Muriel Hanot : « Les journalistes ont une responsabilité sociale »

Muriel Hanot : « Les journalistes ont une responsabilité sociale »

Respect de la vérité et des droits des personnes, loyauté et indépendance font partie des devoirs des journalistes. Qui ont aussi des droits, comme la liberté rédactionnelle, rappelle Muriel Hanot, Secrétaire générale du Conseil de Déontologie journalistique.

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Publié le

1 septembre 2023

· Mis à jour le

25 février 2025
Muriel Hanot parle devant un micro de la déontologie journalistique

Plusieurs manquements ont été constatés lors de la gestion d’un débat sur LN24 où un médecin opposé aux vaccins anti-covid a été nommément mis en cause sans pouvoir répliquer. Deux post Instagram ont dérogé au Code de déontologie en modifiant des propos d’une sexologue. Sudinfo a pu rendre reconnaissable, dans une vidéo amateur, l’enseignant qui a eu une altercation avec un élève, sans lui demander sa version des faits, notamment à propos d’une accusation « susceptible de porter gravement atteinte à son honneur et à sa réputation ». Voici quelques décisions prises ces derniers mois par le Conseil de Déontologie journalistique (CDJ). Elles font suite à des plaintes très variées déposées par un téléspectateur “lambda” ou par des personnes directement concernées. « Une des particularités du CDJ est de permettre à tout citoyen, association, entreprise ou parti politique de déposer plainte s’il juge une chose non conforme à la déontologie journalistique, même s’il n’est pas nommément cité ou mis en cause. Et le CDJ, lui-même, peut se saisir d’un dossier s’il s’agit d’un fait qui pourrait ternir l’image du journalisme ou porter atteinte à la pratique journalistique », explique sa Secrétaire générale depuis 2016, Muriel Hanot.

BYE BYE BELGIUM

Fondé en 2009, le CDJ a des racines bien plus anciennes. Dans les années 1980-90, l’AGJPB (Association générale des journalistes professionnels de Belgique) tente de mettre sur pied un Conseil de la Presse uniquement composé de journalistes et sans financement spécifique. L’AJP (Association des Journalistes professionnels), née de sa scission en 1998 en deux ailes francophone et flamande, reprend le dossier. Mais les discussions trainent. Si la volonté existe, il manque un incitant. C’est l’émission Bye Bye Belgium, faux documentaire diffusé à la RTBF le 13 décembre 2006 annonçant que la Flandre avait unilatéralement décrété son indépendance, qui va servir d’accélérateur. 

« La déontologie journalistique repose sur un contrat élémentaire de confiance entre le public et les journalistes, rappelle Muriel Hanot. La pratique journalistique est balisée par une série de principes : la recherche et le respect de la vérité, l’indépendance du journaliste, sa loyauté par rapport à ses sources et à ses confrères et consœurs, le respect des droits des personnes. Ces éléments articulent ses devoirs au regard de ses droits, telle la liberté rédactionnelle. Il dispose en effet d’une liberté d’expression qui lui est propre. Elle concerne sa profession, le contrôle exercé sur les pouvoirs qui composent la société, son devoir d’informer. Cette liberté fait l’objet d’une contrepartie : sa responsabilité sociale. L’opinion du journaliste est légitime, mais elle doit reposer sur des faits avérés. Il ne peut pas affirmer une chose contraire à des faits et mettre en cause des personnes gravement et inutilement. Sa liberté a des limites. »

INDÉPENDANCE FINANCIÈRE

Chapeauté par l’AADJ (Association pour l’Autorégulation de la Déontologie journalistique), le CDJ est financé par l’AJP et par les éditeurs de journaux. « C’est un système mixte très subtil, se réjouit sa Secrétaire générale. Le financement public est indirect, ce qui est essentiel car l’une de ses caractéristiques principales est son indépendance. » Il est composé de vingt membres bénévoles élus paritairement parmi les journalistes et les éditeurs presse. Auxquels s’ajoutent des rédacteurs en chef et des représentants de la société civile familiers avec le monde journalistique (professeurs de déontologie, avocats, associatifs…).

Durant les premières années de son existence, il recevait entre quatre-vingts et nonante plaintes par an. Depuis l’élection de Trump et le Brexit, et la multiplication des fake news, ce nombre atteint environ cent cinquante, dont une soixantaine donne lieu à l’ouverture d’un dossier. Les autres plaintes sont jugées irrecevables, le plus souvent pour des questions de forme. Les anonymes sont d’office rejetées. Leur auteur doit en effet être identifié afin d’éviter les tentatives de pression sur les journalistes de la part de gens qui, se dissimulant derrière une fausse adresse mail, veulent se venger d’eux ou les empêcher de travailler. D’autre part, elles doivent respecter le délai de prescription fixé à deux mois. Leur rejet peut également concerner leur contenu : la question déontologique soulevée est inopportune, les droits des journalistes sont ignorés ou, sur ce sujet, l’instance a déjà rendu un avis très clair. Une série de plaintes donnent lieu à une médiation afin de trouver une solution à l’amiable. Cela permet au plaignant d’obtenir une réponse rapide, en un jour ou deux. Le CDJ traite en réunion plénière les dossiers préparés par le secrétariat général, afin que tous bénéficient des débats. Le laps de temps pour la remise d’une décision est environ de trois mois.

DÉCISIONS PUBLIQUES

« Les décisions non fondées sont aussi importantes que les fondées, parce qu’elles disent aussi les bonnes pratiques, observe Muriel Hanot. En plus d’informer les médias visés, elles sont en effet partagées par l’ensemble de la profession qui, ainsi, en bénéficie. Si la déontologie est partout la même, quel que soit le support, chaque média impose pourtant sa force d’inertie. Dans la presse écrite ou audiovisuelle, l’erreur peut être aisément signalée et rectifiée. Mais, en ligne, c’est différent. Supprimer l’article où elle se trouve ou le mettre à jour en la corrigeant, ni vu ni connu, ce n’est pas suffisant. Une rectification n’est effectivement pas une simple mise à jour. Il faut non seulement corriger l’erreur, mais aussi informer le lecteur de son existence, indiquer où elle se trouvait, expliquer en quoi elle consistait et comment elle a été corrigée. Sinon, la personne qui a lu l’information erronée va continuer à y croire, il ne va pas relire l’article avec les corrections. » C’est pourquoi, pour les médias numériques, les décisions du CDJ doivent être publiées pendant quarante-huit heures sur leur page d’accueil. Si l’article est toujours en ligne ou archivé, il doit obligatoirement mentionner qu’une faute déontologique a été constatée et renvoyer à la décision intégrale. 

Entre 2009 et aujourd’hui, le type de médias visés par les plaintes a complètement changé. Si, à l’origine, c’est essentiellement la presse écrite qui était mise en cause, il s’est progressivement produit une bascule et les contenus en ligne ont pris de plus en plus de place. Les plaintes évoluent en effet avec la consommation du public. Par exemple, pendant la période covid, celles concernant la télévision ont été plus nombreuses. Le CDJ rend public toutes ses décisions, ce qui leur confère une vraie publicité. Et, depuis l’origine, elles sont consultables sur son site. 

Michel PAQUOT

Informations : lecdj.be/fr/le-conseil

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