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Effacement ou ouverture ? LES COURS DE RELIGION EN SURSIS...

L’organisation des cours de religion et de morale dans l’enseignement officiel deviendra-t-elle facultative et laissera-t-elle place au seul cours d’Éducation à la Philosophie et à la Citoyenneté (EPC) obligatoire Quel en serait l’impact pour l’enseignement libre confessionnel ?

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Fin Novembre 2021, le groupe de travail du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (PFWB) mandaté pour « examiner l’extension à deux heures de l’éducation à la philosophie et à la citoyenneté pour l’ensemble des élèves de l’enseignement obligatoire » se mettait d’accord sur une résolution. Les trois partis de la majorité (PS, MR, ECOLO) proposaient –“ pour l’enseignement officiel –“ de faire passer l’EPC de une à deux heures obligatoires et de rendre les cours de religion et de morale optionnels dans la grille horaire. Pour l’enseignement libre confessionnel, les parlementaires de la majorité recommandaient d’améliorer les conditions de l’organisation de l’EPC. Décodage : ne plus laisser cette matière se distiller dans les autres cours (que ce soit en français, en histoire ou en éveil), mais organiser un cours spécifique.
Quelque jours plus tard, le 1er décembre 2021 - sans que l’on ne comprenne pourquoi l’urgence avait été décrétée –“ la résolution était adoptée par le PFWB. Sur le déroulement du travail du groupe parlementaire et sur le contenu de cette résolution, les questions sont nombreuses.

UN DÉBAT TRONQUÉ...

« Ce groupe a travaillé à huis clos, ce qui pose de fameuses questions, analyse Paul Verbeeren, inspecteur de religion dans l’officiel et licencié en sciences religieuses. Il paraît que c’est un sujet sensible... Cela se discute ! Ils ont auditionné plusieurs personnes, dont le Centre d’Action Laà¯que, qui défend uniquement l’EPC, au grand dam de pas mal d’enseignants de morale qui ne s’estiment plus entendus. Les représentants des cultes n’ont pas été invités. »

L’étonnement est le même chez Myriam Gesché, ancienne responsable du cours de religion à l’Enseignement catholique (SEGEC) et aujourd’hui déléguée épiscopale à l’enseignement dans le diocèse de Tournai : « Aucun représentant des cours de religions et de morale n’a été concerté, alors que les décisions risquent de les impacter. On ne peut que déplorer ce manque de démocratie. Je constate qu’actuellement le monde laà¯que comprend deux visages : d’un cà´té, une laà¯cité inclusive davantage ouverte aux religions ; et d’un autre cà´té, une laà¯cité exclusive qui voudrait reléguer les religions dans la sphère privée.Au nom de la rationalité, elle refuse de donner la parole aux religions. Actuellement, tous les lieux de concertation sont imprégnés par cette dualité. »

UN LONG CHEMIN...

« Ce sujet est débattu depuis quinze ou vingt ans rappelle Caroline Sà¤gesser, chercheuse au Centre de Recherches et d’Informations Socio-Politiques (CRISP). On sait que les partis historiquement liés au pilier laà¯c (essentiellement le PS et le MR) étaient globalement favorables à la disparition des cours de religion et de morale non-confessionnelle. Il y avait déjà eu d’autres propositions. Ici, le vote en urgence de décembre 2021 a pris un caractère un peu concret. Toutefois, depuis ce vote, j’ai noté que du cà´té du MR, qui compte dans ses rangs un certain nombre de personnes issues du monde catholique, on était maintenant un peu plus tiède face à cette perspective.  »
Et de fait, familier des messages sur les réseaux sociaux, le président du MR avait vite réagi à la résolution. « C’est une option, signalait-il, mais toutes les autres possibilités dans le cadre de la grille horaire doivent être envisagées. Pas de conclusion erronée ».

