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Tanguy et la verdure... NOTRE JARDIN EXTRAORDINAIRE S’INVITE À LA MAISON

En plein coeur de la crise de la covid, comment rester en émerveillement devant la nature et permettre aux téléspectateurs de garder un oeil ouvert sur sa beauté ? En mobilisant des milliers de reporters "dans– l’herbe !

S’il fallait trouver du positif durant le confinement, ce serait tout ce temps que les gens passent davantage chez eux. Et les observateurs avertis s’en donnent à coeur joie : jardins, terrasses, balcons sont devenus des aires prisées qui regorgent de mésanges, de pinsons, d’écureuils... Avec la formule Notre Jardin Extraordinaire, Tanguy Dumortier invite le spectateur à devenir lui-même réalisateur. Succès immédiat : une prise rapide, oserait-on écrire. « Avec le décalage entre le temps des tournages et celui de la diffusion, on n’était plus très en phase avec les préoccupations des gens et ce qu’ils commençaient à vivre avec la pandémie et le confinement  », explique l’animateur de la plus ancienne émission de la RTBF. «  J’ai aussi eu deux amis assez gravement atteints. Cela m’a inspiré. D’autres amis vivaient en appartement sans accès direct à la nature. Donc, l’idée, déjà dans l’air, trouvait une formidable occasion de se concrétiser : mobiliser ceux qui ont une terrasse, un jardin, et leur faire partager ce qu’ils voient. »
La dynamique était lancée. Notre Jardin Extraordinaire est devenu une construction participative inouà¯e : des milliers d’yeux et d’appareils photo partageant le même objectif.

TOUR DES MANGEOIRES

« C’est humainement très intéressant et cela crée un panorama de la nature qu’aucun professionnel ne saurait faire. De plus, avec un téléphone portable, on fait aujourd’hui des photos magnifiques. On s’était dit que l’on allait recevoir quelques dizaines de contributions... On en a reçu des milliers !  »
En un an, Notre Jardin Extraordinaire a proposé sept rendez-vous originaux. D’abord, durant le premier confinement, avec quatre éditions entièrement faites sur base des images fournies par les téléspectateurs. Ensuite, trois numéros plus soft. « Pour ces derniers, la proportion d’images des téléspectateurs était moins grande. Ils étaient davantage centrés sur des thèmes. On s’est lancé dans des escapades où on va voir les gens.  » Fin mars, Tanguy Dumortier enfourchait un vélo-cargo chargé de sacs de graines pour partir à la rencontre des "jardineurs– qui nourrissent les animaux. La tournée des mangeoires était lancée... « On s’adapte un petit peu et on essaye de faire sourire en restant cohérent avec notre thème. Le vélo distributeur de nourriture, c’est cela. On avait imaginé une charrette avec des chevaux et des silos à grains derrière... Mais cela devenait compliqué ! On s’est contenté du vélo. »

Fidèle au slogan « La nature est un spectacle » du Festival Nature Namur dont il assure aussi la présidence, l’animateur se veut un passeur. « En Belgique, peu de professionnels peuvent vivre de leurs films sur la nature. Par contre, depuis vingt-sept années, le FNN a créé un engouement pour les amateurs : il est un écrin pour montrer leurs images. Sur les neuf jours du Festival, la soirée la plus courue reste la soirée –˜amateur’, avec des films de maximum cinq minutes. Cela draine 800 personnes. C’est à ce Festival que j’ai montré mes premiers films » se rappelle Tanguy Dumortier. « En ressortant du spectacle, certains auront juste été distraits, d’autres auront vu quelque chose de plus profond, d’autres encore vont creuser et essayer de mieux comprendre. »

ALLUMER L’INTÉRÊT

Pour cet ancien présentateur du JT Le 12 Minutes et d’Au Quotidien de 2005 à 2010, la passion se partage. « Filmer la faune sauvage est un plaisir. Il y a un cà´té fantastique : s’approcher, bien placer les caméras, être au bon endroit au bon moment pour filmer les animaux. Là , on rentre de Finlande, on a mis douze jours pour avoir les images que l’on voulait sur les loups. Un tournage est à chaque fois un petit défi. Il faut beaucoup d’humilité parce que ce n’est pas toi qui choisis. Tu prends ce que te donne la nature. Forcément, le travail est de maximiser le potentiel de rencontre. Malgré cela, il y a des trucs qui nous échappent. L’animal sauvage est par définition...sauvage. C’est le cà´té qui me passionne le plus : cette observation de la faune sauvage, tout en la respectant, pour la magnifier et en partager les histoires.  »

Si la mobilisation des téléspectateurs a été possible, c’est parce que beaucoup partagent la même passion que Tanguy Dumortier et veulent aussi montrer leurs images, comme au Festival Nature. Notre Jardin Extraordinaire a donc démultiplié les vocations et les possibilités de diffusion.
Et les retours sont positifs. « Les plus beaux compliments que l’on reçoit viennent de gens de six à cent six ans : ’Grâce à vous je me suis intéressé, je me suis penché sur les insectes qui vivent dans mon jardin, je les nourris’, ou bien –˜j’ai fait des études de biologie parce que je regardais l’émission avec mes parents’... Nous sommes des déclencheurs ».

« Et il n’y a pas d’âges pour cela, sourit Tanguy. Une dame de 91 ans m’a écrit il y a trois ou quatre jours, en voyant une émission. Elle va reprendre une formation de guide –“nature ! »

En complément à l’émission, une page Facebook Notre Jardin Extraordinaire-RTBF publie les contributions des jardineurs-reporters. Même une dame de 87 ans, qui a vu NJE pendant le confinement, s’y est mise. Et maintenant, elle fait des photos... extraordinaires.

