Vous êtes ici: Archives / Numéros parus / N°425

Jean-Jacques CLOQUET :« MA VALEUR FONDAMENTALE, C’EST L’HUMAIN »

Empathie. Tous ceux qui ont un jour croiseÌ la route de Jean-Jacques Cloquet s’en sont rendu compte : sa vie professionnelle, l’ancien joueur du Sporting de Charleroi, passeÌ par Solvay et l’aeÌ roport de Charleroi, l’a conduite sans jamais se deÌ partir de sa dimension empathique. Son arriveÌ e l’an dernier aÌ€ Pairi Daiza constitue pour lui un nouveau deÌ fi.

Cliquez pour télécharger l’article en PDF

–” Votre parcours est fortement lieÌ au Hainaut. Est-ce un hasard ou une volonteÌ de votre part ?
–” J’aime ma reÌ gion. Je suis neÌ aÌ€ l’hoÌ‚pital de Jolimont, aÌ€ La LouvieÌ€re, et j’ai habiteÌ pendant onze ans aÌ€
Houdeng-Goegnies. Mon peÌ€re travaillant aux Ateliers de construction eÌ lectrique de Charleroi (ACEC), on a deÌ meÌ nageÌ dans le sud de Charleroi. J’ai fait mes eÌ tudes aÌ€ Mons, j’ai joueÌ au Sporting et j’ai travailleÌ chez Solvay. Je suis preÌ sident des Lacs de l’Eau d’Heure, j’ai dirigeÌ l’aeÌ roport de Charleroi et aujourd’hui, je suis aÌ€ Pairi Daiza. Je suis une sorte d’ambassadeur du Hainaut, et j’en suis fier. J’ai sept enfants, et mon combat, c’est pour ceux qui suivent. Me dire « je vais avoir un grand coffre-fort » ne m’inteÌ resse pas. Mon inteÌ reÌ‚t est de transmettre. AÌ€ l’aeÌ roport, avec mes eÌ quipes –“ je ne parle jamais au « je » -, nous avons deÌ veloppeÌ un business qui a geÌ neÌ reÌ en dix ans quasiment cinq mille emplois directs, indirects et induits. AÌ€ Pairi Daiza, on est dans la meÌ‚me mouvance, on veut faire de ce parc le plus beau du monde –“ il l’est deÌ jaÌ€ d’Europe. Fameux challenge ! Et l’on voudrait que les Lacs de l’Eau d’Heure deviennent un centre autour duquel les gens rayonnent, aillent visiter Chimay, freÌ quentent les restaurants, etc. Le tourisme eÌ conomique est un atout majeur pour le Hainaut, il permet des creÌ ations d’emplois. Tout cela reÌ pond vraiment aÌ€ une demande et aÌ€ un besoin.

–” Vous auriez pu partir aÌ€ l’eÌ tranger ?
–” Chez Solvay, j’aurais pu aller en Thaïlande, comme certains de mes colleÌ€gues. J’ai fait le choix de rester dans ma reÌ gion, il y a tellement de choses aÌ€ faire ici ! Sans jamais m’engager en politique, meÌ‚me si on me l’a proposeÌ , et meÌ‚me si on m’a tour aÌ€ tour colleÌ une eÌ tiquette chreÌ tienne, socialiste ou libeÌ rale. J’ai eÌ normeÌ ment d’estime pour ceux qui en font, c’est souvent ingrat. J’ai toujours dit au monde politique que je me battrais sans cesse pour des enjeux publics et justes. Si j’ai des coups de gueule, ce n’est pas pour faire mal, mais pour dire que c’est injuste.

–” Vous accordez une grande importance aÌ€ la valeur travail...
–” Pour moi, l’activiteÌ eÌ conomique est fondamentale. Les gens doivent eÌ‚tre en activiteÌ , ne serait-ce que pour avoir du beurre aÌ€ mettre sur leurs tartines. Mais aussi psychologiquement, pour se sentir utiles. Je ne suis pas un extraterrestre, juste un gars qui s’engage pour sa reÌ gion et qui travaille. Chacun a le devoir de s’investir. Et on peut toujours progresser. Celui qui croit tout savoir n’a rien compris. Aux ingeÌ nieurs aÌ€ qui je donnais des diploÌ‚mes, je leur demandais de regarder ce qui eÌ tait eÌ crit au verso. Ils eÌ taient un peu perturbeÌ s car la page eÌ tait blanche. Je leur disais alors que ce document prouvait qu’ils eÌ taient capables d’apprendre. Toute leur vie, ils vont apprendre.