Caroline Sà¤gesser poursuit son analyse : « Ce faisant on pense interpréter l’article 24 de la Constitution de façon conforme à sa lettre puisqu’elle oblige les établissements d’enseignement officiel à organiser deux heures de religion et de morale non-confessionnelle. Mais en même temps on méconnait sans doute l’esprit de cette disposition constitutionnelle qui a été - bien évidement - non seulement de contraindre les écoles à organiser ces cours, mais également de prévoir que des élèves allaient les suivre. »
L’urgence reste aussi incompréhensible pour la chercheuse du CRISP qui ajoute : « Je ne suis pas sure que l’on va aboutir avant la fin de cette législature. Soit parce qu’il va y avoir un aspect juridique où le Conseil d’État dira –˜non cela ne va pas’ ; soit parce que au niveau de la majorité, l’un des partenaires, comme le MR, exprimera un revirement à ce propos. Je ne suis pas sure du tout que ce soit fait. Je ne comprends pas l’urgence, c’est sans doute symbolique. Ces parlementaires avaient envie de marquer le coup. On a tout de même beaucoup travaillé sur ce dossier, dans cette législature et précédemment. Cela fait des années que régulièrement on discute, on travaille, on fait des rapports. »

Caroline Sà¤gesser

Ce qui irrite également, c’est que l’accord de gouvernement de la FWB prévoyait bien de confier à un groupe de travail l’examen de la possibilité de faire passer l’EPC de une à deux heures. « Examiner une possibilité » était sans doute plus prudent que de vouloir passer en urgence... « Je ne crois pas que l’accord politique était plus clair. C’est un peu comme le dossier nucléaire au fédéral. On sait que cela fâche un peu, on fait une déclaration d’intention, mais on n’est pas très au clair sur ce à quoi on veut aboutir  » souligne la chercheuse.

L’EPC DÉPECÉ

Sur ce long chemin, les avancées restent donc difficiles. Pourtant, plusieurs interlocuteurs soulignent le travail mené sous Marie-Dominique Simonet (Ministre de l’Éducation de 2009 à 2013), poursuivi par les Ministres Schyns et Milquet. Et l’adoption de l’EPC dans un Décret de 2015.

Même s’il considère que le passage de l’EPC à deux heures est plié, Paul Verbeeren n’en démord pas. « Le cours que l’on nous propose aujourd’hui, ce n’est pas l’EPC du début, celle du Décret de 2015 ». À ce moment, l’EPC comportait trois axes : la philosophie, la citoyenneté et l’étude du fait religieux ainsi que l’histoire comparée des religions. « Or, en 2019, un nouveau Décret efface ce troisième axe » ajoute l’inspecteur. « De plus, aujourd’hui, on est même passé à ce que les convictions et le fait religieux soient systématiquement vus sous le prisme de la méfiance » regrette-t-il.

Pour Caroline Sà¤gesser, l’abandon de cet axe historique et sociologique du fait religieux est aussi interpellant : « Évidement la situation est différente, on l’a fait passer aux oubliettes dans le contexte où les parents pouvaient encore choisir un cours de religion à raison d’une heure par semaine. Donc, le religieux était toujours présent à l’école. Mais c’est vrai que cette dimension a quasi totalement quitté le programme de l’EPC. Ce qui peut être dommage et surprenant étant donné que, parmi les éléments qui avaient été mis en avant pour organiser ce cours, il y a avait précisément la volonté de lutter contre le radicalisme religieux. On était dans le contexte qui avait suivi les attentats islamistes violents de 2015. Cela faisait partie intégrante des motivations. Et l’on voit d’ailleurs que dans d’autres pays européens, on a opté pour une vision de l’enseignement de la religion déconfessionnalisée et plurielle, en ouvrant à l’ensemble des grandes traditions présentes sur leur territoire. Cette dimension fait défaut dans l’état actuel des choses au niveau du CPC. Mon interprétation personnelle est de dire que ce déficit est peut-être à imputer à la permanence de ce clivage philosophique tellement prégnant dans notre pays. On a d’un cà´té le monde catholique qui dit : –˜écoutez, la religion c’est mon affaire. Vous n’allez pas parler de religion seulement d’une manière scientifique, froide, dénaturée. Laissez-nous la religion’. Et puis d’un autre cà´té, vous avez les laà¯cs qui disent : –˜de toutes façons, la religion n’a rien à faire à l’école’. »

