Retour sur la visite du pape et sur ses suites
Retour sur la visite du pape et sur ses suites
Les interventions du pape François lors de son séjour en Belgique en septembre dernier ont assurément laissé des traces.
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La visite faite cette année en Belgique par le pape François a eu lieu à l’occasion du 600e anniversaire légèrement avancé de l’Alma Mater catholique désormais composée de la KULeuven et de l’UCLouvain. Mais elle était aussi liée aux drames des abus sexuels commis dans l’Église catholique. Dès la réception au palais de Laeken, ces abus et les adoptions forcées pratiquées le siècle passé avec la contribution d’institutions religieuses ont été relevés par le roi Philippe et par le Premier ministre sortant Alexander De Croo. Les paroles claires et fortes que le pape François a prononcées à ce sujet ont donc été appréciées, d’autant plus qu’elles seront répétées durant la célébration au stade roi Baudouin devant quarante mille personnes et bien plus de téléspectateurs et auditeurs. Ces propos étaient aussi liés à la rencontre marquante avec quinze victimes de ces abus. Le rassemblement avec les cadres de l’Église de Belgique et les visites à la Maison des Petites Sœurs des Pauvres et à des sans-logis ont également été salués.
« TUEURS À GAGES »
Il en a été tout autrement à propos de la visite du souverain pontife sur la tombe du roi Baudouin. Non inscrite au programme officiel et à caractère privé, celle-ci a cependant fait l’objet d’une communication du Vatican indiquant l’admiration du pape pour le courage dont a témoigné le monarque en refusant de signer, en 1990, la première loi sur l’avortement, qualifiée de « meurtrière ». D’où l’embarras de la famille royale présente à la visite par courtoisie, et du côté des évêques, qui a été révélé par Cathobel, l’agence de presse de l’Église de Belgique ayant aussi répercuté à ce sujet une assez rare mise au point du Palais royal. À cela, est venu s’ajouter, d’une part, le souhait du pape de béatifier Baudouin 1er, qu’il répétera dans le stade, et, d’autre part, le fait de désigner comme « tueurs à gages » les médecins pratiquant l’IVG. Ces prises de position ont suscité de très vives réactions, car une majorité de la société belge comprenant des catholiques est en faveur de ce droit, même si certaines de ses modalités sont encore en discussion.
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Pour ce qui concerne les rencontres dans les deux universités jubilaires, les médias et de nombreux intervenants ont parlé de rendez-vous manqués. À l’UCLouvain, récemment dotée d’une nouvelle rectrice, Françoise Smets, l’accueil du pape François a été plus chaleureux que celui réservé à Jean-Paul II en 1985. La lecture par la comédienne et autrice Geneviève Damas de la lettre collective, qui lui avait été envoyée au préalable comme c’est toujours le cas lors de chaque visite pontificale, a été appréciée par l’attentif visiteur, mais visiblement pas par son entourage romain. Car si elle se référait à l’encyclique Laudato Si !, elle comprenait tout un questionnement sur la crise climatique ainsi que sur de nombreux autres sujets : les inégalités, la place de la femme, la sobriété et la solidarité, etc.
LA PLACE DE LA FEMME
En réponse, François a longuement développé la question de la place de la femme dans la société et dans l’Église, déclarant que « la femme est accueil fécond, soin et dévouement », et en mettant sur un pied d’égalité machisme et féminisme. D’où la déception marquée sur les visages des jeunes femmes qui l’entouraient et la diffusion, le jour même, d’un communiqué de l’université relevant des convergences en rapport avec les inégalités environnementales et sociales, mais une divergence majeure à propos de la vision de la femme. Ce communiqué a été qualifié d’« amoral » par le pape, tandis qu’aux micros de RTL et de la RTBF, Gabriel Ringlet a eu des paroles aussi claires que celles de l’UCLouvain, dont il est un ancien vice-recteur.
Vingt membres de la Faculté de théologie et d’études des religions de cette université, dont son doyen, ont publié leur réponse à la lettre collective. S’appuyant sur une autre citation de François, ils et elles y avancent que « la théologie chrétienne ne peut que participer à un dialogue et sans apporter de réponses définitives ». Et de prôner un ajustement « même et surtout sur des sujets polémiques, comme l’avortement, l’homosexualité et l’euthanasie », tout en indiquant que la théologie chrétienne doit inviter les chrétiens et les chrétiennes à relire la Bible de manière plus inclusive, notamment à propos des femmes. Car, on y trouve, à côté de Marie, plus de cent cinquante figures féminines courageuses et anticonformistes. D’où encore la référence à une théologie contextuelle, y compris féministe, qui « relit la tradition chrétienne à la lumière dont la foi est vécue dans une situation particulière ».
ENTRE JOIE ET INCOMPRÉHENSION
Réunis le 19 octobre, les membres du Conseil interdiocésain des laïcs de Wallonie et Bruxelles ont, à propos du séjour pontifical, exprimé des sentiments mitigés, entre joie et incompréhension. Avec parfois, aussi, de la tristesse ou de la colère face aux déclarations papales sur l’avortement, qui n’ont pas le statut des documents pontificaux. Par lettre, les évêques de Belgique ont remercié François d’être venu en pèlerin d’espérance rencontrer et écouter tant d’institutions et personnes – y compris leurs « reproches ». Ils se disent « invités à poursuivre les débats de société, sans perdre de vue tous les enjeux éthiques qu’ils comportent. Nous n’oublierons pas les trois maîtres-mots que vous avez laissés aux acteurs de l’Église en Belgique : évangélisation, joie et miséricorde ».
Dans sa réponse, le pape les a encouragés à rester unis et à continuer à accompagner les victimes des abus sexuels, au moment où des conseils sont donnés à ce sujet à l’Église de Belgique dans le premier rapport de la Commission pontificale pour la protection des mineurs paru fin octobre. Reste à voir quelles seront les répercussions à plus ou moins long terme de cette visite papale dans la société et l’Église catholique de Belgique. On constate actuellement une forte augmentation de demandes de débaptisation et l’attente de nominations d’évêques déjà longue au moment où ces lignes étaient écrites.
DANS UNE ÉGLISE DIVERSE
Alors que le nombre de fidèles progresse dans l’hémisphère Sud, l’Église catholique est touchée par la “désoccidentalisation” du monde, y compris en Belgique à travers la composition du clergé. Il est à noter aussi la liberté laissée aux épiscopats d’Afrique pour la bénédiction des couples homosexuels par rapport aux lois répressives en vigueur dans de plus en plus de pays du continent noir. Quant à l’Église catholique d’Amérique latine, elle change et devient bien différente de celle que souhaitait le père Gustavo Gutierrez, promoteur majeur de la théologie de la libération décédé en octobre dernier.
C’est dans ce contexte qu’il faut situer la sortie il y a deux mois de l’encyclique Delexit nos sur l’amour humain et divin du cœur de Jésus et la clôture du Synode des évêques. Le pape François a aussi annoncé que le document final de celui-ci permet – comme l’ont pensé d’autres participantes et participants, notamment belges, aux récents travaux vécus à Rome – de cheminer ensemble dans la diversité, sans exhortation apostolique de sa part. C’est une première depuis Paul VI et peut-être le signe d’un tournant. Tandis que cet étonnant pape a demandé pour juin un rapport concernant l’accès des femmes au diaconat.
Jacques BRIARD