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Edito

OSER ÊTRE IRÉNOLOGUE : UNE UTOPIE ?

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À ma gauche, ceux que l’on appelle les “polémologues”. À ma droite (ou vice-versa), ceux qui se dénommeraient plutôt eux-mêmes “irénologues”. Au milieu, le cœur de la question qui les divise : la guerre, et son irréductible (ou non) présence dans les gènes fondateurs de l’humanité.

Longtemps, ce questionnement a paru ne pas avoir de sens. La guerre faisait partie des sociétés au même titre que la vie et la mort. S’essayer à vivre ensemble générait nécessairement l’apparition de conflits, leur dégénéres- cence sous forme d’affrontement armé constituant, dans la plupart des cas, ce que l’on considérait comme l’inévi- table moyen de tenter de les résoudre. Si tu veux la paix, prépare la guerre, écrivait le Romain Végèce dans son Traité de l’art militaire (Ve siècle après J.C.). Pas toujours, toutefois, comme le rappelle le Lysistrata d’Aristophane, dont il est question dans la rubrique “Toiles et Planches“ de ce numéro (pp. 32-33).

Récemment, cette fatalité de l’avènement des guerres avait semblé pouvoir être remise en cause. Afred Nobel lui-même ne pensait pas à autre chose lorsqu’il écrivait que « le jour où deux corps d’armée seront capables de se détruire mutuellement en une seconde, toutes les nations et civilisations reculeront d’horreur et licencieront leurs armées  ».

Au tournant des années 1970, alors que la branche fla- mande de l’Université de Louvain venait de s’entretuer avec son pendant francophone afin de mettre les Wallons à la porte de la ville de Leuven, les évêques de Belgique avaient demandé aux deux universités catholiques d’entamer, chacune de leur côté, des études et des enseignements sur la paix. Le politologue-journaliste Paul M.G. Levy, qui avait aussi dirigé la communication du Conseil de l’Europe, avait été chargé de créer un centre de re- cherches et de donner cours sur le sujet. Il aimait à expliquer que les polémologues considéraient l’Histoire du monde comme une succession de périodes de conflits entrecoupée de périodes de paix. Les irénologues, plus optimistes, adoptaient le point de vue inverse. Difficile dès lors qu’ils s’entendent. Ce que confirmera un colloque international organisé à l’époque par les deux universités catholiques, colloque qui s’avérera être une suite de « polémiques de polémologues ».

La fin des régimes communistes avait pu laisser croire à une victoire par K.O. du camp de la paix. Les guerres qui ont ensuite émaillé l’Europe centrale et d’autres conti- nents ont démontré que, sur le fond, il n’en était rien. La guerre avait encore de beaux jours devant elle. Quelle autre conclusion pourrait-on tirer de ce qui se passe entre la Russie et l’Ukraine depuis 2015 ?

Oserait-on encore aujourd’hui se proclamer irénologue, sinon par philosophie ou par défi ? Quant à la polémologie, déjà riche d’approches très diversifiées, ne doit-elle pas ur- gemment être abordée sous de nouveaux angles, comme le propose notre rubrique “À la une” (pp. 6-8) ?
Alors qu’à nos portes la guerre va entrer dans un deuxième hiver, il importe plus que jamais d’essayer de comprendre.

Frédéric ANTOINE, Rédacteur en chef du magazine L’appel

Paul M. G. LÉVY, Dominique SIMONS, Jorge D’OLIVEIRA E. SOUZA, Le colloque de Louvain ou polémiques de polémologues , Res Publica 14 (4):725-744 (1972).

Mot(s)-clé(s) : L’édito
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