DIALOGUER

« Le dialogue interreligieux et interconvictionnel est pourtant fondamental dans une société où se cà´toient différentes religions et convictions. Et il est trop peu présent dans le programme de l’EPC » regrette Myriam Gesché.
Si la déléguée episcopale n’est pas défavorable à son passage à deux heures, cela ne peut se faire, d’après elle, en déforçant les cours de religion ou de morale. « Cette heure de cours doit rester dans la grille des cours obligatoires, même si un cours d’une heure est difficile à gérer. Ce serait un signe fort d’une société ouverte à la diversité des convictions présentes dans notre pays. Bruxelles est la deuxième ville la plus cosmopolite au monde. Rappelons aussi que, dans l’enseignement officiel, 80% des parents choisissent le cours de religion ou de morale pour leurs enfants. Il est temps de s’en souvenir et d’en tenir compte » conclut-elle.
Pour la déléguée épiscopale, un cours de religion ce n’est pas uniquement une transmission culturelle de savoirs et de connaissances. « C’est un lieu de recherche de sens sur les grandes questions d’existence et religieuses qui permet aux élèves d’avancer dans leur recherche avec les autres et leur enseignant. Dans cette recherche de sens, les élèves pourront aller puiser dans les ressources du christianisme qui sont croisées avec la culture, l’histoire, la littérature et d’autres traditions religieuses et philosophiques. »

Myriam Gesché

En ce qui concerne le cours de religion catholique : « C’est aussi un lieu où les élèves guidés par leur enseignant peuvent entrer dans la compréhension du Christianisme : les textes bibliques, le langage symbolique mais aussi savoir poser des questions philosophiques et ainsi être initiés aux différentes approches du monde. Le cours de religion est aussi l’occasion pour les élèves de s’interroger sur leur milieu convictionnel et de développer leur esprit critique par rapport à la tradition religieuse de leur famille. C’est aussi initier un dialogue entre raison et conviction. En développant l’approche critique et rationnelle, le cours de religion prévient les attitudes identitaires. Enfin, c’est un travail sur le vivre-ensemble grâce au dialogue qui peut être mis en place. Le cours de religion est véritablement un lieu pour réfléchir et s’engager dans les grandes questions de société : les questions sociales, de bioéthiques, de genre, relatives à l’actualité.... Les religions, tout au long de l’histoire, ont éclairé ces questions et la vie sociale en général. » [1]

Comme on le voit, le débat ne sera pas clos de sità´t. À moins d’un passage en force du Gouvernement qui resterait amer pour beaucoup. Du cà´té de l’enseignement catholique, la question restera aussi sensible. Jusqu’à présent en effet, l’EPC est rencontrée à travers toutes les disciplines et le cours de religion fait partie intégrante du projet éducatif de l’école. L’enseignement catholique n’est dès lors pas du tout favorable à un cours de religion facultatif et compte bien affirmer si nécessaire le droit à la liberté d’enseignement dont il dispose.

RÉINTÉGRER L’ESPRIT DE 2015

L’enseignement catholique n’est, par ailleurs, pas le seul à se manifester. Des voix s’élèvent dans les autres courants religieux. Dans une carte blanche publiée le 2 janvier dernier, Hicham Abdel Gawad (doctorant FNRS (UCLouvain-ULB), et chroniqueur à L’APPEL) écrivait : « Dans le cas du futur citoyen qui se reconnaît dans une croyance religieuse, il est important pour lui de comprendre qu’une religion n’a de sens que dans un contexte : une époque, un lieu et une société. Contextualiser les croyances, c’est désamorcer en amont leur absolutisation, et donc le fanatisme. Dans le cas du futur citoyen qui ne se reconnaît dans aucune religion, outre la découverte des croyances de ceux qui deviendront ses concitoyens, la compréhension du phénomène religieux dans sa dimension d’activité humaine demeure un excellent exercice d’ordre anthropologique (...). Enfin, on ne saurait nier les avantages décisifs d’une préparation à faire face aux phénomènes les moins heureux de la religiosité comme le fondamentalisme, le prosélytisme, le rejet de la science ou l’instrumentalisation politique de la religion. Le futur citoyen doit être préparé et, dans la mesure du possible, immunisé contre ces dérives  ». [2]

