Une Ardennaise dans la révolution française
Une Ardennaise dans la révolution française
Dans son impressionnant ouvrage intitulé « Citoyenne Anne-Josèphe Théroigne », Paul Delforge suit le parcours de cette jeune wallonne trop peu connue qui a tenté d’insuffler une dimension féministe dans une révolution dont ce n’était pas le souci premier.
Publié le
· Mis à jour le

Théroigne de Méricourt, dite “la Belle Liégeoise”. Elle s’appelle en réalité Anne-Josèphe Terwagne et est née en 1762 à Marcourt, en Ardenne, alors terre des Habsbourg d’Autriche. L’ajout “de Méricourt”, déformation du nom de ce village, lui sera accolé par moquerie et dérision, elle-même se nommant « Mlle Théroigne ». C’est à cette « pionnière du féminisme », l’une des rares femmes de la Révolution française avec Olympe de Gouge, que Paul Delforge consacre un livre fouillé qui couvre les années 1789-1794.
UNE FIGURE POPULAIRE
Fille de fermiers, Anne-Josèphe prend très tôt son envol. Après un séjour à Londres, elle arrive à Paris en mai 1789, à 27 ans. Jusqu’alors dépourvue de toute conscience politique, elle va pourtant se jeter avec enthousiasme dans le bain révolutionnaire. Elle assiste assidument aux débats de l’assemblée constituante depuis les tribunes réservées au public. Parfois vêtue en amazone (elle sera surnommée “l’amazone de la liberté”), elle devient « une sorte de meneuse », jouant avec fougue et conviction le rôle “d’agens d’insurrection”. En d’autres mots, de connivence avec certains députés, elle fait la “claque”, tantôt huant, tantôt approuvant bruyamment. Elle est désormais « une figure populaire qui attire l’attention », note Paul Delforge.
Pourtant, ce rôle d’agitatrice en faveur du Tiers État (personnes n’appartenant ni à la noblesse ni au clergé) semble bientôt insuffisant aux yeux de celle qui n’hésite jamais à prendre la parole dans différents cercles politiques. Elle crée d’abord Les Amis de la Loi, une société populaire mixte où sont débattus des sujets comme le droit de vote ou la liberté de la presse, et où elle avance notamment l’idée d’un contrôle des représentants publics par des citoyens. Devenue la cible des journaux royalistes, elle fonde ensuite, avec quelques “patriotes” (dont Danton), le Club des Droits de l’Homme chargé de veiller au respect de la loi. Mais, de la question du droit des femmes, dans ces assemblées quasi exclusivement masculines, il n’est guère question. Comme le relève son biographe, « les initiatives pionnières de Théroigne sont trop en avance sur leur temps pour être acceptées, même par ceux qui rêvent de changer le monde ».
RETOUR AU PAYS
Faisant l’objet d’une procédure d’enquête du tribunal du Châtelet pour sa présence présumée aux journées d’octobre 1789, durant lesquelles des milliers de femmes contraignent la famille royale à quitter Versailles pour s’installer à Paris, elle délaisse la capitale française en mai 1790. Pour justifier ce départ, elle avance aussi des difficultés financières et des « déceptions politiques ». Après un bref arrêt à Marcourt, elle se rend à Liège où, le 16 février 1791, considérée comme une espionne, elle est enlevée par deux aristocrates français à la solde des Habsbourg. Enfermée dans la forteresse de Kufstein, dans le Tyrol, elle subit un procès politique à huis clos, avant d’être libérée… et reçue en audience privée par l’empereur Léopold II en personne.
« Françaises ! Je vous le répète, élevons-nous à la hauteur de nos destinées : brisons nos fers ! Il est temps que les femmes sortent de leur honteuse nullité où l’ignorance, l’orgueil et l’injustice des hommes les tiennent asservies depuis si longtemps. » Cette harangue, prononcée le 25 mars 1792 devant la Société fraternelle des Minimes, témoigne du combat féministe de Théroigne qui ambitionne de former un bataillon de femmes. Mais, désavouée et ridiculisée par Robespierre, elle va progressivement disparaître de l’avant-scène politique. On ne sait rien, par exemple, de sa position concernant le procès puis l’exécution de Louis XVI le 21 janvier 1793. Ni de son regard sur la Terreur, même si elle semble être une ardente républicaine. Une des rares traces écrites que l’on trouve d’elle à cette époque est l’affiche appelant à la réconciliation des patriotes placardée en mai 1793. En ce même mois, elle est violemment agressée à la porte de la Convention par des femmes en colère. Jugée « folle », elle sera arrêtée plusieurs fois et restera enfermée pendant vingt-trois ans, jusqu’à sa mort en 1817.
Cette passionnante biographie est accompagnée de nombreuses et précieuses annexes qui permettent de mieux découvrir qui était la « citoyenne Théroigne », tels onze textes politiques et vingt-et-un portraits commentés d’elle. Une bien belle façon de sortir de l’oubli une femme courageuse et d’avant-garde dont les combats, sous bien des aspects, sont toujours d’actualité aujourd’hui.
Michel PAQUOT

Paul Delforge, « Citoyenne Anne-Josèphe Théroigne », Namur, Institut Destrée, 2023. Prix : 30€. Pas de remise.