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Une agriculture vertueuse et de qualité

Pour continuer à exister et lutter contre la grande distribution, l’agriculture qualitative cherche à se renouveler en diversifiant ses activités, en supprimant les intermédiaires et en privilégiant le circuit court. Voire en vendant directement à la ferme. Portrait de quelques agricultrices wallonnes dont la passion reste intacte, même si leur situation financière est toujours fragile.

Adieu veau, vache, cochon, couvée... Sylviane Wener n’est pas comme Perette qui voit s’en- voler ses rêves après avoir cassé son pot de lait dans la fable de La Fontaine. Si c’est bien suite à la crise du lait qu’en 2009, neuf ans après
avoir repris avec son père l’exploitation de Lutrebois, près de Bastogne, qu’elle se sépare de ses vaches laitières, cela va lui permettre de donner vie à un autre projet : créer une ferme pédagogique. La première dans la région. Pourtant, en 2016, elle arrête tout. « C’était trop difficile. J’étais seule pour m’occuper des deux fermes, la traditionnelle et la pédagogique. Et si celle-ci démarrait bien, ce n’était pas suffisant pour en vivre. » Mais ce n’est que partie remise. Fin 2021, cette fille, petite-fille et arrière-petite-fille d’agriculteurs, dont le mari est enseignant, relance La Ferme lutreboise avec une amie, Virginie Michaux qui, elle, vient de Bastogne. « On reste une ferme de production, avec quelques vaches et chèvres laitières, des poulets de chair, des poules pondeuses, des lapins fermiers. Ce sont des animaux qui conviennent aux deux types de fermes. Nous avons aussi un petit jardin pour les légumes. Et on a ouvert un magasin dans une ancienne étable où l’on vend nos produits : du lait, des glaces, et notre projet est de faire du beurre et peut-être du fromage. »

DU PIS À LA BRIQUE

Les deux amies sont bénévoles – Virginie a conservé son emploi en parallèle - et n’ont pris aucun emprunt, faisant tout sur fonds propres. Au cours de l’année, elles voient défi- ler des classes d’écoles de la région et même d’au-delà. « On apprend aux enfants que ce qu’ils ont dans leur assiette vient de l’agriculture et qu’il faut donc pas mal d’agriculteurs pour nourrir la planète, détaille Sylviane. Les gens ne connaissent plus rien à l’agriculture, il est super im- portant de montrer comment nous travaillons. » Des stages sont également organisés, de deux jours pour les 4-8 ans, d’une semaine pour les 7-13 ans. « Les enfants découvrent la nature, les animaux et la ferme, le métier d’agriculteur. Les plus grands participent au nettoyage et au nourrissage des animaux, au changement des litières, etc. Ils suivent le chemin du lait, depuis le pis de la vache jusqu’à la brique sur la table. »

Voyant son exploitation, L’Élevage Si-Bon à Battice, perdre plus du tiers de sa valeur lors des crises successives de la vache folle et de la dioxine dans les années 1990, Nicole Simonis a, quant à elle, trouvé une autre parade : ouvrir une boucherie à la ferme. Et un bâtiment a été transformé en atelier de découpe, ce qui permet d’éviter les intermédiaires et d’avoir des prix « démocratiques ». « On a la chance d’avoir une viande et du lait de qualité, on travaille dans les règles de l’art, se félicite celle qui connaît tous ses clients, repérant les nouveaux. Ce n’est pourtant pas suffisamment rentable, on reste une petite exploitation. Et le prix des bêtes n’a pas varié. Quand j’ai commencé, j’achetais les vaches entre cent deux et cent cinq mille francs. Je viens d’en revendre une à trois mille euros, ce qui correspond à cent vingt mille francs. Par contre, toutes mes factures, elles, ont doublé. »

« Je voulais une ferme compatible avec la famille, raconte encore cette fille d’agriculteurs qui a fait des études d’éducation physique et dont le mari est chauffeur. C’est un lieu idéal pour élever les enfants. L’espace est grand, ils ap- prennent des règles car il y a des dangers, ils sont obligés d’aider. J’ai quatre filles qui sont dans le monde du travail et je n’ai jamais eu le même stress qu’elles. Je suis là pour mes petits-enfants quand ils sont malades, quand l’école ou la crèche est fermée. Le seul inconvénient est qu’il n’est pas facile de prendre des congés. Il faut trouver quelqu’un capable de s’occuper de l’exploitation et ensuite le payer. Et on n’a jamais les dates de vêlage. L’an dernier, on est parti dix jours et le cousin venu nous remplacer en a eu plusieurs. »