Quelle issue entrevoir ? « Nous proposons à quelques-uns de faire le forcing pour retrouver l’esprit de 2015, avance Paul Verbeeren. Il faut réintégrer le fait religieux dans l’EPC. L’ennui c’est que les laà¯cs y sont absolument opposés. Mais je crains que l’enseignement catholique ne soit guère plus enthousiaste  ». Pour lui, le SEGEC aurait peu d’intérêt à cette réintégration ; ce qui lui permettrait de conserver le monopole du cours de religion dans le libre. « Mais un cours de religion qui est donné peut-être à des élèves qui n’en n’ont pas grand-chose à faire ou un cours où on met le moins possible de théologie. Stratégiquement c’est intelligent, mais pédagogiquement faible » assène l’inspecteur.

Si cette stratégie se confirme pour le libre, elle aurait un effet direct sur l’officiel : celui de ruiner la possibilité d’un tel enseignement dans l’officiel où - clairement de l’avis de plusieurs observateurs - généralement, le contenu est plus pertinent. Parce que c’était un cours choisi et parce que les gens étaient engagés uniquement s’ils avaient une formation.

Paul Verbeeren

Le risque d’avoir un cours d’EPC sans ouverture au fait religieux et un cours de religion optionnel est donc grand. « Le discours actuel est de dire on ne va pas supprimer le cours de religion, mais le rendre optionnel. Et que l’on ne va pas nécessairement le mettre après 16 h ou le samedi... Si c’est optionnel, qui va y aller ? Pas le grand public, mais plutà´t des gens déjà dans des bulles plus identitaires. Est-ce que ce sont ces publics-là qu’il faut encourager ? Je crois que non, les identitaires, à la limite, n’en n’ont pas besoin. Or, cette formation-là est un besoin que je qualifie de sociétal, pour tous les élèves » conclut Paul Verbeeren.

DISCRIMINATIONS

Ces risques sont partagés par Caroline Sagësser : « Cette question des cours des religions minoritaires est importante, parce que si on supprime les cours de religion dans l’enseignement officiel, de facto on va créer un avantage plus important pour la religion catholique qui continuera à être enseignée dans de nombreux établissements, alors que pour les autres cours, les élèves n’auront plus accès à un cours de religion à l’école sauf dans la poignée d’établissements confessionnels islamiques, protestants ou juifs qui existent. Cela créera une forme de distorsion. On peut imaginer que dans une ville comme Bruxelles, à un moment donné des parents musulmans se disent –˜comment cela se fait-il qu’il y a plein d’écoles catholiques pour inscrire mes enfants et moi je n’ai pas le choix pour avoir un cours de religion musulmane ?’.  »

Pour la chercheuse du CRISP, face au risque de développement d’écoles confessionnelles, l’enjeu est d’abord d’éviter l’entresoi. « Dans un premier temps, on ne peut pas faire l’économie du risque de discrimination. Effectivement les familles de confession musulmane n’ont pas accès à un enseignement conforme à leurs valeurs et traditions. Après, que pour y répondre, cela amène au développement d’un enseignement confessionnel, oui certainement. C’est un risque, mais je vois plutà´t le risque de simplement rester dans un entre soi. Du cà´té des écoles catholiques, elles ont finalement un public extrêmement divers et il n’y a pas du tout de problème de ségrégation entre les enfants. Tandis que dans les écoles islamiques, juives ou protestantes qui existent aujourd’hui, le public est complètement homogène. Et ce, alors que l’un des objectifs de la réforme de l’enseignement au XXIe siècle et surtout dans des villes comme Bruxelles, c’est d’éduquer au vivre ensemble, à l’apprentissage de la différence, au respect mutuel, etc. Et cela apparaît difficile à atteindre quand on est éduqué dans un environnement qui finalement est mono-confessionnel et qui n’est que le prolongement de l’environnement familial. C’est justement le fait d’ouvrir sur le monde qui est une dimension de l’enseignement. »

