Regarder les SDF en face
Regarder les SDF en face
Les engagements volontaires de Dominique Servais, photographe à ses heures, ont un jour croisé l’ASBL Benoît et Michel fondée par deux anciens de la rue voulant à leur tour rendre leur dignité aux “sans chez soi”, comme ils les nomment. Depuis 2018, l’association distribue des invendus aux sans-abri du côté de la gare des Guillemins, à Liège, les aide à survivre et tente de trouver avec eux des solutions pérennes… Surtout, elle va inlassablement à la rencontre de ces exclus, vus trop souvent comme “nuisibles”. Avec elle, Dominique souhaite permettre de les regarder… dans les yeux.
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SOUFFRANCES ÉNORMES
Derrière les sourires esquissés par certains sur les portraits, les souffrances sont énormes. Il n’y a pas de gens heureux à la rue, assure le photographe. Et personne ne vit par choix à la rue ou dans un réduit servant de pseudo-chez-soi. L’air bonhomme de Pino masque à peine la rudesse de son quotidien ; l’humour de Murphy qui se trouve des airs d’Abraham Lincoln renferme malaisément une jeune vie de galère, à couvert dans un 18m² partagé avec d’autres compagnons. Plus confortable que dormir dehors ou dans un dortoir à la faveur d’une place quémandée chaque jour dans des centres saturés ? Pas vraiment. D’autant que dénoncer des conditions d’hébergement précaires est délicat et risque d’entraîner la perte de ce maigre refuge.


REDONNER SA PLACE À L’HUMAIN
Les impossibilités de se loger dignement se multiplient et touchent une série de personnes aux parcours variés. Le dénombrement des “sans chez soi” organisé récemment par 98 villes belges, sous le pilotage de la Fondation Roi Baudouin, bat en brèche le stéréotype du sans-abri, un homme isolé avec des problèmes d’assuétudes. Sont concernés des hommes et des femmes, des jeunes adultes, des plus âgés et indirectement des enfants. Pourtant, l’image que les personnes de la rue ont d’elles-mêmes, celle que nous leur renvoyons, est désastreuse et dévastatrice. « Après chaque séance de photos, je fais imprimer leurs visages et leur apporte les tirages le lendemain, raconte Dominique. Je leur explique le sens de ma démarche : chaque personne est respectable, porte en elle quelque chose de plus grand qu’elle, est belle. Même cassée ! »


PASSER INAPERÇU ET FAIRE LA MANCHE
Jean passe la majeure partie de la journée au premier étage de la gare des Guillemins. « Il lit et essaye de passer inaperçu afin de pouvoir rester au calme. » Quant à Dominique, la plupart des passants d’une des rues commerçantes de Liège ne le voit sans doute même pas ou préfère l’oublier. Assis à même le trottoir, il fait la manche. Pour le cliché, il n’arrivera pas à relever la tête, explique son homonyme photographe. Les portraits ne seront diffusés qu’avec l’accord des premiers concernés. Moyennant parfois un petit stratagème, comme pour Jean-René (page 15), camouflé derrière bonnet et écharpes.

À L’ABRI DU MONDE
Debout, Thierry prend la pause à l’entrée de son chez lui temporaire. Il s’est réfugié avec d’autres sur un terrain vague à côté de Belle-Île, une énorme galerie commerciale couverte à Angleur. Entre l’autoroute et le Ravel, ils vivent à l’abri des regards, sous menace d’expulsion. Dans ces espaces visibles ou invisibles, ces humains se font tout petits et tentent de survivre sous nos yeux démunis, effrayés ou indifférents. Ils se montrent ici en photos exaltant l’humanité de chaque personne, même très abîmée par la vie.
Photos : Dominique SERVAIS
Texte : Catherine DALOZE