Les Etats-Unis : future république chrétienne ?
Les Etats-Unis : future république chrétienne ?
Suite à l’assassinat de l’influenceur chrétien d’extrême droite Charlie Kirk, de nombreuses Églises néo-évangélistes états-uniennes, déjà galvanisées par la gouvernance de Trump, veulent imposer un fondamentalisme religieux qui se substituerait à la constitution.
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« Je suis Charlie. Ma foi m’a coûté la vie, mais je me tiens à présent pour toujours dans la gloire, avec ceux qui sont restés droits. » Depuis le paradis, entouré de Jésus, de ses apôtres et de martyrs, mais aussi de Kennedy ou Lincoln, Charlie Kirk, influenceur ultraconservateur membre d’une megachurch évangélique en Arizona, témoigne, sur les réseaux sociaux, de sa “vie” dans l’au-delà après son assassinat le 10 septembre dernier. Ces contenus générés par l’intelligence artificielle, en plus d’ériger en martyr ce trumpiste fanatique comparé à « un saint Paul des temps modernes » par le très conservateur archevêque de New York, le cardinal Dolan, traduisent l’emprise du millénarisme aux États-Unis. « Une mentalité apocalyptique s’est ancrée profondément dans l’imaginaire américain, alerte le chercheur italien Pasquale Annicchino sur le site de la revue de géopolitique Le Grand Continent. Ce qui m’apparaît inédit, c’est qu’elle ne se limite plus à un courant marginal, à l’instar de QAnon et d’autres mouvements conspirationnistes, mais qu’elle structure désormais la manière dont un grand nombre d’officiels et de citoyens perçoivent la politique et l’avenir du pays. Dans le cas de la droite religieuse américaine, de plus en plus hégémonique dans le contexte de la présidence Trump, cette approche est enracinée dans le christianisme fondamentaliste et nationaliste. Les événements politiques sont ainsi interprétés à la lumière des prophéties bibliques. »
CONCEPT DE DOMINION
Dans la même revue dirigée par Giuliano da Empoli (auteur du Mage du Kremlin et de L’Heure des prédateurs), Philippe Gonzales, qui étudie la présence des religions dans l’espace public, observe que les évangéliques, catholiques et autres chrétiens conservateurs ont, lors des trois dernières élections, voté massivement pour Trump. Des idéologues et think tanks proches de cette « nébuleuse » qui remettent en question la séparation des Églises et de l’État, et veulent fusionner les identités chrétiennes et américaines, ont ainsi inspiré nombre de décrets signés par le locataire de la Maison-Blanche. « Ils affirment en substance que, pour certains citoyens, l’obéissance à Dieu, dans tous les domaines de la vie, privée et publique, passe avant toute autre chose. Ce devoir d’obéissance à Dieu s’étend également au domaine politique. En considérant les convictions religieuses comme relevant de la sphère privée et du choix personnel, le libéralisme politique porterait atteinte à la liberté religieuse de ces personnes. » Très influent auprès de l’administration Trump, Douglas Wilson, pasteur nationaliste à Christ Church dans l’Idaho, souhaite d’ailleurs que son pays devienne une « république chrétienne ».
Cette droite chrétienne s’appuie sur le concept de dominion, un terme qui renvoie à la fois à l’idée de “mandat”, de “territoire” et de “domination” « Il s’agit d’un ensemble de théologies dont le but avoué est de penser l’entièreté de l’existence humaine au regard du mandat que Dieu aurait conféré à l’humanité au moment de la Création », précise le chercheur qui les considère comme « un péril on ne peut plus réel pour le modèle démocratique aujourd’hui ». Cette radicalisation n’est pourtant pas totalement nouvelle outre-Atlantique. Lors de l’invasion du Capitole le 6 janvier 2020, certains assaillants avaient en effet clamé agir au nom du Christ, allant jusqu’à prier. Ce qu’avaient à l’époque condamné des représentants d’Églises évangéliques. Et aujourd’hui, certaines d’entre elles, effarées par cette dérive autoritaire, préfèrent se qualifier de chrétiennes, baptistes, presbytériennes, etc.
