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Religion et coronavirus : Et dieu dans tout ça ?

Certains l’accusent d’avoir reÌ pandu la pandeÌ mie. D’autres le prient de les eÌ loigner du fleÌ au. La plupart l’ignorent, l’urgence est ailleurs. Un Dieu qui punit, un Dieu qui libeÌ€re. La Bible n’esquive
pas les questions que suscite une telle trageÌ die. On y deÌ couvre des pistes de sens pour une spiritualiteÌ en temps de confinement. AÌ€ condition de la lire autrement.

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« Une bonne petite guerre et on les reverra », disaient les anciens en se lamentant devant les bancs vides de l’eÌ glise.
Voici qu’un « guerre » eÌ clate contre un ennemi invisible, mais mais les eÌ glises, les temples, les mosqueÌ es, les synagogues sont fermeÌ s. Les religions ne pourront donc tirer parti des peurs pour se refaire une santeÌ . Les croyants sont confineÌ s dans leur maison.

Pourtant, certains d’entre eux ont continueÌ de se rassembler, au meÌ pris des reÌ€gles sanitaires et de confinement. On a pointeÌ du doigt le grand rassemblement eÌ vangeÌ lique de mi-feÌ vrier aÌ€ Mulhouse comme responsable de la propagation de l’eÌ pideÌ mie dans la reÌ gion du Grand Est et au-delaÌ€. Durant une semaine, les fideÌ€les pentecoÌ‚tistes se sont embrasseÌ s, enlaceÌ s, donneÌ la main. C’eÌ tait avant l’imposition des reÌ€gles de distanciation physique. Une eÌ tude reÌ cente reÌ veÌ€le que la plupart d’entre eux ont eÌ teÌ infecteÌ s sur place. Soit entre deux mille et deux mille cinq cents personnes qui sont ensuite rentreÌ es chez elles dans diffeÌ rents coins de France, et aussi en Corse et en Guyane et dans les pays limitrophes.

En Iran, les ayatollahs ont longtemps refuseÌ la fermeture des lieux saints au nom de l’immuniteÌ octroyeÌ e par Allah aux peÌ€lerins. Dans la banlieue de Tel-Aviv, le quartier ultra-orthodoxe de Bneï Brak s’est retrouveÌ encercleÌ par l’armeÌ e : les deux cent mille juifs qui y vivent refusaient de se soumettre aux lois de l’EÌ tat au nom de la Thora. Ils font en effet davantage confiance aÌ€ leurs rabbins qui leur serinent que la pratique religieuse et l’eÌ tude biblique proteÌ€gent de tous les maux. ReÌ sultat : deÌ but avril, septante-cinq mille d’entre eux eÌ taient infecteÌ s. Ironie de l’histoire, ils se re- trouvent maintenant "emprisonneÌ s– comme les Palestiniens de Gaza, non loin de laÌ€ !

ASSURANCE DIVINE

La Bible regorge de reÌ cits de catastrophes, d’eÌ pideÌ mies, de famines, de guerres, de tyrannies cruelles et sanglantes dans lesquelles Dieu est impliqueÌ . « Dans le monde ouÌ€ la Bible est neÌ e, ce qui est incompreÌ hensible pour l’humain est neÌ cessairement duÌ‚ au divin, explique l’exeÌ geÌ€te AndreÌ WeÌ nin. Devant ce genre de pheÌ nomeÌ€nes, les gens s’interrogent et cherchent des reÌ ponses dans la religion. » Pour interpreÌ ter ces textes aujourd’hui, il s’agit donc de prendre en compte le fait qu’ils ont eÌ teÌ eÌ crits dans un monde preÌ scientifique. Ce que des courants religieux fondamentalistes ne font pas. Par-delaÌ€ le deÌ calage culturel, les reÌ cits bibliques sont pourtant riches de sens pour leurs lecteurs. AÌ€ condition de les lire autrement.

Les premiers chapitres de l’Exode, un des livres de la Bible, racontent les peÌ ripeÌ ties de la libeÌ ration d’un peuple qui s’eÌ mancipe du pouvoir tyrannique du pharaon d’ Égypte. On y relate notamment la mort des premiers-nés égyptiens frappés par un fléau que le récit attribue au refus entêté de Pharaon de laisser partir le peuple qu’il opprime. « Quand un despote
va jusqu’au bout de sa folie meurtrieÌ€re pour garder le pouvoir, cela se termine toujours par tuer l’avenir de la nation elle-meÌ‚me, commente l’exeÌ geÌ€te. La mort des premiers-neÌ s signifie en fait que le pharaon qui s’obstine dans sa volonteÌ de tout controÌ‚ler en vient aÌ€ priver son peuple de tout avenir.
 » Ce reÌ cit deÌ - construit les meÌ canismes qui font qu’un dictateur finit tou- jours par entraiÌ‚ner une partie de son peuple dans sa chute. L’histoire des dictatures au sieÌ€cle dernier le montre assureÌ ment. Il ne faudrait pas que la crise du covid-19 renforce une socieÌ teÌ de la surveillance et du controÌ‚le.

