. Via L’appel – 5% = 18,05€.

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