–” Vous avez l’impression d’eÌ‚tre un patron atypique ?
–” Si je le suis, c’est sur le coÌ‚teÌ humain. Je n’ai pas de probleÌ€me avec ceux qui gagnent treÌ€s bien leur vie s’ils ont bien reÌ ussi. Mais ceux qui se la « peÌ€tent » de trop, ce n’est pas mon truc. Et il ne faut oublier personne dans la reÌ ussite. Ma valeur fondamentale, c’est l’humain. Beaucoup de gens disent que je suis trop gentil, certains m’appellent le « gourou du bien-eÌ‚tre ». Je m’en fiche, car ça donne des reÌ sultats. Toute personne, aÌ€ son niveau, a quelque chose aÌ€ apporter aÌ€ son entreprise. C’est cela avoir de la consideÌ ration. Et derrieÌ€re le retour sur cette consideÌ ration, on trouve un absenteÌ isme treÌ€s faible –“ trois pour cent -, l’absence de greÌ€ve, la fierteÌ d’appartenance, etc. L’aeÌ roport de Charleroi est celui qui a la meilleure ponctualiteÌ au monde. Un ensemble de personnes participe aÌ€ cette reÌ ussite.

–” Ces valeurs humanistes, vous les tenez de votre enfance ?
–” Oui, je le pense, meÌ‚me si c’est aussi une question d’ADN, et j’ai celui de l’eÌ motionnel. Mes deux grands-peÌ€res appartenaient aÌ€ des milieux treÌ€s diffeÌ rents : l’un eÌ tait un grand ponte dans le groupe Boël, l’autre eÌ tait ouvrier et deÌ leÌ gueÌ syndical. On m’a toujours fait comprendre l’importance de l’humain, le respect de l’autre.

–” La religion eÌ tait-elle preÌ sente ?
–” J’ai eu une eÌ ducation religieuse, j’ai eÌ teÌ enfant de choeur. Puis j’ai moins pratiqueÌ , je n’ai pas eÌ teÌ d’accord sur tout. Mais au-delaÌ€ de la religion, quelle qu’elle soit, ce sont les valeurs qui priment.

–” Pourquoi avez-vous choisi des eÌ tudes d’ingeÌ nieur civil ?
–” J’eÌ tais treÌ€s fort en math et en physique, et mon peÌ€re avait fait ces eÌ tudes-laÌ€. Elles apprennent aÌ€ deÌ cortiquer les probleÌ€mes et aÌ€ trouver des solutions, ce qui me plait. Cela me convenait bien, ça m’a donneÌ une meÌ thodologie face aux probleÌ€mes. Avec le recul, je pense pourtant que ce n’eÌ tait peut-eÌ‚tre pas des eÌ tudes pour moi, je ne suis pas quelqu’un qui travaille dans un bureau d’eÌ tudes.

–” Que vous a appris le football que vous avez pratiqueÌ au Sporting de Charleroi, puis aÌ€ La LouvieÌ€re, tout en poursuivant vos eÌ tudes ?
–” Ce que j’en retiens, c’est l’esprit d’eÌ quipe. Le foot posseÌ€de plusieurs aspects. Tout d’abord, on forme une eÌ quipe et on se respecte. J’avais la chance d’eÌ‚tre aÌ€ l’universiteÌ , tandis que d’autres ne savaient ni lire ni eÌ crire. Ensuite, il faut toujours se remettre en question. Ce n’est pas parce que l’on gagne une fois que l’on va gagner la fois suivante. Et inversement, ce n’est pas parce que l’on perd que c’est la fin du monde. En
entreprise, c’est la meÌ‚me chose. Ce n’est pas parce que tu es face aÌ€ un probleÌ€me qu’il n’existe pas de solutions. AÌ€ mes collaborateurs qui viennent avec un probleÌ€me, je leur demande de me montrer qu’ils ont eÌ tudieÌ des solutions. Si ce ne sont pas les bonnes, ce n’est pas grave, ils ont fait l’effort d’en chercher.