PORTE DE SORTIE

Pour eÌ chapper aÌ€ la dixieÌ€me plaie d’EÌ gypte, les HeÌ breux se confinent dans leur maison, derrieÌ€re leur porte marqueÌ e du sang d’un agneau. « Ils sont proteÌ geÌ s parce qu’ils sont en- gageÌ s. Le sang de l’agneau qu’ils mettent sur leurs portes est le signe de leur engagement dans l’Alliance et de leur rupture avec l’ideÌ ologie reÌ pressive de la religion eÌ gyptienne  », explique le rabbin Rivon Krygier de la synagogue Adath Shalom aÌ€ Paris.

Le peuple heÌ breu se sauve de la folie meurtrieÌ€re de Pharaon. Mais pourquoi du sang d’agneau sur les linteaux de la porte ? « Cela releÌ€ve de la symbolique de l’agneau pascal, un agneau maÌ‚le d’un an sans deÌ faut, explique AndreÌ WeÌ nin. Son sacrifice signifie que l’on renonce aÌ€ quelque chose de fondamental pour l’avenir du troupeau. C’est l’inverse d’un pouvoir despotique comme celui de Pharaon qui cherche aÌ€ controÌ‚ler l’avenir : sacrifier une beÌ‚te potentiellement essentielle pour l’avenir du troupeau, et donc de ses propres biens, c’est se montrer libre de cette tentation. Mettre le sang sur les portes, c’est montrer qu’on refuse ce monde-laÌ€. VoilaÌ€ pourquoi ces gens-laÌ€ sont eÌ pargneÌ s. » Les HeÌ breux se proteÌ€gent et manifestent en meÌ‚me temps leur opposition par des gestes-barrieÌ€res vis-aÌ€-vis d’un systeÌ€me alieÌ nant. Ils quitteront l’EÌ gypte pour se lancer aÌ€ travers le deÌ sert dans une aventure dont ils ne connaissaient meÌ‚me pas l’issue.

ACCEPTER LE TRAGIQUE

Certaines conceptions religieuses interpreÌ€tent les maladies comme une punition de Dieu ou un chaÌ‚timent divin. Le rabbin ultra-orthodoxe Meir Mazuz a deÌ clareÌ que l’eÌ pideÌ mie de coronavirus constitue une punition de Dieu conseÌ cutive aÌ€ la Gay Pride. D’autres responsables religieux consideÌ€rent que le covid-19 est un fleÌ au envoyeÌ par Dieu pour punir les humains de leur immoraliteÌ . InspireÌ e par les eÌ vangiles, la foi chreÌ tienne rompt avec ce genre d’interpreÌ tation qui traiÌ‚ne encore parfois dans des teÌ‚tes, discours ou expressions comme « Qu’est-ce j’ai fait au bon Dieu pour meÌ riter ça ? ». Les textes sont nombreux ouÌ€ l’on voit JeÌ sus s’inscrire en faux par rapport aÌ€ ce lien entre
peÌ cheÌ et maladie. Il reÌ cuse ses disciples qui consideÌ€rent que la ceÌ citeÌ dont souffre un aveugle de naissance est le signe de son peÌ cheÌ ou de celui de ses parents.

Un autre passage des eÌ vangiles est riche de sens par les temps qui courent : l’affaire des GalileÌ ens massacreÌ s par Pilate, le gouverneur romain, et l’effondrement de la tour de SiloeÌ aÌ€ JeÌ rusalem qui fait dix-huit victimes. JeÌ sus refuse d’assimiler ces catastrophes aÌ€ l’intervention d’un Dieu qui veut punir. « Ce sont deux trageÌ dies, commente AndreÌ WeÌ nin. Que la responsabiliteÌ humaine soit impliqueÌ e ou non, la trageÌ die fait partie de l’existence. Et l’attribuer aÌ€ Dieu, c’est une certaine manieÌ€re de se tirer d’affaire en disant que cela ne nous concerne pas. Dans cet effondrement de la tour, comme dans le massacre perpeÌ treÌ par le pouvoir d’occupation, les gens qui sont morts n’y eÌ taient pour rien non plus. » Qu’ils soient victimes d’un accident ou de la violence reÌ pressive d’un pouvoir.

DU CONFINEMENT AÌ€ L’ATTENTE

ApreÌ€s la mort de JeÌ sus, le groupe des disciples s’est enfermeÌ
«  par peur des juifs » dans un lieu qu’ils ont verrouilleÌ . Le confinement est volontaire. « Dans cet eÌ pisode, on ne se confine pas parce que l’on est face aÌ€ un ennemi invisible dont on ne sait pas ouÌ€ et quand il peut frapper, commente AndreÌ WeÌ nin. Les disciples s’isolent et s’enferment par peur d’un ennemi identifiable qui a deÌ jaÌ€ montreÌ sa capa- citeÌ de nuire et auquel on cherche aÌ€ eÌ chapper. La peur des juifs est la peur de repreÌ sailles de la part de ceux qui ont conduit JeÌ sus aÌ€ mourir sur la croix du supplice.  » Mais le deÌ but du livre des Actes des ApoÌ‚tres reÌ veÌ€le un changement dans l’esprit des disciples : « Ce temps de confinement veÌ cu dans la peur devient un temps d’attente et d’espeÌ rance puisque JeÌ sus leur a promis la venue de l’Esprit.  » Il y a transmutation : le lieu de la peur devient celui de l’espoir. AveÌ€nement d’une PentecoÌ‚te.

