Un souper avec les “sans chez soi”

Un souper avec les “sans chez soi”

Depuis 1986, l’association Opération Thermos organise la distribution de repas chauds chaque soir de la saison hivernale près de là où vivent les plus précaires. Ce soir-là, à la station de métro Botanique, à Bruxelles.

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Publié le

31 janvier 2024

· Mis à jour le

4 février 2025
Bénévoles portant un gilet jaune fluo distribuant des sacs blancs de repas. Une personne vient en chercher un

La journée a été maussade et le soir tombe vite en cette période la plus sombre de l’année. Il fait déjà nuit profonde vers 19h. Un crachin rend glissant les trottoirs du boulevard de la Petite Ceinture à Bruxelles. Les derniers navetteurs s’engouffrent rapidement dans l’entrée principale de la station de métro Botanique où les voyageurs se font plus rares. Quelques sans-abri sont assis. Ils ont l’air d’attendre quelque chose. Certains, plus enhardis ou plus habitués, s’approchent du couloir qui mène à l’autre entrée de la station, côté Tour des Finances, au-delà du boulevard. Là, des hommes et femmes vêtus du gilet vert fluo Opération Thermos s’affairent, dressent des tables, établissent des lignes d’attente. Un panneau prévient : « Cet accès est fermé tous les jours de 19h30 à 22h du 01/11 au 30/04 pour permettre la distribution de repas à emporter aux plus démunis. » C’est le signal. En quelques instants, des dizaines de personnes s’installent dans la file. Tout est calme et bien organisé. Il y a des retrouvailles entre les bénévoles de l’association et certains bénéficiaires des repas qu’ils vont distribuer. Des sourires s’échangent. 

UNE CERTAINE EXPERTISE

« C’est vrai qu’on a une certaine expertise en la matière, ce qui permet d’ailleurs d’accueillir au mieux les personnes à qui nous nous adressons », reconnaît l’une des responsables, Céline Vivier. Tout en parlant, elle salue l’un ou l’autre au passage, est interrompue par une demande particulière, attentive au moindre besoin, à l’instar de tous les bénévoles présents ce soir-là. « À l’origine, poursuit-elle, c’est une troupe scoute qui a mis sur pied ce genre d’opérations. Dans le cadre d’une de leurs activités, un soir, en passant par la Gare Centrale, les scouts ont aperçu de nombreux sans-abri qui avaient froid et avaient l’air de ne pas être bien. Ils ont alors eu l’idée de leur apporter du café dans des thermos, d’où le nom de l’association. Ils leur ont aussi fourni des sandwichs. Constatant le bien-fondé de leur démarche et le bon accueil reçu de la part d’un nombre important de personnes concernées, ils sont revenus à plusieurs reprises. Il faut rappeler que c’était l’époque où les Restos du cœur se créaient un peu partout, faisant prendre conscience de la grande précarité des gens de la rue. »

Pour pouvoir tenir sur la longueur – la saison hivernale s’étale sur plusieurs mois et ce n’est pas rien d’offrir deux cents repas chauds par soir -, l’association a dû s’organiser. D’autant plus, qu’outre à peine l’équivalent d’un temps plein et demi, elle n’est composée que de quelques bénévoles enthousiastes. Penser à évoluer a donc été vite indispensable. « On a alors demandé à des équipes différentes de prendre en charge toute la soirée, en pratique et financièrement. À elles de décider du menu qui doit consister en un plat chaud, de la soupe, un dessert, une bouteille d’eau et, au choix, café ou chocolat chaud. Elles font les courses pour le menu arrêté, qu’elles préparent ensuite. Il leur est demandé d’arriver ici à 20h avec le nombre de repas prévus. Nous leur fournissons les jetables puisque, depuis l’épidémie de covid, il a fallu prendre des dispositions d’emballages et de présentation. On est resté dans cette formule-là, plus rapide et plus pratique. D’autant plus que de nombreux bénéficiaires préfèrent retrouver au plus vite leur lieu de vie pour davantage de sécurité. »

DES PATES PARMIGIANA

Brouhaha dans l’escalier. Il est 20h. Les repas arrivent dans de grandes boîtes qui les maintiennent au chaud. Ils ont été préparés dans la cuisine de l’association à Molenbeek. L’équipe du jour est celle de la Fondation d’une importante agence de paris sportifs. Ils sont une douzaine à s’activer pour sortir et ranger les sacs en papier qui contiennent la nourriture. Au menu ce soir : pâtes parmigiana. Il faut aussi remplir les bols de soupe – carotte, coco, curry et coriandre – et servir les cafés. Tout est prêt en un tour de main. Les premiers bénéficiaires peuvent s’avancer. C’est un couple avec un enfant dans une poussette. On voit également beaucoup d’hommes aux âges incertains. Les femmes sont moins visibles.

« Le public est assez large et varié, constate Céline Vivier. Notre principe est de dire que, si quelqu’un se met dans une file de plus de cent personnes pour demander à manger gratuitement, c’est qu’il éprouve des soucis pour se nourrir correctement. La raison ? On ne la demande pas. On s’adresse à des gens très fragilisés et, ici, il ne faut pas donner un nom ni se soumettre à l’une ou l’autre condition. Chacun est libre de parler ou pas. Même si chaque membre de notre association porte un gilet qui le distingue et est ouvert à toutes questions, à tout partage, à des demandes souvent très basiques et tout à fait essentielles. Certaines personnes ont un travail, mais n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Et elles sont en augmentation. »

FAIRE ŒUVRE UTILE

Elle est interrompue par un homme, tête nue, cheveux en broussailles, qui lui demande si elle n’a pas un bonnet pour lui. Un bénévole part voir s’il n’en déniche pas un dans la réserve. Il revient avec le précieux vêtement qu’il échange contre un large sourire. Un autre sollicitera une couverture et un supplément de café dans un thermos. Un troisième, une adresse où trouver de l’aide. Un vigile de la STIB, bon enfant, passe. En le saluant, la responsable de Thermos ne tarit pas d’éloges sur l’accueil de cette société de transports bruxellois, sur son soutien et son aide. « En plus de nous accueillir, des membres de leur personnel organisent plus de quarante soirées-repas par an. Sans compter toutes les aides de transports quand c’est nécessaire. C’est vraiment une chance pour nous de les avoir. »

Au bout d’une heure, les deux cents repas sont servis. Il reste encore l’un ou l’autre “convive” savourant le sien dans un coin de la station. Les tables sont repliées, tout est rangé et entreposé, en attendant demain. Les bénévoles du jour sont ravis et conscients d’avoir fait œuvre utile. Le regard perdu sur le couloir vide, Céline Vivier soupire : « Notre rêve, bien sûr, ce serait de ne plus devoir venir ici. De devenir inutile. Cela voudrait dire que les choses ont changé positivement pour ceux et celles que nous préférons appeler les “sans chez soi”, ces SDF, précarisés et laissés-pour-compte que sont des sortants de prison, des réfugiés et toutes sortes de gens brisés par la vie. Malgré tout, le phénomène s’amplifie, on constate une augmentation de la précarité. C’est pour ça qu’on reviendra demain et qu’on sera là les autres jours. » Et les cuistots du soir, au travail depuis 14h, de repartir fatigués et heureux de la tâche accomplie et comblés des sourires reçus. « On y va, il y a encore la vaisselle à terminer ! »

Christian MERVEILLE

operationthermos.be

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