Éloge de la transgression

Éloge de la transgression

Alors que dans le monde se profilent de nombreux replis identitaires, il est important de se mettre à l’écoute des récits qui “déplient” nos âmes et nos imaginaires.

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Publié le

25 octobre 2022

· Mis à jour le

25 mars 2025
Photo de la chroniqueuse Laurence Flanchon souriant à la caméra

L’Évangile transgresse toutes les frontières : géographiques et physiques, religieuses et sociales et même… nos frontières intérieures, provoquant des retournements qui deviennent parfois de véritables conversions du regard et du cœur. Corneille puis Pierre vont en faire l’expérience dans un récit qui se trouve au chapitre dix du Livre des Actes.

UN « CRAIGNANT DIEU »

Corneille est un homme pieux et généreux envers le peuple juif. Il est un « craignant Dieu », c’est-à-dire un païen qui fréquente la synagogue dans un groupe distinct du judaïsme car il n’a pas fait le pas de la conversion. Dans le portrait de Corneille, qui est à la fois païen et revêtu des qualités du croyant juif, se dessine déjà la dissolution des frontières qui voulaient qu’il y ait des différences dans l’accès à Dieu. Alors qu’il prie, il a une vision : celle d’un ange de Dieu qui entre chez lui. Le seuil de la maison d’un païen est franchi. Et cette première “transgression” en induit une autre : l’ordre est donné à Corneille d’envoyer ses hommes dans la demeure de Pierre. En acquiesçant, Corneille franchit la règle de séparation entre juifs et non-juifs. Dans la suite de ce récit, la difficulté centrale sera de faire entrer Pierre, qui respecte ces règles de séparation, dans la maison de Corneille.

Il faudra à Pierre et Corneille de l’audace pour avoir le courage de la transgression. Une notion que le langage courant enferme dans l’ordre de la violation des lois ou des commandements. Pourtant, ses ressources sémantiques et symboliques ouvrent d’autres horizons. Transgresser, c’est aussi, étymologiquement, traverser, explorer, franchir, dépasser. La transgression évoque la volonté de connaître, le courage de refuser de se soumettre.

NOUVELLE POSTURE

L’éloge de la transgression est le titre d’une œuvre du sculpteur Philippe Ramette. On peut y voir une jeune fille en train de se hisser au sommet d’un socle. Cette œuvre a été pensée en lien avec le combat des femmes indiennes qui luttent quotidiennement pour la reconnaissance de leurs droits. La petite fille enfreint les règles et les contraintes définies par le périmètre et escalade le socle. Cette sculpture ne manque ni de poésie ni d’humour. En l’observant, nous pouvons être saisi par un léger sentiment d’insubordination. Cette fillette est-elle au fond en train de grimper sur son socle ou de s’en échapper ? Est-elle en train de s’installer, est-elle en train de filer ? Elle est en tout cas dans le mouvement, sortant du cadre-socle. Qu’est-ce que c’est que cette statue en mouvement qui incite le spectateur à bouger lui-même pour ne pas se heurter à l’œuvre ?

Le même artiste est l’auteur de la statue d’un homme en costume, le regard tourné vers l’horizon, qui s’intitule Éloge du pas de côté. Seul un pied repose sur le socle, l’autre s’en échappe. Un hommage à l’écart, à l’audace, au léger déséquilibre nécessaire à la marche…

Deux œuvres en résonnance avec le récit du Livre des Actes qui évoque ce moment décisif de l’histoire du christianisme où le temps est venu d’ouvrir largement la porte, d’aller au-delà des cercles de convertis venant du judaïsme. L’évangile n’est pas réservé à quelques-uns : il jaillit de son socle initial témoignant d’un Dieu universel, un Dieu qui n’appartient à personne, mais s’offre à tous. Et Pierre devra revoir sa conception du pur et de l’impur, ses règles alimentaires et religieuses, pour devenir le témoin de ce Dieu qui fait fi des barrières que nous érigeons patiemment entre nous et nous encourage à oser “sortir du cadre” pour lui être fidèle.

Laurence FLACHON, Pasteure de l’Église protestante de Bruxelles-Musée (Chapelle royale)

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