Une expeÌ rience de laÌ‚cher-prise, de sobrieÌ teÌ heureuse et de bonheur. C’est celle veÌ cue par un couple, Pascale Sury, reporter-photographe, et Jonathan Bradfer, journaliste aÌ€ la RTBF, dans leur tour du globe en trois cent soixante-cinq jours.
Il faut du courage pour prendre la route, quitter ses certitudes et son confort et aller aÌ€ la rencontre d’inconnus. C’est pourtant le deÌ fi que se sont lanceÌ Jonathan Bradfer et Pascale Sury lorsqu’en septembre 2017, ils ont entameÌ un tour du monde qui a dureÌ un an. Ils ont tout vendu et se sont mis en marche. Pour lui, l’obstacle le plus difficile aÌ€ franchir eÌ tait l’attachement mateÌ riel aÌ€ sa maison.
« Il a fallu laÌ‚cher prise par rapport aÌ€ cela, confie-t-il. Et apreÌ€s, quand on l’a fait, il est incroyable de se dire : mais pourquoi y accordais-je autant d’importance ? » Son eÌ pouse ajoute : « J’ai aussi quitteÌ ma zone de seÌ curiteÌ . Pour moi, la maison est quand meÌ‚me la seÌ curiteÌ . Nous allons eÌ‚tre nomades, et il faut trouver sa propre seÌ curiteÌ aÌ€ l’inteÌ rieur de soi, et pas dans le lieu ouÌ€ l’on se trouve. MeÌ‚me lorsqu’on est en danger dans certaines reÌ gions du monde. »
LA CONSTRUCTION D’UN PROJET.
Jonathan Bradfer et Pascale Sury se sont rencontreÌ s lors de leurs eÌ tudes aÌ€ l’IHECS (Institut des Hautes EÌ tudes des Communications Sociales). Lui est devenu journaliste aÌ€ la RTBF, elle, photographe-reporter. ArriveÌ s dans la quarantaine, ils ont reÌ aliseÌ combien leur vie professionnelle les seÌ parait. Ils eÌ taient devenus paralleÌ€les. La notion de couple fait donc partie de leur deÌ marche de voyage. DeÌ jaÌ€, en 2014, ils sont partis quelques mois en touristes. Mais c’est en 2016, lorsque Pas- cale se trouvait aÌ€ Hong Kong, que Jonathan s’est dit preÌ‚t pour un peÌ riple d’un an.
Ce projet, il l’a d’abord construit seul avec la RTBF, puis son eÌ pouse l’a inteÌ greÌ , afin qu’il soit identifieÌ au couple plutoÌ‚t qu’aÌ€ un preÌ sentateur teÌ leÌ . Neuf mois de preÌ paration ont eÌ teÌ neÌ cessaires avec, dans la dernieÌ€re ligne droite, une grande fatigue due parfois aÌ€ des lourdeurs administratives. Rien n’est vraiment preÌ vu en Belgique pour les nomades provisoires qui ne souhaitent plus avoir de maison. Car il faut bien se domicilier quelque part... meÌ‚me si l’on n’y reÌ side pas.
Ils estiment que cette expeÌ rience a fait grandir leur couple. Aujourd’hui, ils se contentent de treÌ€s peu et se sentent libeÌ reÌ s, inspireÌ s par le livre de Pierre Rabhi La sobrieÌ teÌ heureuse.
Pascale raconte qu’elle n’a plus envie de s’alourdir de tant de choses. Ils savent ce qu’ils ne veulent plus : eÌ‚tre toute la journeÌ e devant un ordinateur, ne pas bouger, ne pas pouvoir eÌ‚tre aÌ€ l’air, libres, creÌ atifs. Tout vendre a eÌ teÌ pour eux une libeÌ ration. Moins on posseÌ€de, moins on a de tracas et plus on peut s’enrichir du moment preÌ sent, sortir de la socieÌ teÌ de consommation, prendre du recul, de la distance et de la lenteur.
MARCHER VERS SOI.