REVOIR L’ENCADREMENT

Car une autre pierre d’achoppement se présente sur le chemin de ce débat difficile. Celui de l’encadrement et du suivi des contenus.
« Maintenant le décret –˜Titres et fonctions’ dit qu’il faut un diplà´me pour donner cours de religion... Cela a l’air idiot  » sourit Paul Verbeeren. « Mais dans le monde musulman, il faut se rendre compte que le cours existe depuis quarante-cinq ans et qu’il n’y avait pas de formation reconnue pour les prof de religion et que pendant des années on a nommé des profs qui parlaient à peine le français, ... L’État n’était pas à la hauteur de ce qu’il avait créé... La question du contrà´le était absente. L’État n’a pas joué son rà´le, notamment en termes de contrà´le. Aujourd’hui, il veut jouer un rà´le. »

Mais ce rà´le reste difficile à circonscrire. La Ministre Simonet souhaitait qu’il y ait des programmes officiels pour les cours de religion. Mais elle s’est heurtée à la tradition constitutionnelle du pays qui ne le permet pas puisque il y a une autonomie des chefs de culte. En 2013, un référentiel partiellement commun a toutefois été élaboré par les chefs de culte et des inspecteurs. S’il est assez réduit, ce référentiel abordait trois grandes compétences interconvictionnelles. « On a des textes super ? Qui sont appliqués, mais qui ne sont pas légaux, car non reconnus par le gouvernement  » constate Paul Verbeeren. Cette dimension transversale entre les diverses religions était déjà en gestation. »

Caroline Sagësser complète : « C’est une vielle idée que le contenu des cours de religion soit contrà´lé par les pouvoirs publics, mais on n’est jamais arrivé à mettre en oeuvre ce contrà´le car ce n’est pas notre tradition constitutionnelle. Par ailleurs, c’est quelque chose qui est largement symbolique. Dans l’enseignement officiel on a des cours à priori plus engagés ; maintenant on a aussi des cours de religions minoritaires qui présentent un visage très différents. Sauf à Bruxelles, où le cours de religion islamique est le plus suivi dans l’enseignement officiel (52 %). Là on n’a pas du tout une formation adéquate de tous les enseignants. On n’a pas été à la hauteur des enjeux. On a créé des cours de religion islamique à la fin des années septante, ce qui était une très belle preuve d’ouverture à la diversité. Mais on n’a pas prévu les formations. Alors que pour être professeur de religion catholique il y a un parcours de formation reconnu. C’est plus problématique avec les cours de religions minoritaires à l’échelle de la FWB, c’est-à -dire les cours de religion islamique, protestante, orthodoxe et israélite. Étant entendu que le cours de religion anglicane n’est pas organisé. On a un déficit de formation au niveau de ces cours et de transparence au niveau des programmes. C’est moins grave pour le cours de religion protestante qui est bien structuré, même si le protestantisme officiel est constitué de deux branches en Belgique, l’une plus progressiste et l’autre plus évangélique. Dans cette dernière on peut avoir quelque problème de formation ou de valeurs propagées par ce cours. »

Reste qu’en menaçant l’existence des cours de religion, la motivation à se former risque bel et bien de s’amenuiser. C’est ce que craint l’inspecteur : « Dans le libre, ce sont trois cent heures de formation qui sont exigées, mais ces 300 h sont suivies par des profs déjà en place pour avoir les titres requis et être nommés. Avec la pression actuelle sur l’avenir des cours de religion, on va perdre de plus en plus d’étudiants qui vont se dire : –˜Pourquoi m’investir le mercredi ou le samedi pour un cours que je ne donnerai peut-être plus ?...’  ».

Toucher aux contenus et à la formation restera donc délicat. Pourtant, l’enjeu est important. Et il intervient dans un climat de méfiance et de dénigrement. Car les contenus sont rarement neutres, y compris ceux de l’EPC, car comme le souligne Paul Verbeeren : « C’est clairement un cours qui fait des choix. En parcourant la bibliographie, on trouvera des dizaines de noms de philosophes qui sont cités... et comme par hasard, il n’y a plus de philosophes cités entre le V et XVIIe siècle, puisqu’ils étaient chrétiens ! Donc certains estiment que ce ne sont pas des philosophes...  ».
Ambiance !

NEUTRALITÉ OU LAà CITÉ ?