PAYSAGE CONTRASTÉ

« Il y a de moins de fermes et les plus petites ont tendance à disparaitre, s’inquiète Benoît Dave, co-directeur de la coopérative Paysans-Artisans créée en 2013. Et la moyenne d’âge des fermiers est élevée, on parle de 55 ans, avec une difficulté de reprise. Leurs fermes sont vendues à de grands agriculteurs qui en ont les moyens. D’autre part, la vague qui a vu l’émergence du circuit court, du bio et de l’installa- tion de petites fermes, maraichères ou d’élevage, est en train de refluer. Le consommateur revient aux standards de la grande distribution : les petits prix. On se trouve aussi dans une logique de produits transformés plutôt que primaires, les gens cuisinent moins. Cette tendance lourde n’est pas favorable à l’agriculture qualitative. S’il reste quand même un espace pour la qualité, il ne s’élargit pas pour le moment, surtout en volumes produits puisque les grosses fermes, gé- néralement en monoculture et monoélevage, sont orientées grande distribution. Les petites sont en circuit parallèle. Et celles qui vivent bien font, en général, à la fois de l’élevage et de la culture primaire, un peu de transformation, souvent de la vente à la ferme ou en réseau coopératif. »

« Le gouvernement précédent, poursuit-il, a mis en place une série de dispositifs à la fois pour soutenir les coopératives et pour mettre en place des dispositifs en faveur du bio ou du moins d’une agriculture plus durable. Je crains que le nouveau gouvernement n’en ait rien à faire. La nouvelle ministre représente les gros agriculteurs et les céréaliers du Brabant wallon. Quant aux normes européennes, elles sont appliquées et mises en œuvre différemment dans chaque pays. Il existe des marges de manœuvre. L’Autriche a, par exemple, mis davantage de moyens pour une agriculture durable que la Wallonie. Dire que l’Europe est la cause de tout ne me semble pas tout à fait juste. Si elle met effectivement en place des dispositifs très bureaucratiques, un peu
déconnectés du réel, il y a quand même une orientation vers une agriculture durable.
 »

CALENDRIER COSMIQUE

La ferme Ponts du Ciel, à Saint-Ode, entre Saint-Hubert et Bastogne, est en biodynamie depuis 1982. « Il s’agit d’une pratique qui allie agriculture et spirituel, qui relie la terre aux rythmes cosmiques, précise Murielle Keirse qui a suc- cédé à ses parents il y a six ans. C’est une attention et une conscience portées à chaque étape de la production. Nous tenons compte du calendrier cosmique quand on récolte le foin, par exemple. Et comme la nourriture des vaches est en biodynamie, ce qu’elles produisent l’est également. On écoute les animaux, on est avec eux dans un rapport de colla- boration, pas de force. Cette pratique a une répercussion sur le goût des aliments. Les plantes s’enracinent plus profondément, elles vont chercher dans le sol des nutriments plus subtils et diversifiés.  »

Une vingtaine de vaches laitières constitue le cheptel de la ferme qui possède un magasin où sont vendus le beurre, les tomes ou les yoghourts fabriqués sur place. L’exploitation produit également des céréales, principalement de l’épeautre et du seigle, qui sont transformées en farine et, depuis qu’un boulanger s’y est installé, en pain. « Financièrement, ça tient la route, sourit Murielle Keirse. Je constate que les gens sont de plus en plus concernés par la question de l’alimentation. Nos choix alimentaires, c’est une sorte de vote : que sou- tient-on ? qu’encourage-t-on ? Il est important de continuer de créer des liens plus proches avec les consommateurs. C’est pourquoi on organise aussi des chantiers participatifs. Et on a comme projet de mettre en œuvre d’autres activités de transmission pédagogique avec des visites scolaires, des ateliers autour de l’agriculture et de la spiritualité... »