La marche, si petite soit-elle, invite aÌ€ prendre de la distance par rapport au quotidien. « C’est un pouvoir de transformation, parce que je pense que le voyage, c’est marcher vers un ailleurs, mais aussi vers soi. On apprend beaucoup de nous-meÌ‚mes, d’un couple, en eÌ tant scotcheÌ aÌ€ deux dans de petits espaces. Et on apprend aÌ€ vivre avec l’essentiel », commente Jonathan. Tous deux connaissent deÌ sormais la puissance du voyage. « DeÌ€s nos premiers pas de bourlingueur, nous avons deÌ couvert sa force de questionnement, de mise aÌ€ distance, de luciditeÌ qu’il ameÌ€ne sur la vie quotidienne, preÌ cise-t-il. Avec, sur le dos, toute sa vie compacteÌ e dans un sac de quinze kilos, plus dix pour chacun de mateÌ riel technique, le voyage rapproche de l’essentiel, fait grandir, offre une meilleure compreÌ hension du monde et de soi-meÌ‚me. De nos peÌ reÌ grinations, on l’espeÌ€re, jailliront des valeurs fortes et essentielles pour inspirer le futur lecteur du livre que nous preÌ parons et reÌ enchanter notre socieÌ teÌ qui semble parfois un peu aÌ€ bout de souffle. »
La spiritualiteÌ est preÌ sente dans leur peÌ riple, mais davantage comme une reÌ flexion sur les valeurs, sur le mode de vie, que dans une conception religieuse. Sans eÌ‚tre bouddhistes, ils se sentent proches du bouddhisme. Ils sont aÌ€ la recherche de ce qui est juste, qui fait sens, de ce dont ils ont besoin, plutoÌ‚t que de ce dont ils ont envie. L’humain et la nature ont pris aussi une place preÌ dominante. Pascale se souvient de ces douze jours de progression, par moins trente-cinq degreÌ s, sur un fleuve geleÌ dans le nord de l’In- de, vers la valleÌ e du Zanskar isoleÌ e en hiver par la neige et les glaces. Ils voulaient faire cette marche, car des gens vivent au bout de ce fleuve et doivent faire cent cinquante kilomeÌ€tres aller-retour pour se ravitailler aÌ€ la capitale du Ladakh. C’eÌ tait difficile physiquement, mais passionnant de partager un moment de vie avec leur guide et la population chez qui ils ont parfois logeÌ . Pourtant, avec le reÌ chauffement climatique, ce fleuve deÌ geÌ€le et rend le voyage plus compliqueÌ .
SINISTROSE EUROPEÌ ENNE.
ApreÌ€s ses quatre mois de voyage en 2014, Pascale Sury a deÌ missionneÌ de l’ONG qui l’employait et a suivi un cycle de formation pour creÌ er son propre travail associant ses deux passions : le voyage et la photo. Elle veut se focaliser sur les choses positives, afin de montrer les beauteÌ s de la planeÌ€te, de teÌ moigner des projets d’avenir constructifs et d’aller aÌ€ la rencontre de personnes inspirantes. Le monde va mal, certes, mais il est riche de nombreuses initiatives positives.
Jonathan Bradfer confirme qu’il existe une tendance vers un journalisme appeleÌ « de solution » ou « constructif », qui l’inteÌ resse depuis longtemps, bien avant le tabac du film Demain. Il ne faut pas s’arreÌ‚ter au constat de la mauvaise santeÌ du monde, sinon cela bloque tout espoir, toute eÌ nergie. Partout, des innovations et des creÌ ations inteÌ ressantes voient le jour, parfois mises en place par des gens sans formation particulieÌ€re. De retour en Belgique, tous deux ont le sentiment que la sinistrose est plus europeÌ enne que mondiale.
Un ouvrage sortira lors de la prochaine Foire du Livre de Bruxelles et Pascale et Jonathan entament, deÌ€s janvier 2019, une tourneÌ e de confeÌ rences intituleÌ e Un monde positif. L’histoire d’un couple parti aÌ€ la rencontre de vingt per- sonnes inspirantes dans vingt destinations sur la planeÌ€te. Ils ont eÌ galement un documentaire en preÌ paration avec la RTBF. S’ils ne connaissent pas le petit livre de Christian Bobin L’homme qui marche, ils ont bien l’intention de le lire. L’auteur y deÌ crit le Christ comme un homme marchant sur un territoire certes limiteÌ , mais ouvert au monde avec une densiteÌ humaine incroyable. Et il y a quelque chose de cette nature dans leur propre marche. â–
Thierry MARCHANDISE