Avec cette crise du covid-19, les religions se retrouvent, en- semble et partout, au pied du mur. Face aÌ€ des deÌ fis qu’elles n’ont jamais connus. C’est ineÌ dit. Certains consideÌ€rent ce temps comme un "kairos– , un moment favorable pour s’ar- reÌ‚ter, se remettre en question et reÌ fleÌ chir sur la preÌ sence des religions dans la socieÌ teÌ et l’humaniteÌ . D’autres consacrent ce temps preÌ cieux pour redeÌ couvrir les textes fondateurs et leur donner une nouveauteÌ . D’autres encore interrogent le sens des rassemblements et de la vie communautaire aÌ€ l’heure ouÌ€ les croyants sont sevreÌ s de leurs ceÌ leÌ brations et prieÌ€res communes habituelles. D’autres enfin s’accrochent encore aÌ€ ce qui pourrait devenir un passeÌ reÌ volu. â– 

Thierry TILQUIN

EÌ GLISES FERMEÌ ES, CEÌ LEÌ BRATIONS OUVERTES

Les chreÌ tiens pratiquants n’imaginaient pas se retrouver un jour sans eÌ glise, sans un lieu ouÌ€ se rassembler pour ceÌ leÌ brer l’eucharistie, feÌ‚ter les mariages, baptiser les enfants, accompagner les deÌ funts. DeÌ€s le 2 mars, les eÌ veÌ‚ques de Belgique ont inviteÌ les fideÌ€les aÌ€ ne plus se toucher ni s’embrasser lors des ceÌ leÌ brations, aÌ€ communier dans la main, aÌ€ vider les beÌ nitiers. Puis les rassemblements ont eÌ teÌ interdits, nombre d’activiteÌ s annuleÌ es, dont celles lieÌ es aÌ€ la campagne d’Entraide et FraterniteÌ . Restait une toleÌ rance pour des groupes restreints aÌ€ l’occasion d’un mariage, d’un bapteÌ‚me ou de funeÌ railles. Et puis, plus rien. Confinement aÌ€ la maison. PrieÌ€re au cimetieÌ€re avec la famille proche du deÌ funt. Difficile de faire son deuil dans de telles conditions.

En ce temps de CareÌ‚me et de PaÌ‚ques, une partie du clergeÌ s’est tourneÌ e vers les moyens de communication pour enregistrer et diffuser la messe ceÌ leÌ breÌ e tan- toÌ‚t sur un coin de table dans un studio, tantoÌ‚t dans une eÌ glise videÌ e de son assembleÌ e. Radio, teÌ leÌ , internet, Facebook en assurent le relais vers les chreÌ tiens appeleÌ s aÌ€ vivre derrieÌ€re leur eÌ cran une "communion de deÌ - sir– aÌ€ deÌ faut d’un partage eucharistique. Ce qui n’est pas sans poser question, comme le souligne le theÌ ologien Dominique Collin. « Bien que le confinement
la contraigne aÌ€ une sorte de "choÌ‚mage technique– insupportable, l’EÌ glise trouve, graÌ‚ce aux artifices de la technique, les moyens d’assurer une maintenance sans faille et sans interruption. (...) Elle se filme et restitue son image (et elle se montre sans fard comme on pensait ne plus la voir, blanche, maÌ‚le et sacerdotale).
 »

Des paroisses ont plutoÌ‚t fait le choix d’accompagner les chreÌ tiens resteÌ s chez eux en leur faisant parvenir les textes des ceÌ leÌ brations avec quelques commentaires. Dans une uniteÌ pastorale de Bruxelles, une eÌ quipe a creÌ eÌ une newsletter. Les gens s’inscrivent et reçoivent des liens vers un document "maison– qui propose une ceÌ leÌ bration domestique de prieÌ€re
accompagneÌ e de psaumes et chants. Dans une paroisse namuroise, des volontaires preÌ parent et proposent des moments de partage aÌ€ vivre chez soi en famille, avec les enfants, seul ou en couple. Un moment ouÌ€ l’on eÌ change autour de textes, ouÌ€ l’on eÌ coute une chanson, ouÌ€ l’on partage le pain en meÌ moire du Seigneur. Mo- ment creÌ atif et ouvert qui n’est ni un sacrement, ni une liturgie, ni la copie d’un rite ou d’une ceÌ leÌ bration. Que restera-t-il de tout cela apreÌ€s la leveÌ e du confinement ? Il y a de fortes chances que ce ne soit plus comme avant. (Th.T.)

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