DES PORCS SANS STRESS

La qualité, c’est aussi ce qui guide la coopérative Porcs Qualité Ardenne (PQA) constituée il y a plus de trente ans par une poignée de producteurs souhaitant faire quelque chose de différent sans être soumis aux prix fluctuants de l’industrie. Ils ont misé sur le porc fermier ou bio, promouvant l’agri-culture familiale et le bien-être animal en instaurant un prix fixe pour le producteur pendant toute l’année. Le site basé à Malmedy comprend un abattoir, des ateliers de découpe et de transformation, et gère le transport, de la ferme à la bou- cherie. « En qualité différenciée, on est à l’écart des grands problèmes grâce aux prix fixes et à la garantie donnée aux producteurs de prendre tous leurs porcs, développe Claudine Michel, sa présidente. Et ils s’en sortent relativement bien. En bio, ce sont des très petits élevages et les céréales qui consti- tuent la nourriture des animaux sont en majorité locales, sans OGM ni antibiotiques. La manière dont on nourrit un porc apporte un plus à sa viande. S’il n’a pas une alimentation équilibrée, sa graisse peut être plus jaune ou ce ne sera pas possible de faire des charcuteries. Et on veille à ne pas dé- passer une certaine densité dans les étables. Le porc possède plus de lumière et d’espace, on lui met de la paille. Il peut aussi disposer d’un circuit à l’extérieur, tout ce qui favorise son bien-être. À l’abattoir, ils sont endormis à l’avance, si bien qu’ils ne stressent pas. »

S’il y a bien des porcs qui ne stressent pas, ce sont ceux de Daphné Wislez dans sa ferme d’Anthisnes, au sud de Liège, ouverte il y a deux ans et demi. Pas plus que ses quelque mille trois cents poules pondeuses, d’ailleurs. « Tout est en bio et en plein air, atteste-t-elle. Pour le bien-être animal, une surface intérieure et extérieure minimum par poule est nécessaire. Idem pour les porcs qui doivent avoir à tout moment accès à un parcours extérieur. Les miens sont dans un pré toute la journée, pas dans une courette. » La jeune femme est une NIMA, “non issue du milieu
agricole
”. En effet, elle ne vient pas d’une famille d’agriculteurs et a suivi des études d’agronomie à La Reid. Après avoir travaillé pendant quatorze ans dans le secteur environnemental, elle a eu envie de se lancer dans l’agriculture, avec le souhait de rester maître de son travail et d’écouler elle-même ses productions en privilégiant la vente directe. « Je m’occupe de tout, expose-t-elle. Deux fois par semaine, je livre mes œufs dans des magasins de proximité et, le samedi matin, je mets des tables dehors. J’aimerais avoir un atelier de découpe de viandes, je le loue actuellement chez un voisin. Je voudrais aussi trouver des partenariats avec des bouchers pour transformer la viande en charcuterie. » ■

BIENVENUE AU GÎTE DES CANAILLES !

« Aujourd’hui pour tenir, il faut se diversifier, même dans des domaines qui n’ont pas de rapports avec l’agriculture », estime Étienne Derivaux. C’est pourquoi, avec sa femme Valérie, ils ont ouvert dans leur ferme de Terwagne (Clavier), une salle des fêtes et un gîte, baptisé le Gîte des canailles. « Je suis d’une quatrième génération d’agriculteurs. J’ai repris la moitié de l’exploitation en 1998, le reste en 2010. On a deux filles et, comme nous pensons qu’elles ne la reprendront pas, nous avons eu l’idée d’aménager l’étable à cochons en salle pour un usage familial. Nous avons installé des sanitaires et nous la louons pour des fêtes de famille, des mariages, des anniversaires – mais pas de soirées dansantes ! Que l’on y soit à vingt ou quarante, elle reste très conviviale. »

Sur sa lancée, le couple a décidé de transformer le grenier en un gîte de trois chambres pour six personnes. « Il a nécessité cinq ans de travaux, reconnaît le quadragénaire. J’ai fait beaucoup moi-même, cela a pris du temps, de l’énergie et de l’argent. En parallèle, je continue la culture de céréales et de pommes de terre que je distribue dans les magasins aux alentours. Ce qui pèse le plus, ce sont les conditions climatiques, elles génèrent du stress, des angoisses. On ne parvient pas à se reposer, on prend très peu de vacances. Et on ne part pas si le gîte est loué, car c’est toujours à ce moment-là que vous avez un problème. » (M.P.)

Michel PAQUOT

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