–” Vous n’avez jamais penseÌ devenir joueur professionnel ?
–” Je n’eÌ tais pas une vedette, j’eÌ tais un besogneux, je faisais ce qu’il fallait faire, aÌ€ ma place. Et puis, vers vingt- et-un ans, j’ai eu le genou peÌ teÌ et je n’ai pas joueÌ pendant huit mois, me rendant compte que je n’eÌ tais plus grand chose. D’un autre coÌ‚teÌ , mon peÌ€re m’a obligeÌ de terminer mes eÌ tudes. Je ne le regrette pas : lorsque ça allait moins bien dans mes eÌ tudes, le sport me libeÌ rait l’esprit, et vice-versa. C’eÌ tait un bel eÌ quilibre. Mais pas facile, j’avais le temps de ne rien faire d’autre, d’aller au cineÌ ma, dans les museÌ es. D’ouÌ€ ma frustration au niveau culturel.

–” En 2003, vous eÌ‚tes chasseÌ du Sporting de Charleroi, dont vous eÌ tiez le directeur geÌ neÌ ral depuis un an. Et en 2007, la CaroloreÌ gienne, une socieÌ teÌ de logements sociaux ouÌ€ vous eÌ‚tes directeur technique et qui est secoueÌ e par des scandales politiques dont vous n’eÌ‚tes en rien responsable, vous met aÌ€ son tour dehors. Comment vivez-vous ces eÌ pisodes ?

–” Tu perds confiance en toi, tu ne sais pas ce qui t’arrive. Et dans ces moments-laÌ€, ton cercle relationnel reÌ treÌ cit. Heureusement, tu as ta famille, des amis fideÌ€les et d’autres qui surviennent auxquels tu ne t’attendais pas. J’en retire quatre messages : la vie n’est pas un long fleuve tranquille ; on peut toujours rebondir ; il faut croire en l’Homme avec un grand H ; et il faut eÌ‚tre courageux et avoir des valeurs. Pour la CaroloreÌ gienne, j’aurais preÌ feÌ reÌ qu’on m’explique pourquoi on ne voulait plus de moi, plutoÌ‚t que de parler de surqualification. MeÌ‚me mes enfants se demandaient ce qui se passait. C’eÌ tait treÌ€s dur. Le personnel a fait greÌ€ve pour moi, mais je lui ai dit que cela ne servait aÌ€ rien.

–” Comment eÌ‚tes-vous arriveÌ chez BSCA, la socieÌ teÌ qui geÌ€re l’aeÌ roport de Charleroi ?
–” Fin 2007, on m’a demandeÌ de m’occuper du non aeÌ rien et de l’organisationnel. Puis, quelques mois plus tard, des ressources humaines, ce qui eÌ tait un peu ma tasse de theÌ , meÌ‚me si ce n’eÌ tait pas ma speÌ cialiteÌ . Cela reÌ pondait aÌ€ un besoin de recreÌ er un climat d’inteÌ ressement, de consideÌ ration. En 2009, j’ai eÌ teÌ deÌ signeÌ comme directeur geÌ neÌ ral faisant fonction, sans postuler au poste. Les mois passaient, j’apprenais le meÌ tier et je suis devenu le CEO fin 2010. Je n’ai donc poignardeÌ personne. On m’a treÌ€s vite mis dans un roÌ‚le de chef d’orchestre. J’ai formeÌ une dream team composeÌ e de gens beaucoup plus forts que moi dans les diffeÌ rents domaines. Et toujours avec une vision aÌ€ moyen et long terme. En veillant aÌ€ preÌ parer le personnel et les infrastructures pour qu’ils soient capables de faire face aux eÌ volutions.

