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CORONAVIRUS : LA FIN DU MONDE. OU PAS.

Le monde fait-il face aÌ€ une catastrophe dont il ne se releÌ€vera pas ? Si ce sentiment semble fort partageÌ , il est nuanceÌ par Laurent Testot qui, apreÌ€s avoir retraceÌ l’histoire des cataclysmes, coordonne un ouvrage sur ce qui menace vraiment la planeÌ€te d’effondrement. Pour lui, il faut regarder au-delaÌ€ des événements actuels.

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Les gens sont inquiets. Comme tout le monde, l’essayiste et journaliste scientifique Laurent Testot le constate chaque jour. Il comprend ce sentiment. « L’inquieÌ tude des gens est souvent disqualifieÌ e par les speÌ cialistes et les autoriteÌ s,
qui l’estiment irrationnelle. Ils jugent absurde de faire des reÌ serves de paÌ‚tes, car on ne cessera pas d’en produire, alors que deÌ valiser les supermarcheÌ s perturbe les circuits de distribution. Or, ce geste peut se comprendre. Il est le fruit du raisonnement d’un acteur qui ne fait plus confiance aÌ€ l’expert ou aÌ€ l’EÌ tat. Il manifeste ainsi sa deÌ fiance, estimant que l’expert pourrait avoir tort, ou mentir.
 »

UNE CHUTE DU SYSTEÌ€ME ?

Cette inquieÌ tude nourrit l’impression de « presque fin du monde » que de nombreuses personnes ressentent pour l’instant. Comme si tout eÌ tait d’un coup remis en cause, preÌ‚t aÌ€ s’arreÌ‚ter. « Avec la mondialisation, nos socieÌ teÌ s sont effectivement de plus en plus interdeÌ pendantes. On assiste aÌ€ l’actualisation du mythe du papillon volant en Australie et provoquant un cyclone ailleurs. Il a suffi d’un eÌ change viral sur un marcheÌ de Wuhan pour finir par entraiÌ‚ner une semi-paralysie de l’eÌ conomie mondiale. Les politiques se lamentent de la situation parce qu’elle entraiÌ‚ne une interruption de la croissance, et ils ne vivent pas cela comme quelque chose de positif. Mais... cela permet de respecter les accords politiques contre le reÌ chauffement climatique conclus aÌ€ Paris. On aurait duÌ‚ y arriver par un biais politique, comme une deÌ cision volontaire des socieÌ teÌ s humaines. Et c’est exactement l’inverse qui s’est passeÌ . »

On ne peut toutefois contester que le monde traverse une crise. Mais celle-ci est-elle le signe d’un effondrement du systeÌ€me ? « Cette fragiliteÌ pourrait eÌ‚tre temporaire. Le fait que les usines chinoises tournent au ralenti va peut-eÌ‚tre priver certains malades de meÌ dicaments. Des gens pourraient en mourir, et cela sera consideÌ reÌ comme une erreur de l’EÌ tat. Mais, au bout de six mois ou un an, on aura reconstitueÌ des chaiÌ‚nes de production locale en Europe. Et elles permettront de ramener la situation aÌ€ l’eÌ quilibre. Le coronavirus n’aura qu’un temps. ApreÌ€s, la Chine aura huit mois au lieu d’un an pour rentrer dans son taux de croissance normal. DeÌ€s qu’elle sera sortie de l’eÌ pideÌ mie, elle va donc mettre les boucheÌ es doubles. » Pour ce speÌ cialiste de l’effondrisme (version française de la collapsologie), « sauf si le virus mute ou que surviennent des choses impreÌ visibles, ce qui se passe n’est pas aÌ€ meÌ‚me d’entraiÌ‚ner le systeÌ€me dans sa chute  ».

LE VEÌ RITABLE CATACLYSME

Dans son preÌ ceÌ dent ouvrage, Cataclysmes, Laurent Testot s’est pencheÌ sur les eÌ pideÌ mies qui ont, elles, souvent changeÌ la face du monde. « Elles ont eÌ teÌ un moteur de l’histoire. Elles ont par exemple permis aÌ€ l’Europe de conqueÌ rir les AmeÌ riques. C’est aÌ€ cause d’un simple microbe, treÌ€s commun dans l’Ancien Monde, que Cortez a mis aÌ€ genoux l’Imperium azteÌ€que. Si l’Afrique n’a eÌ teÌ coloniseÌ e qu’au XIXe sieÌ€cle, c’est parce qu’avant la deÌ couverte de la quinine, les envahisseurs y mouraient de piquÌ‚res deÌ€s la saison des pluies. Quand la peste est arriveÌ e en Occident au XIVe sieÌ€cle, elle a contamineÌ 60 % de la population et en a tueÌ 30 % en cinq ans. Cent millions de morts. Entre le tiers et le quart de l’humaniteÌ . L’eÌ norme diffeÌ rentiel de deÌ veloppement entre l’Europe et le monde arabo-musulman rencontreÌ ensuite s’explique par le fait que l’Europe a su surmonter ce drame, alors que le monde arabe, soumis en meÌ‚me temps au choc mongol, ne s’en est pas remis. Par rapport aux menaces du passeÌ , le coronavirus est presque de la "petite bieÌ€re– , avec un taux de contagion moyen- faible et une leÌ taliteÌ treÌ€s faible pour une maladie
eÌ mergente. En comparaison, Ebola, a eu 60 % de mortaliteÌ en Afrique.
 »

