Le débat interreligieux a-t-il vraiment un sens ?
Le débat interreligieux a-t-il vraiment un sens ?
Plutôt que le débat, qui tourne trop souvent à l’affrontement, ne faut-il pas privilégier le dialogue, c’est-à-dire la construction d’un terrain commun ?
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Durant les années 80, la mode était aux fameux “débats interreligieux”. Notamment, dans le monde musulman, la figure d’Ahmed Deedat était devenue incontournable sur ce terrain. Suite à la mort de l’intéressé en 2005, le soufflet est doucement retombé. L’élève de Deedat, Zakir Naïk, s’est en effet plutôt spécialisé par la suite dans l’apologie de type concordiste — cette posture qui consiste à prétendre que des découvertes scientifiques récentes ont été prédites dans un texte révélé. Le Coran, dans son cas.
Conséquemment, l’idée de faire débattre deux religions, dans l’optique puérile de déterminer laquelle aurait raison sur l’autre, semblait avoir fait son temps… C’était sans compter l’essor de nouvelles figures de la controverse qui, sous prétexte de vouloir faire “vivre le débat”, ressuscitent les vieilles polémiques des années 80. Côté catholique on pensera à l’influenceur Paul-Adrien. Côté islam, c’est le vidéaste caché derrière le pseudonyme Jésus Musulman qui fait souvent parler de lui. Loin de moi l’idée de limiter la liberté de parole des uns et des autres. Pour autant, on peut interroger les prétentions des controversistes d’aujourd’hui à réellement “débattre”.
FUSION DES HORIZONS
En substance, le débat est une activité noble. Comme toute activité noble, il a des exigences. On peut de fait se poser la question de savoir si des controversistes comme Paul-Adrien ou Jésus Musulman remplissent ces exigences. Tout débat digne de ce nom se construit en effet sur un terrain commun. Ce terrain n’est pas une zone neutre de neutralisation ou d’aseptisation des convictions, mais un espace où les déclarations se rencontrent et peuvent être objectivement hiérarchisées. Ce terrain commun ne préexiste pas de manière statique : il se construit par cooptation de sources de légitimité et par la reconnaissance de l’autre comme interlocuteur légitime. C’est là que le bât blesse avec des controversistes qui n’ont pour but que de démolir la religion de l’autre.
Le philosophe Hans-Georg Gadamer, figure de proue de l’herméneutique moderne, a montré il y a longtemps que tout échange véritable repose sur une « fusion des horizons », c’est-à-dire l’acceptation tacite de laisser une place à la perspective de l’autre. Dans un contexte de débat interreligieux, cette fusion doit permettre de générer un langage articulé autour de notions communes. Or, lorsque des controversistes de religions différentes entrent en interaction, ce n’est pas pour articuler un langage commun qui permettrait d’approcher des vérités hiérarchisées, mais pour subjuguer celui qui devient le tout Autre. Il ne s’agit pas de rencontres, mais d’affrontements.
IMPOSSIBLE DÉBAT
En ce sens, il est permis de se demander si un authentique débat entre deux représentants de deux religions différentes est réellement possible. Après tout, y a-t-il obligation pour un croyant de faire de la place à des dogmes qui ne sont pas les siens ? Je pense personnellement que la notion de “débat” est un type d’échange impossible à opérer pour deux religions qui cherchent à respecter les autres tout en se respectant elles-mêmes. Dès lors, la seule option possible, distincte de la basse controverse, n’est plus le débat, mais le dialogue, c’est-à-dire la construction d’un terrain commun qui ne vise pas à hiérarchiser des positions, mais à les faire se rencontrer. Dans cette optique, force est de constater que les controversistes actuels, avec leurs controverses déguisées en débats, nuisent à tout dialogue digne de ce nom.
En contraste de leur approche, ne gagnerait-on pas davantage à cesser de rejouer sans fin le match des certitudes, et miser plutôt sur des rencontres de qualité ? En d’autres termes, délaisser l’Ego qui cherche à dévorer l’autre pour sa propre gloire et s’en remettre plutôt à l’Esprit qui élargit les horizons et les fusionne authentiquement ?
Hicham ABDEL GAWAD
Écrivain