GRÂCE À INTERNET
Si le “message” post-mortem de Charlie Kirk bénéficie d’un tel retentissement, c’est grâce au numérique. Dans sa contribution à l’ouvrage collectif Radicalismes et crises d’identité, Olivier Servais, professeur d’anthropologie des religions à l’UCLouvain, observe d’ailleurs que la montée en puissance des régimes politiques radicaux inspirés par un retour aux valeurs chrétiennes traditionnelles est liée à la place occupée par les nouveaux médias digitaux. Il note ainsi que, via Twitter, puis son propre réseau, Truth Social, Trump recourt à foison à des thèmes religieux et symboles chrétiens. Et il rappelle aussi que c’est en ligne que l’État islamique a pu diffuser sa propagande et recruter ses combattants.
Cette montée fondamentaliste s’inscrit dans un mouvement plus vaste, et souvent violent, analyse de son côté l’ancien haut fonctionnaire Pierre Conesa dans son livre d’entretiens avec le philosophe Rémi Brague, Les religions font-elles plus de bien que de mal ? « Il y a également les juifs radicaux qui aujourd’hui colonisent la Cisjordanie, les bouddhistes radicaux au Myanmar qui massacrent des musulmans déclarés apatrides, les Rohingyas, et les persécutions des musulmans par les hindouistes renforcées depuis l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi en Inde. Nous nous retrouvons donc bien face à un phénomène planétaire qui se caractérise justement par un discours qui se veut total, mais pas universaliste. L’autre ne peut pas être intégré dans cette idéologie. (…) Tous ces mouvements radicaux sont devenus des moteurs à explosion des relations internationales. Face à ce danger, il faut cesser de traiter les religions sous l’angle de la liberté de conscience. Les poussées radicales sont parvenues à déplacer la limite du “dicible” sur le droit des femmes, l’exclusion, la conversion, le blasphème, la laïcité, la tolérance et demain les LGBT. »
RELIGIEUX OU SPIRITUEL ?
L’importance du religieux au détriment du spirituel, c’est ce que déplore le théologien et psychanalyste Laurent Lemoine, auteur de Quoi de neuf docteur ? La psychanalyse au fil du religieux. « La religion est un vecteur naturel de l’identitaire. Et si elle n’est pas travaillée par la parole, elle conduit au fondamentalisme qui se porte si bien. Le spirituel accepte une part d’inorganisation, peut se jouer des frontières ; ce qui est souvent insupportable au religieux, par nature exclusif et non pas inclusif. Si la croyance s’exprime principalement sous la forme du religieux, c’est parce que l’humanité a besoin de réassurances. Le monde est précarisé, menacé de plusieurs manières, de la crise écologique à celle du libéralisme. Face à cela, le religieux, pourvoyeur de sens, rassure. »
« Je crains que le retour du religieux ne débouche sur un retour de politique autoritaire, répondait-il au quotidien français Libération. Il n’y a pas plus religieux – si je suis sévère – que les grandes assemblées nazies acclamant Hitler. En Russie aujourd’hui, Poutine instrumentalise le retour du religieux et des valeurs morales (dont les gens ont, bien sûr, besoin) pour un asservissement au régime politique. L’expérience historique montre que cet ensemble complexe qu’est une religion (des rites, un culte, une éthique, un texte sacré, etc.) porte à la violence. Ma doctrine va se heurter à celle de mon voisin. Ce voisin est un autre et à la fois un même. C’est cela qui crée ce noyau incandescent d’où surgit la violence. Ce n’est pas le cas – ou de manière moindre – pour la spiritualité. Parce que dans le cas de la spiritualité, il y a une dimension de quête, d’exploration de quelque chose que je ne connais pas encore. »
Michel PAQUOT
legrandcontinent.eu/fr/
Radicalismes et crises d’identité, collectif, Louvain-La-Neuve, Lumen Vitae, 2024. Prix : 16€. Via L’appel : -5% = 15,20€.
Pierre CONESA et Rémi BRAGUE, Les religions font-elles plus de bien que de mal ? Paris, Desclée de Brouwer, 2025. Prix : 12,95€. Via L’appel : -5% = 12,31€.