Pour Laurent Testot, le veÌ ritable cataclysme qui menace la planeÌ€te est plus grave. « La Terre va aÌ€ sa perte aÌ€ cause de l’inertie des socieÌ teÌ s humaines. Nous envoyons trop de gaz aÌ€ effet de serre dans l’atmospheÌ€re et nous deÌ truisons le vivant. Les deux se conjuguent et posent des limites treÌ€s inquieÌ tantes aÌ€ nos capaciteÌ s d’encore nous nourrir dans la seconde moitieÌ de ce sieÌ€cle. »

TREÌ€S PESSIMISTE, MAIS...

InterpelleÌ par de nombreux « cercles effondristes » apreÌ€s la sortie de son livre sur les cataclysmes qui voyait deÌ jaÌ€ le futur de manieÌ€re probleÌ matique, l’auteur se dit treÌ€s inquiet. « Si on veut survivre, il faut renoncer aux eÌ nergies fossiles. C’est aussi simple que cela. Ou en deÌ croiÌ‚tre l’usage dans une proportion dantesque. Et, laÌ€, les politiques eÌ chouent. Parce qu’ils ne parviennent pas aÌ€ convaincre les populations de reÌ duire leur consommation. » Le livre qu’il vient d’eÌ crire avec l’ "expert en risques– Laurent Aillet donne la parole aÌ€ des scientifiques et des analystes qui apportent leur pierre aÌ€ la compreÌ hension du probleÌ€me, et eÌ bauchent, en dialogue, des sceÌ narios de solutions. Il ne se veut pas une deÌ monstration. « La façon dont on raconte le futur oriente la vision qu’on en a, explique Laurent Testot. Il ne faut pas laisser le futur eÌ‚tre annexeÌ par des experts qui dicteront notre façon de penser. La cleÌ est dans la transdisciplinariteÌ . » L’auteur est aÌ€ ce propos proche de la penseÌ e de Greta Thunberg. « Elle a une cognition
leÌ geÌ€rement diffeÌ rente, comme tous les gens qui ne veulent pas se laisser enfermer dans une discipline. On ressort toujours treÌ€s inquiet de pareil exercice. Plus informeÌ e que ses contradicteurs, elle est deÌ voreÌ e d’angoisses sur son avenir. C’est logique.
 »

« Je suis treÌ€s pessimiste, conclut l’analyste. Sauf si on arrive aÌ€ inverser la tendance. L’humaniteÌ a des treÌ sors d’ingeÌ niositeÌ . Nous allons changer de trajectoire. On parle de geÌ o-ingeÌ nierie, de captation du carbone, de modification geÌ neÌ tique des milieux. Cela fait hurler les eÌ colos. Mais les socieÌ teÌ s reÌ pondent souvent par la technique aux probleÌ€mes que pose la technique. Par exemple, pour eÌ viter que les foreÌ‚ts flambent, il faut injecter des geÌ€nes dans les arbres pour qu’ils reÌ sistent aÌ€ l’augmentation de tempeÌ rature et continuent aÌ€ capter le carbone. Cela va se faire. Il va falloir capter des quantiteÌ s eÌ normes de carbone, extraire le CO2 de l’atmospheÌ€re... Est-ce le plus souhaitable ? Je ne le pense pas. On peut aussi proÌ‚ner la deÌ croissance comme seul mode de vie soutenable. Mais ce n’est pas une solution qui fait reÌ‚ver. On pourrait alors eÌ‚tre douze milliards sur terre, aÌ€ condition de vivre aÌ€ la manieÌ€re de Gandhi. Mais pas aÌ€ celle de Donald Trump... » â– 

Laurent TESTOT, Laurent AILLET (sld), Collapsus, Paris, Albin Michel, 2020. Prix :20,80€. Via L’appel : - 5% = 19,76€.

Propos recueillis par FreÌ deÌ ric ANTOINE

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