LA NATURE OU LA PÉTANQUE ?

Dans le rétroviseur de son vélo-cargo de la tournée des mangeoires, ce romaniste de formation aperçoit le chemin parcouru et concrétise un rêve d’enfant. «  C’est marrant parce que je retombe sur de trucs à la cave ou au grenier : quand j’avais huit ans, je faisais des petits journaux sur la nature. Aujourd’hui je concrétise ce désir de travailler dans un média consacré à la nature. C’est un boulot qui va même au-delà de ce que je pouvais imaginer. »
Même si dans la vie ordinaire du Jardin, il y a un revers à la médaille : pour avoir le plaisir de filmer aux quatre 4 coins de la planète, il faut accepter d’être cinq et six mois par an en tournage. « On est environ quinze jours par mois en déplacement. Pas facile de gérer. J’ai une famille avec deux filles et leur maman. C’est compliqué parfois, je ne les ai pas beaucoup vues grandir... même si elles sont très habituées à ce que je parte. On peut rater des étapes, mais à la fois on partage d’autres choses. De plus, la vie sociale n’est pas aisée : je ne suis pas inscrit au club de pétanque locale ou au théâtre du coin... »

C’est en 2014 que Tanguy Dumortier a pris la suite des règnes féminins d’Arlette Vincent et de Claudine Brasseur. « On raconte des histoires souvent positives. On est moins dans une phase de dénonciation des problèmes de la nature. Je ne me dirais pas journaliste, non pas que l’on occulte une partie de la réalité, mais on ne cherche pas la vérité. Ici, c’est plus une recherche, c’est une façon de transmettre des connaissances.  »

55 ANS DE « JARDIN »

A la tête de la plus ancienne émission de la RTBF (et sans doute aussi la plus ancienne émission de télé d’Europe), Tanguy Dumortier observe l’évolution du Jardin Extraordinaire, qui a parfois oscillé entre une approche plus environnementaliste ou plus naturaliste. « On a souvent le débat entre nous, car certains nous reprochent de ne pas être assez engagés. L’émission porte bien son nom, Le Jardin Extraordinaire. C’est l’émerveillement lié à la nature. Les pionniers, ce sont un réalisateur, et son épouse –“ Maryse - qui apportait les animaux en studio. Le titre reflétait le souci de montrer la nature sous son plus beau jour, même si à l’époque "le plus beau jour– consistait à prendre un animal dans sa cage et le placer devant des caméras sur un plateau de télévision... Les mentalités ont évolué, et Claudine –“ très courageusement –“ s’est lancée dans une voie plus environnementaliste qui était de plutà´t dénoncer les problèmes liés à la conservation de la nature. C’était une autre époque : la presse et les journaux télévisés s’intéressaient peu aux problèmes environnementaux, sauf lors de catastrophes. Puis, de plus en plus, les médias se sont intéressés aux problèmes environnementaux ; et donc le JE est revenu un peu sur ses origines d’émerveillement par rapport à la nature  ».

Mais le film « animalier » a aussi ses limites... « Le plus difficile est de ne pas tomber dans la facilité, de rester exigeant. Le film animalier aujourd’hui peut osciller entre –˜le ultra wild’, avec le réalisateur qui reste trois mois au même endroit, en véritable ermite ; ou bien aller vers le –˜tout fabriqué’, où l’ours que tu verras répète les gestes de l’éleveur caché derrière la caméra...Nous on part et on parle de ce que l’on voit. Si on ne voit pas l’espèce attendue, on en verra d’autres, on va décrire l’endroit, décrypter le paysage. Cette attente n’est pas très réaliste en termes de rentabilité. Pourtant, je suis indépendant, je ne peux pas revenir cinq fois en disant je n’ai rien vu... Donc, il faut rester... ne pas vouloir forcer la main, ne pas vouloir jouer plus vite que la musique. C’est une question de vérité : d’être vrai dans l’observation. »

DU PLUS INTIME

S’il est totalement investi dans le projet du JE depuis 7 années, Tanguy Dumortier n’en fait pas une affaire personnelle...
« Évidemment, l’émission est une institution... Mais ce n’est pas dur à porter » sourit-il. Le JE a existé avant moi et il subsistera après moi... Je me sens cool par rapport à cela, je ne suis pas inquiet. C’est chouette que tu sentes qu’il y a une histoire et que, ensuite, il y en aura qui auront envie de continuer ».

Avec entre trois cent cinquante et cinq cent mille spectateurs chaque dimanche, Le Jardin Extraordinaire ne cesse de se renouveler. Notamment en expérimentant une forme de participation originale, qui encourage la réelle créativité du public. Cela aussi, c’est extra !

Et s’il devait voguer vers de nouveaux projets ? Tanguy Dumortier conclut : «  Je prendrais de longues vacances....(rires). Je n’en sais rien. Peut-être que cela me plairait de rentrer dans un rapport plus intime avec les personnes sur la découverte de la nature. Ici on fait un travail médiatique, on regarde les chiffres 480.000 personnes ont regardé l’émission. On est heureux. On reçoit des courriers ? Mais on n’est pas dans la vraie rencontre. Peut-être que je rentrerais dans une dynamique d’accompagnement de groupes, découvrir des endroits. J’ai aussi une formation de guide-nature, c’est marrant parce qu’aujourd’hui je suis un peu guide-nature virtuel... Donc je ferais quelque chose de plus en prise avec l’humain, la rencontre directe. »

Stephan GRAWEZ
(Photos : Martin GODFROID/RTBF)


Cet article a fait l’objet d’une parution plus courte dans le numéro 437 - Mai 2021 du magazine mensuel L’APPEL.
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