Le début 2022 sera-t-il marqué par un relent de guerre scolaire autour des convictions et du cours de religion, ou cela se tassera-t-il en douce ? Dans une société qui prà´ne volontiers la culture de l’effacement des croyances et des convictions, il n’est sans doute pas inutile non plus de faire le lien entre ce débat et celui de l’inscription de la laà¯cité dans la Constitution, en remplacement du principe de neutralité.

« Ce qui m’étonne, c’est que l’on n’a pas l’impression que ce lien est fait, estime caroline Sagësser. Alors qu’il est évident. On a eu des propositions de modification de la Constitution pour y introduire le principe de laà¯cité qui ont été débattues au Parlement fédéral. Tout se passait comme si on n’envisageait pas que l’introduction de ce principe de laà¯cité conduise à la fin –“ ou à tout le moins, au bouleversement –“ du système de financement des cultes et à la fin de la présence des cours de religions reconnues dans l’enseignement officiel. Alors que cela m’apparaissait comme une conséquence induite. Mais là , le débat était vraiment focalisé sur la question de la laà¯cité de l’État et de la possibilité d’avoir une base légale pour interdire le port de signes convictionnels. J’ai l’impression que c’était cela qui avait pris le dessus. Je m’étonnais de ne pas voir plus souvent mentionné ce lien avec les cours de religion. Pour moi, le lien existe et est évident. Mais politiquement, pour l’instant, je ne le perçois pas. »

Cathy VERDONCK et Stephan GRAWEZ

COURS DE RELIGION : POUR QUOI FAIRE ?


Étymologiquement, le mot religion signifie relier. Pour Chantal Docquier, qui a enseigné le cours de religion dans l’enseignement secondaire et supérieur pédagogique : « La religion a donc pour rà´le de tisser des liens, à être en relation avec les autres. Mais religion signifie aussi relire. » Pour cette enseignante, la relecture de textes fondateurs de la Bible est toujours d’actualité. « Ces textes permettent de regarder le monde qui nous entoure avec un regard neuf. Ils sont accessibles à tous et ce qu’ils racontent est universel : ils parlent de nous, de notre vie, de nos doutes... De plus, ces récits structurent l’être humain et permettent une identification à des personnes, à des « modèles » ce qui est fondamental dans la construction de l’enfant. »

Actuellement, cette enseignante retraitée est une des rédactrices du nouveau programme pour le cours de religion dans l’enseignement libre catholique. « Ce cours offre une précieuse mémoire pour la construction de l’être humain aujourd’hui. Dans une société de l’immédiat, matérialiste, consumériste, la religion ouvre aussi à un au-delà , à une transcendance, à l’Autre. Elle relie l’humain à son intériorité, à la spiritualité dont notre monde a un cruel besoin. Le cours de religion rend intelligible le monde culturel : les oeuvres d’art par exemple. Ce cours est aussi au carrefour de plusieurs disciplines : l’histoire, la géographie, l’art et la langue française. Il amène l’élève à dépasser le sens premier afin de comprendre les symboles, les rites, les textes bibliques. »

Pour Chantal Docquier, le cours de religion permet une recherche de sens. Il aide à comprendre ce que signifie le vivre ensemble, les valeurs et la notion d’amour. Pour elle, en effet, « la Bible est une déclinaison du verbe –˜aimer’ et du comment aimer ». A la différence du cours de philosophie, le cours de religion non seulement sollicite la tête mais aussi le coeur des jeunes. « Il nourrit leur jugement, leur identité, leur être intérieur  ». Il a une vision globale de la personne.

L’enjeu aujourd’hui est de savoir comment en parler de manière à rejoindre la personne. Le texte biblique reste moderne à condition de réfléchir à la manière de l’aborder avec les élèves à l’école. Encore faut-il donner au fait religieux une place dans l’enseignement. Chantal Docquier rappelle que « la Déclaration Universelle des droits de l’homme garantit à chacun la liberté de pensée, de conscience et de religion. C’est donc un droit fondamental pour chacun. »

(C.V.)

Cet article a fait l’objet d’une publication courte dans le Numéro de Février 2022 du magazine mensuel L’APPEL.
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