–” Aujourd’hui, l’avion est de plus en plus remis en cause aÌ€ cause de la pollution qu’il engendre...
–” Cela fait partie des risques qu’une entreprise doit mesurer, il faut anticiper. Que va-t-il se passer dans les trois-cinq ans ? Probablement, les courtes distances vont souffrir, on se recentra sur les long-courriers.

–” Le titre de « manager de l’anneÌ e » reçu en 2018, vous l’avez aussi veÌ cu comme une revanche ?
–” Je ne parlerai pas de revanche, meÌ‚me si, aÌ€ certains moments... Ce titre a eÌ teÌ treÌ€s inspirant pour moi parce que l’entreprise ne deÌ gageait pas des reÌ sultats extraordinaires et que je la quittais. Cela m’a donneÌ confiance dans mon type de management. Et quand je vois le nombre de confeÌ rences auxquelles je suis inviteÌ –“ jusqu’aÌ€ trois par semaine ! -, je me rends compte que le message est capteÌ . Beaucoup de gens me demandent de venir expliquer dans leur entreprise ma manieÌ€re de faire. La jeune geÌ neÌ ration a besoin de ça. Le bien-eÌ‚tre du personnel, ce n’est pas uniquement de l’argent. C’est l’inteÌ reÌ‚t qu’on lui porte, sa participation au deÌ veloppement de l’entreprise et la peÌ renniteÌ de celle-ci, la flexibiliteÌ , un meilleur ratio entre vie professionnelle et vie priveÌ e, etc. Et si une partie des gains reviennent aussi aux employeÌ s, c’est treÌ€s bien. Je veille aÌ€ toujours privileÌ gier l’inteÌ reÌ‚t geÌ neÌ ral et je recherche autant que possible le consensus, meÌ‚me si je dois aussi trancher. J’essaie alors de prendre la deÌ cision la plus juste possible en expliquant toujours pourquoi.

–” Et pourtant vous avez quitteÌ l’aeÌ roport...
–” Dans une interview, j’ai dit eÌ‚tre attentif aÌ€ toute proposition. Et EÌ ric Domb [fondateur et coproprieÌ taire de Pari Daiza] m’a proposeÌ de le rejoindre. Le plus dur a eÌ teÌ de quitter la famille que j’avais creÌ eÌ e. Au parc, j’apprends tous les jours. EÌ ric Domb ne fait pas de cadeau, il est treÌ€s exigeant car il vise l’excellence. Mon choix de vie est de continuer aÌ€ grandir, ce n’est pas un probleÌ€me pour moi de me remettre en question. J’aime relever des deÌ fis.

–” Quelle est, pour vous, l’importance de la famille ?
–” Elle est primordiale. J’essaie modestement de donner la qualiteÌ , car la quantiteÌ n’est pas toujours laÌ€, j’ai beaucoup d’activiteÌ s. J’organise deux types de repas : un familial le dimanche soir avec des frites et fricadelles, et un autour des boulettes sauce tomate de ma meÌ€re ouÌ€ viennent des gens issus d’horizons treÌ€s diffeÌ rents. Je mets ainsi en contact des personnes qui ne se connaissent pas. J’ai eÌ teÌ eÌ leveÌ dans ce genre d’esprit. Je suis aussi parrain de GeÌ neÌ ration C, des jeunes qui ont creÌ eÌ un club d’affaires pour changer les choses aÌ€ Charleroi.

–” Vous eÌ‚tes optimiste pour l’avenir ?
–” AÌ€ fond ! Certains disent d’ailleurs que je suis un ideÌ aliste. Et si j’ai des moments de relaÌ‚chement, ils ne durent jamais longtemps. Je repars, car il y a toujours des gens qui veulent construire avec toi. Et il paraiÌ‚t que je suis assez inspirant. â– 

Didier ALBIN, Jean-Jacques Cloquet. Grandir et faire grandir, Gerpinnes, Kennes, 2019. Prix : 19,90€. Via L’appel : -5% = 18,91€.

Propos recueillis par Michel PAQUOT

Mot(s)-clé(s) : Le plus de L’appel
Documents associés
Partager cet article
Vous êtes ici: Archives / Numéros parus / N°425